Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 5

  • L'échelle du mercure

     

     

    Sur le vif - Mardi 17.12.19 - 12.51h

     

    N'imaginez pas une seconde que l'idée de nation vienne d'en haut. C'est des racines de la terre qu'elle surgit, des colères du peuple, de ses élans fraternels, de son bonheur physique à se reconnaître et s'identifier à l'intérieur d'un périmètre donné, les frontières.

    La nation vient d'en-bas, le cosmopolitisme est une construction abstraite des gens d'en-haut. Pas tous, Dieu merci. Mais ceux pour qui la frontière, l'intérêt national, la protection d'une communauté identifiée qui s'est donné des lois, constituent des empêcheurs de jouir sans entraves et de spéculer à l'échelon planétaire.

    Alors, du sommet de leur morgue et de leur mépris, ceux-là traitent les gens d'en-bas, attachés à la nation, à la frontière, aux traditions, de vieux conservateurs dépassés. "Frileux", disent-ils même, comme s'ils tenaient seuls l'échelle du mercure.

    La nation vient d'en-bas. Les premiers qui ont pris sa défense, versé pour elle leur sang, peu vêtus, mal chaussés, les Soldats de l'An II, n'étaient autres que le peuple de France, le plus simple et le plus pauvre, seul contre les coalitions de têtes couronnées qui voulaient maintenir, dans toute l'Europe, les privilèges de l'Ancien Régime. Lisez Michelet, c'est sublime.

    Aujourd'hui, ce sont les gens du peuple qui sont conservateurs. A l'heure où j'écris ces lignes, ils ne sont pas au pouvoir, écrasés par les codes et l’Étiquette des clercs. Mais méfiez-vous : ils sont nombreux. Et en politique, il y a toujours un moment où le nombre, pluriel par excellence, finit par tenir un rôle singulier.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Boris, Donald, et les Pharisiens de la presse romande

     

    Sur le vif - Samedi 14.12.19 - 17.14h

     

    Depuis des années, la presse romande, unanime et moutonnière, n'a cessé de vilipender Boris Johnson. Depuis des années, elle le prend de haut, le tourne en ridicule, l'attaque sur son physique, comme une chroniqueuse du Temps avait cru bon de le faire à propos de Donald Trump, la veille de son élection, début novembre 2016.

    Depuis des années, il faut dire du mal de Johnson, si on veut être dans le coup. Depuis des années, il faut démolir Trump, ignorer ses succès, multiplier les papiers à charge, directement répétés de la doxa démocrate, dans la comédie de l'Impeachment.

    Depuis des années, dire du mal de Johnson, parce qu'il faut dire du mal du Brexit. Depuis des années, la presse romande fait de la présence - ou non - du Royaume-Uni dans l'Union européenne, une question morale. S'il y demeure, c'est bien. S'il s'en retire, c'est mal.

    L'idée que puissent exister d'autres grilles de lecture, liées aux rapports de forces séculaires entre France, Angleterre et Allemagne, et aux variations internes à cette triangulation (cf. mon dernier blog, ici même), ne semble pas effleurer nos puissants éditorialistes. Non, on se cantonne au Bien, et au Mal.

    Boris Johnson, Donald Trump. On les attaque sur leur chevelure, autant dire le degré zéro de l'analyse politique. On les attaque sur leur style. On les attaque sur leur rapport au verbe, au langage. On les traite de populistes. On ne les attaque pas sur leurs idées, ou alors avec une infinie faiblesse argumentative, mais sur ce qu'ils sont.

    Donald Trump, Boris Johnson. Deux hommes, d'âge mûr. Deux hommes, de droite. Deux hommes, plutôt conservateurs. Deux hommes, favorables à l'idée de nation, de frontière, de protection indigène.

    Bref, tout pour déplaire. A qui ? Oh, certainement pas à leurs propres citoyens, à cet égard nous attendons avec impatience novembre 2020, aux États-Unis. Non, ces deux hommes déplaisent à la petite clique, systématiquement pro-européenne (donc anti-Brexit par posture idéologique et morale), et systématiquement pro-démocrates américains, donc anti-républicains.

    Cela n'a pas changé depuis 1974. J'avais seize ans, je suivais la politique avec passion. Dans la tourmente du Watergate, il fallait déjà, dans notre bonne vieille presse romande, embrasser les thèses démocrates, répéter fidèlement les griefs des journaux de la Côte-Est. Noircir à tout prix Nixon, diaboliser l'infâme. 45 ans plus tard, rien n'a changé.

    Vous, je ne sais pas. Mais moi, cette clique d'éditorialistes, en Suisse romande, je ne peux tout simplement plus les supporter. Et dire que certains d'entre eux ont le culot de militer pour une aide à la presse.

    Il serait peut-être temps de leur répondre comme il convient, non ?

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • L'Angleterre, en Europe : hors-sujet !

     


    *** Une réflexion historique et diachronique sur l'Angleterre face au continent - Vendredi 13.12.19 - 16.38h

     

    C'est une longue Histoire que celle de l'Angleterre face au continent, il faut la prendre sur au moins mille ans, disons depuis Hastings (1066), pour en saisir les enjeux. D'immenses historiens s'y sont attelés, ils ont noté quelques constantes. L'une d'entre elles, majeure, est qu'entre la Grande Bretagne, la France et l'univers germanique de la Mitteleuropa, aujourd'hui dominé par l'Allemagne, il y en eut toujours deux contre le troisième.

    Cela se vérifie, par exemple, lors de la complexe et passionnante Guerre de Sept Ans (1756-1763), où émerge la Prusse de l'immense Frédéric II, lequel entame l'inexorable montée de l'univers germanique du Nord au détriment de celui du Sud (Saint-Empire, aboli en 1806 par Napoléon).

    Cela se vérifie en 1815, à Waterloo : Prussiens et Anglais, Wellington et Blücher, unis contre la France. Dès que l'embouchure de l'Escaut est dominée par une grande puissance (1815, 1914, 1940), l'Angleterre se réveille.

    Cela se vérifie en 1914 : l'Entente Cordiale, entre la France et le Royaume-Uni, fonctionne pendant toute la guerre, contre l'Allemand.

    Cela donne l'impression de se vérifier le 2 septembre 1939, lorsque la France et l'Angleterre déclarent la guerre à l'Allemagne, à cause de l'affaire polonaise. Mais l'alliance franco-britannique ne tiendra pas : dès Dunkerque (juin 40), elle est de facto terminée. Le bombardement de la Flotte française à Mers el-Kébir (juillet 1940), vieille vengeance de Churchill, sera l'éclatante démonstration de cette rupture.

    Toute l'affaire de la présence du Royaume-Uni dans la Communauté européenne (aujourd'hui UE), à partir de 1972, et sans doute jusqu'à début 2020, est à considérer en fonction de ce jeu d'alliances à trois.

    Qu'est-ce, dès les années d'après-guerre, et déjà bien avant le Traité de Rome (1957), que la construction européenne ? Réponse : c'est, principalement, la collaboration économique (charbon, acier, au début), puis la très belle réconciliation (de Gaulle-Adenauer, 1963) entre la France et l'Allemagne. A laquelle vient s'ajouter l'Italie. Puis, les trois pays du Bénélux. La construction européenne, c'est une affaire profondément continentale. Pardonnez-moi si c'est un peu brutal à dire, mais le Royaume-Uni, dans cette histoire, est hors-sujet.

    Il n'était absolument pas prévu, au départ, que cette puissance certes européenne, mais extra-continentale, avec déjà un pied dans le "Grand Large" (Churchill), vînt un jour s'arrimer à l'attelage. Ce fut le cas en 1972, de Gaulle était mort depuis deux ans, Pompidou avait (à tort !) considéré les choses autrement. Il est vrai que le successeur du Général n'entretenait absolument pas les mêmes liens politiques, culturels, littéraires que lui avec l'univers germanique. Charles de Gaulle était, au fond de lui, un germanophile puissant, ayant dû deux fois faire la guerre à un monde qui le fascinait. Tout autant, il détestait la galaxie anglo-saxonne.

    1972 - 2020 : la présence de Royaume-Uni dans l'Union européenne aura duré 48 ans. Un demi-siècle, face à mille ans d’Histoire depuis Hastings, c'est peu. Cette grande nation a eu la sagesse de garder sa monnaie. Elle aura sa politique étrangère propre, avec les États-Unis et avec le monde. Assurément, elle survivra à son passage au sein d'une organisation continentale. Elle vivra son destin, le continent européen aussi.

    La grande question, en Europe, n'est pas celle de l'Angleterre. A cet égard, il faut se méfier de plusieurs générations de journalistes, de politologues, d'observateurs, nourris d'études internationales en anglais, qui surestiment totalement, depuis un demi-siècle, l'importance du Royaume-Uni dans la question européenne. Pire : ils entrevoient ce lien sous des aspects moraux (l'Angleterre dans l'Union, ce serait le Bien ; hors de l'Union, ce serai le Mal). Les mêmes, avec une cécité frappante, refusent de voir l'essentiel : la montée inexorable, en Europe, de la puissance allemande, vrai facteur de déséquilibre des rêves des Pères fondateurs du Traité de Rome (1957).

    Eh oui, l'Angleterre est hors-sujet. Elle va continuer de vivre sa vie. Mais sur le continent, le modèle d'une construction équilibrée a vécu. La France, face à l'Allemagne, ne fait plus le poids. L'univers germanique conquiert les marchés des pays d'Europe centrale et orientale, jusqu'en Ukraine. Et cette fois, il n'a pas besoin du moindre char de combat. Le vieux rêve de Frédéric II, établir une puissance germanique dans le Centre-Nord-Est du continent européen, entamé entre 1740 et 1786, n'aura finalement été stoppé que par des défaites d'étape.

    Car même le 8 mai 1945 n'est, dans ce processus continu d'extension du champ d'influence, qu'une défaite d'étape.

    Dans cette équation majeure, que vient faire l'Angleterre ? A bien des égards, oui, elle est hors-sujet.

     

    Pascal Décaillet