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  • Invalidons les juges !

     

    Sur le vif - Mardi 20.11.18 - 14.21h

     

    Je ne supporte pas quand le Tribunal fédéral invalide une initiative populaire, dûment munie de toutes les signatures requises.

     

    Peu m'importe que je sois d'accord ou non avec l'initiative en question. C'est, pour le citoyen actif que je suis, une question de principe.

     

    Une initiative ayant recueilli les signatures, ce qui est le fruit d'un long et patient travail citoyen, doit être soumise au peuple. Dans une démocratie, c'est lui qui doit décider pour les choses politiques, pas les juges.

     

    Que les juges s'occupent des cas individuels. Qu'ils laissent l'ordre démocratique des citoyens statuer sur l'avenir politique du pays.

     

    Les juges, chez nous, interviennent beaucoup trop souvent sur la politique. Nous ne voulons pas d'une République des juges.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Ostpolitik

     

    Sur le vif - Mardi 20.11.18 - 03.20h

     

    La partie essentielle du destin allemand se joue à l'Est. Frédéric II de Prusse (1740-1786) l'avait compris, avant tout le monde. Ainsi que le plus grand Chancelier du vingtième siècle, Willy Brandt (1969-1974).

     

    L'Ostpolitik, c'est simplement l'acceptation de ce tropisme. Il ne concerne pas que la Prusse, mais l'ensemble des Allemagnes, dans leurs liens profonds, historiques, économiques, culturels, linguistiques avec les Marches orientales de l'Europe.

     

    La Guerre froide a voulu nous faire croire, dans les années 1949-1989, que la question Est-Ouest se réduisait à une simple fracture idéologique : d'un côté les communistes, de l'autre les capitalistes. En Occident, donc en Suisse comme ailleurs, on parlait de la DDR en la caricaturant, on la dénigrait systématiquement. J'ai fait partie, à l'époque, de ceux qui refusaient cette conception manichéenne. J'avais mes raisons.

     

    On oubliait juste que la première clef de lecture n'était pas idéologique, mais nationale. La DDR, c'était la Prusse, sous un autre nom. Sous occupation russe (comme l'Ouest était sous occupation américaine, principalement).

     

    La DDR, c'étaient des Allemands. Un système politique qui devait beaucoup à Hegel, dans son rapport à l'Etat, à l'individu face au collectif. Une culture allemande. Des auteurs allemands, à commencer par le plus grand dramaturge du vingtième siècle. Des musiciens allemands. Des scientifiques allemands. Des pasteurs allemands.

     

    En tournant son regard vers l'Est, dès 1969 (il avait préparé le terrain déjà entre 66 et 69, comme ministre des Affaires étrangères de la Grande Coalition), Willy Brandt ne fait absolument pas de l'idéologie.

     

    Non, il fait infiniment plus que cela : il accomplit le destin allemand, en reconnaissant son tropisme naturel vers l'Est. Dans ce trajet intérieur et spirituel, la génuflexion de Varsovie, en décembre 1970, apparaît comme l'acte sanctificateur d'une démarche politique et historique de premier ordre. Ce geste, 25 ans après la guerre, est sans doute capital dans les relations germano-polonaises. Mais il ne faut pas s'y tromper : c'est avant tout rite germano-allemand. Un signe de l'Allemagne profonde, donné à l'Allemagne de l'écume.

     

    Dans une Histoire nationale qui avait commencé par la traduction en langue allemande, en 1522, de la Bible, s'était accomplie par les Passions de Bach et la redécouverte de ce musicien par Mendelssohn, les oratorios de Haendel, la Révolution musicale de Beethoven, les recherches des Frères Grimm sur la langue allemande, l'aventure narrative wagnérienne, puis celle de Richard Strauss, le travail de Hölderlin puis de Brecht sur la métrique grecque, dans leurs variantes d'Antigone, il fallait, un quart de siècle après l'Apocalypse, un geste de réconciliation de l'Allemagne avec elle-même : ce fut celui de Willy Brandt, sur la Vistule.

     

    L'Ostpolitik est un pèlerinage - au sens de Liszt - de l'Allemagne vers l'Allemagne.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Genève : le gâchis des radicaux

     

    Sur le vif - Dimanche 18.11.18 - 14.15h

     

    Il faut un peu s'imaginer ce qu'était la politique à Genève il y a 18 ans, au tout début des années 2000. Une idéologie libérale omniprésente : même les socialistes suisses, blairiens pour nombre d'entre eux, prônaient, tout au mieux, la domestication du capitalisme. Un Conseil d'Etat mou. Une instruction publique donnant des gages au pédagogisme. Les bilatérales, exaltées. La question de la concurrence transfrontalière sur le marché du travail, totalement sous-estimée, ce qui donnera naissance au MCG, et lui permettra sa première percée en 2005.

     

    C'est dans ce contexte qu'est apparu un tout jeune conseiller municipal en Ville de Genève, 22 ans en l'an 2000, Pierre Maudet. C'est à cette époque, alors que je lançais l'émission Forum, que j'ai fait sa connaissance. Soudain, un homme. Jeune, élancé, dynamique, cultivé, incroyablement rapide dans son cerveau, malicieux, croqueur d'aventure et de destin. Dire qu'il tranchait avec le reste de la classe politique genevoise, c'est encore ne rien dire. En voilà au moins un avec qui on n'allait pas s'ennuyer.

     

    Dans les cinq premières années de Forum, j'ai sans doute pas mal fait pour lui conférer une notoriété romande. Je l'assume absolument. Lorsqu'il y a talent, qu'importent pour moi les titres, qu'importait qu'il ne fût que conseiller municipal, et provoquât les jalousies de tel conseiller national. Maudet, Darbellay, Pierre-Yves Maillard, il fallait à mes yeux que ces hommes fussent du débat public.

     

    Et puis, Pierre Maudet était radical. Et son avènement a coïncidé avec le vertige de ce parti, son risque de disparition de la scène politique, après plus d'un siècle et demi de présence en continu. En 2001, Guy-Olivier Segond quitte le Conseil d'Etat, après 12 ans, et Gérard Ramseyer n'est pas réélu. Pour la première fois depuis le Paléolithique supérieur, pas de radical au gouvernement ! Pierre Maudet et François Longchamp seront, devant l'Histoire, les hommes de la Reconquista, il faut leur laisser cela. Dans la médiocrité ambiante de la Genève de ces années-là, entre fatigues patriciennes, arrogantes comme jamais, et gauche mondialiste, ces deux hommes, d'une culture politique supérieure à la moyenne, avec sens de l'Etat et de la République, ont tranché. Ils ont constitué une alternative. Ils ont travaillé comme des fous. Et ils ont gagné.

     

    Élection de François Longchamp en novembre 2005 au Conseil d'Etat, retour du Grand Vieux Parti, puis élection de Pierre Maudet au printemps 2007 à l'exécutif de la Ville. Chez les grognards, le moral, enfin, remontait. Quelque chose, en politique, était possible, si on en avait la volonté et la vision. De mon point de vue, deux hommes intelligents arrivaient aux affaires, comment s'en plaindre ?

     

    Hélas, ces deux hommes n'ont pas exactement utilisé le pouvoir comme ils auraient dû. Une fois aux affaires, ils ont gardé les vieux réflexes des radicaux assiégés, cultivant dans l'officine l'art de monter des coups. Au mieux, on rendra hommage à leur esprit de corps. Au pire, on regrettera que ce dernier ne fût tourné que vers la promotion de leurs intérêts de caste et de corporation, et je ne parle même pas encore de cette affaire de cagnotte, écume face à l'essentiel.

     

    Au fil des années, cet esprit de garde prétorienne s'est renforcé, on a gouverné dans le silence des coups montés à quelques-uns, avec çà et là de petits Peyrolles comme commis de basses besognes. Dans ces années-là, de pouvoir sans partage, combien de sourds combats en d'obscurs Fossés de Caylus, combien de comptes réglés avec des adversaires dérangeants : ça n'était plus la République, c'était juste le petit théâtre des ambitions personnelles.

     

    C'est cela, le vrai problème du pouvoir radical retrouvé, de 2005 à 2018. Ce qui aurait dû servir l'ensemble de l'Etat, hélas, ne fut mis qu'au service personnel de deux hommes. C'est dommage. C'est du gâchis. C'est du temps perdu. Parce que ces deux hommes sont intelligents, cultivés, ils ont de la vision et du sens politique. Mais ils se sont noyés, sans même en jouir vraiment, dans l'immanente noirceur du pouvoir.

     

    Le reste, ce sont des péripéties. Ou des mirages d'Orient.

     

    Pascal Décaillet