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Ostpolitik

 

Sur le vif - Mardi 20.11.18 - 03.20h

 

La partie essentielle du destin allemand se joue à l'Est. Frédéric II de Prusse (1740-1786) l'avait compris, avant tout le monde. Ainsi que le plus grand Chancelier du vingtième siècle, Willy Brandt (1969-1974).

 

L'Ostpolitik, c'est simplement l'acceptation de ce tropisme. Il ne concerne pas que la Prusse, mais l'ensemble des Allemagnes, dans leurs liens profonds, historiques, économiques, culturels, linguistiques avec les Marches orientales de l'Europe.

 

La Guerre froide a voulu nous faire croire, dans les années 1949-1989, que la question Est-Ouest se réduisait à une simple fracture idéologique : d'un côté les communistes, de l'autre les capitalistes. En Occident, donc en Suisse comme ailleurs, on parlait de la DDR en la caricaturant, on la dénigrait systématiquement. J'ai fait partie, à l'époque, de ceux qui refusaient cette conception manichéenne. J'avais mes raisons.

 

On oubliait juste que la première clef de lecture n'était pas idéologique, mais nationale. La DDR, c'était la Prusse, sous un autre nom. Sous occupation russe (comme l'Ouest était sous occupation américaine, principalement).

 

La DDR, c'étaient des Allemands. Un système politique qui devait beaucoup à Hegel, dans son rapport à l'Etat, à l'individu face au collectif. Une culture allemande. Des auteurs allemands, à commencer par le plus grand dramaturge du vingtième siècle. Des musiciens allemands. Des scientifiques allemands. Des pasteurs allemands.

 

En tournant son regard vers l'Est, dès 1969 (il avait préparé le terrain déjà entre 66 et 69, comme ministre des Affaires étrangères de la Grande Coalition), Willy Brandt ne fait absolument pas de l'idéologie.

 

Non, il fait infiniment plus que cela : il accomplit le destin allemand, en reconnaissant son tropisme naturel vers l'Est. Dans ce trajet intérieur et spirituel, la génuflexion de Varsovie, en décembre 1970, apparaît comme l'acte sanctificateur d'une démarche politique et historique de premier ordre. Ce geste, 25 ans après la guerre, est sans doute capital dans les relations germano-polonaises. Mais il ne faut pas s'y tromper : c'est avant tout rite germano-allemand. Un signe de l'Allemagne profonde, donné à l'Allemagne de l'écume.

 

Dans une Histoire nationale qui avait commencé par la traduction en langue allemande, en 1522, de la Bible, s'était accomplie par les Passions de Bach et la redécouverte de ce musicien par Mendelssohn, les oratorios de Haendel, la Révolution musicale de Beethoven, les recherches des Frères Grimm sur la langue allemande, l'aventure narrative wagnérienne, puis celle de Richard Strauss, le travail de Hölderlin puis de Brecht sur la métrique grecque, dans leurs variantes d'Antigone, il fallait, un quart de siècle après l'Apocalypse, un geste de réconciliation de l'Allemagne avec elle-même : ce fut celui de Willy Brandt, sur la Vistule.

 

L'Ostpolitik est un pèlerinage - au sens de Liszt - de l'Allemagne vers l'Allemagne.

 

Pascal Décaillet

 

 

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