Sur le vif - Jeudi 12.12.19 - 15.25h
En ce jour d'inauguration du CEVA (je m'accroche à l'ancien terme, celui de nos vieux débats, celui de nos impôts), il serait assurément malvenu de gâcher la fête. Genève sourit, la Haute-Savoie est radieuse, plus besoin d'échelles ni d'équipées nocturnes, le train-miracle fera l'affaire.
A Genève, il fait beau, en ce milieu d'après-midi du 12 décembre 2019 ; en écrivant ces lignes, je contemple un Salève radieux, avec des haillons de lumière sur ses rochers, le Sainte Montagne des escalades dominicales de mon enfance, avec mon père.
Aux rites inauguraux, la liturgie est celle de la joie. Je ne suis pas, comme on sait, un partisan du CEVA, mais le fils d'ingénieur et d'entrepreneur ne peut se départir d'une pensée, ni d'une immense admiration, pour tous ceux qui ont travaillé sur ce chantier. Mon père construisait des tunnels : combien de fois l'ai-je accompagné, le samedi, dans les entrailles de la terre, et celles des montagnes !
M. Dal Busco, M. Wauquiez, M. L'Ambassadeur de France, Mme Sommaruga, ont bien parlé. Ils ont trouvé les mots pour dire la qualité d'un lien. La conseillère fédérale, quelque part entre la langue de Racine et celles de Roland Barthes (le second ayant d'ailleurs écrit des lignes inoubliables sur le premier), a parlé d'un "transport amoureux". J'ai aimé ces deux mots, ils étaient élégants, choisis, d'une élévation légère, pleine d'entrain.
Le "transport amoureux" convient à une journée ensoleillée d'arrière-automne, où la sève de l'Avent mûrit nos patiences. La réalité du train-miracle sera-t-elle au niveau de cette heureuse trouvaille lexicale ? La permanence historique de la frontière, l'incroyable différence de nos deux pays dans leurs relations aux questions sociales, l'absolue nécessité de protéger l'emploi indigène à Genève, tant d'aggravations possibles du réel, tant de risques de rendre caducs ces deux mots de désir et d'envol : "transport amoureux".
Je n'attendais pas ces mots-là de cette conseillère fédérale. Elle les a prononcés, et c'est tant mieux. Je la savais pianiste de talent. Voilà que je découvre un rapport au langage, à l'imprévisible mystère des mots, qui m'amène à réviser à la hausse mon jugement sur sa personne. C'était sans doute le but, face à tout auditeur, la diablesse est donc plus forte que je ne le supputais.
Ce que nous réserve l'avenir, je l'ignore. Mais c'était une belle journée, et ce furent de belles paroles. De ce transport amoureux de Mme Sommaruga, conservons en nos mémoires quelques fragments. Ils pourraient nous aider, ici et là, à entrevoir la vie avec un peu plus d'insouciance et de légèreté.
Pascal Décaillet