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  • Nation, mémoire

     

    Sur le vif - Samedi 18.08.18 - 14.33h

     

    La nation ne saurait, à mes yeux, constituer un âge d'or, le retour au passé, la nostalgie de ce qui fut et qui n'est plus. Je n'invoque ici ni Valmy, ni Jemappes, même si l'épopée de ces soldats en haillons, seuls contre les têtes couronnées de 1792, m'a toujours infiniment touché.

     

    Pour la Suisse, je ne rêve en aucun cas d'un Paradis perdu. Pour la bonne raison que cet Éden n'a jamais existé : mon père (1920-2007) m'a raconté maintes fois l'état économique du Valais dans sa jeunesse, et ses parents à lui, comme ceux de ma mère, nés les quatre aux 19ème siècle (entre 1887 et 1895), avaient encore connu l'ingratitude marécageuse d'un paysage mondialement admiré, aujourd'hui, pour ses murets de vignes.

     

    Non, la Suisse n'est en aucun cas "l'Histoire d'un peuple heureux" (titre de l'un des ouvrages de Denis de Rougemont), c'est celle d'un peuple comme un autre, avec la misère économique et agricole, le lent chemin vers l'industrie, l'exode rural, l'exil aux quatre coins du monde. La prospérité de notre pays, bien réelle (mais pas définitive !) aujourd'hui, ne date, au fond, que des années d'après-guerre. Nous n'avons ni à renier notre passé, ni à l'idéaliser.

     

    Alors, quoi ? Alors, je crois à l'échelon national, et à sa primauté, à cause de l'immensité symbolique des repères inscrits dans le souvenir collectif, ce que l'historien Pierre Nora appelle "les lieux de mémoire".

     

    La mémoire, ça n'est pas la nostalgie. C'est considérer l'état d'un pays dans la profondeur diachronique, celle du champ historique. C'est tenter, à l'exemple de Thucydide, dans sa Guerre du Péloponnèse, d'expliquer le présent par des enchaînements de causes et d'effets. C'est avoir étudié ce qui s'est passé avant nous, pour mieux éclairer le présent.

     

    La mémoire, dans un champ plus affectif, mais tellement fondamental, c'est aussi le culte des morts, le souvenir de leur présence terrestre, le lien demeuré intact avec certains d'entre eux.

     

    La mémoire, lorsqu'elle est collective, c'est encore la culture partagée au sein d'une communauté humaine, avec des systèmes de valeurs.

     

    La mémoire n'est assurément pas là pour paralyser l'action, mais pour la stimuler. Lui donner du sens. L'inscrire dans une continuité. Non par traditionalisme, mais pour exister dans une perspective qui puisse nous dépasser.

     

    A mes yeux, à ce jour (rien n'est définitif, je sais), nul échelon, depuis la Révolution française, n'a mieux incarné ces valeurs, ce rapport au périmètre communautaire, que celui de la nation.

     

    Une chose est sûre : les conglomérats d'impuissance impersonnelle qu'on a, en Europe, tenté de substituer à la nation, n'ont en rien réussi à fédérer les énergies, capter les cœurs, galvaniser les enthousiasmes, réunir dans une mémoire commune. Pour l'heure, on n'y trouve qu'une armada de fonctionnaires avec tâches de baillis, des forêts de règlements et de directives, et au sommet, une totale inexistence politique.

     

    La citoyenneté, la démocratie, c'est à l'intérieur de chaque nation qu'elles existent et s'expriment le mieux. Vous voyez, nulle mystique : juste le cheminement naturel d'une idée. Profondément ancrée, dans ma vision politique, depuis des décennies.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • La souveraineté n'est pas une option !

     

    Sur le vif - Vendredi 17.08.18 - 17.49h

     

    L'indépendance, la souveraineté, ne sont pas des OPTIONS dans la stratégie de survie d'un pays, comme il existe des options à l'achat d'un nouveau véhicule.

     

    Vouloir sauvegarder l'indépendance, affirmer la souveraineté d'une communauté humaine définie par un périmètre géographique, mais surtout par le partage ému de la mémoire et des valeurs, n'a rien d'une option ! Rien, non plus, d'un dada pour souverainistes ou conservateurs, que les partisans des conglomérats supranationaux veulent absolument, par les artifices les plus retors du langage, faire passer pour des archaïques.

     

    La souveraineté, l'indépendance, loin d'être des options nostalgiques, ne sont rien d'autres que des CONDITIONS SINE QUA NON à l'existence des nations. Si on accepte un suzerain, on s'intègre à un système de dépendance. C'est un choix, celui de l'appartenance à un Empire. Mais ce choix, qui reconnaît des autorités supérieures, ou des figures de tutelle, est très précisément antinomique du choix national. Ce choix de l'intégration à un vaste ensemble n'est pas le mien.

     

    Pour ma part, je crois que l'échelon de la nation, apparu avec la Révolution française, n'est pas mort. Il n'est certes pas éternel, rien ne l'est, mais pour un bout de temps, nous y sommes encore. Je crois à la nation souveraine, associée à un système très puissant d'expression du peuple dans les grands choix de destin, associée aussi à des valeurs de fraternité et de partage, et puis d'ambition culturelle. Parce que les communautés humaines ont besoin de lieux de mémoire, de repères, d'institutions choisies par elles, pour exercer avec proximité leur citoyenneté. Dans l'Empire, le citoyen se dilue, il devient sujet de la machine ou de ses fonctionnaires. La nation, pour moi, est indissociable de l'exercice le plus vif et le plus vigilant de la démocratie, directe notamment.

     

    De la nation, je ne fais aucune mystique. Je déteste l'idée que l'une d'entre elles, quelconque, se proclame supérieure aux autres. Je milite pour l'égalité de TOUS les humains de la planète, celle du paysan oublié du Sahel, comme celle du décideur de Paris, Londres ou Berlin. Simplement, nous devons respecter, comme des fleurs fragiles, le lien de chaque communauté humaine, dans l'ordre de la mémoire, de l'Histoire et des valeurs. Je ne crois absolument pas à la nation universelle, ni à une quelconque recette cosmopolite, imposée d'en haut, par des Kouchner ou des BHL. Nos pays se sont construits par le bas, chacun selon son chemin, son Histoire, sa spécificité. Il faut se pencher, patiemment, sur chacun de ces cas : la Suisse n'est pas la France, qui n'est pas l'Allemagne, ni la Grande-Bretagne.

     

    La perversité sophistique des partisans de l'Empire, ou des géants multilatéraux, consiste à mettre dans le même panier la nation et le nationalisme, et nous faire croire qu'au bout, il y a la guerre. Comme si les Empires n'avaient pas conduit le plus de guerres ! Comme si l'éternelle référence aux années trente devait tenir lieu de toute réflexion, toute imagination, toute appréciation nuancée, différenciée. Nous sommes là dans le champ exact du combat idéologique d'aujourd'hui. La vielle césure droite-gauche n'y tient plus grand place. D'autres paramètres, passionnants, occupent le front, quelque part entre le petit et le grand, la citoyenneté et la sujétion, la volonté de se battre et la résignation.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • La Suisse, l'Europe, et la légende du Cid

     

    Sur le vif - Jeudi 16.08.18 - 09.58h

     

    L'Accord institutionnel : non seulement personne n'y croit, mais personne en vérité n'y a jamais cru !

     

    C'est une vaste supercherie, digne d'Orson Welles et de son émission de radio sur l'arrivée des martiens. On se refile l'Accord institutionnel, comme un savon glissant ou une patate chaude.

     

    Je me suis longtemps demandé si les mots "Accord institutionnel", qui ont bien dû être prononcés quelque cent mille fois ces cinq dernières années à la RSR, ne font pas l'objet de l'un de ces paris potaches, entre gens de radio, surtout débutants, allez tu me balances le mot "zygomatiques", ou "rhinocéros", dans ton flash, et je te paye une bière.

     

    L'Accord institutionnel, personne n'y croit, personne n'y a jamais cru. Même ceux qui nous le brandissent n'y croient pas. Alors, quelle est, sémantiquement, la véritable fonction de ces deux mots ? Réponse : c'est une fonction incantatoire. Il s'agit, pour les partis ayant milité à fond pour la libre circulation, et voyant aujourd'hui que le château de cartes de l'Union européenne s'effondre, de simuler un minimum de fidélité à leurs croisades pro-européennes, tout en sachant très bien que c'est pour la galerie. Parce que ces partis, notamment le premier d'entre eux, fondateur de la Suisse moderne, que je continuerai toujours d'appeler le parti radical, préparent le plan B.

     

    Le plan B ? Je vais vous expliquer. Le génie absolu du parti radical, depuis 1848, c'est son œcuménisme idéologique. De nouvelles idées apparaissent ? Il commence par les combattre. Ces idées résistent ? Alors, tout doucement, le parti radical les intègre. Oui, il les pique à leurs parents, comme le coucou dans le nid des autres oiseaux. Il a intégré la protection sociale, la prévoyance vieillesse, il a commencé à se soucier d'environnement, eh bien maintenant je puis vous annoncer que l'idée de souveraineté, d'indépendance, est un concept montant dans cet univers politique.

     

    Oh, ils n'en parlent pas encore, il faut laisser mûrir. Mais l'idée d'une Suisse intégrée à la charpente européenne, le grand combat de Jean-Pascal Delamuraz, ce séducteur d'exception, est en chute libre dans la famille politique même de l'ancien conseiller fédéral, que tant d'entre nous ont aimé. Alors, ça commence à sortir, à poindre. Disons que la tyrannie du Commerce extérieur, qui dictait tout de même beaucoup les actes du conseiller fédéral vaudois, n'est peut-être plus aussi prioritaire, dans les consciences, qu'en ce début des années 90, où il fallait bien décartelliser, ce qui fut la grande œuvre de JPD.

     

    Les radicaux d'aujourd'hui, ceux avec qui je discute, sont évidemment attachés à l'entreprise et au libre marché. Mais ils commencent à se méfier des mots d'ordre nationaux du grand patronat dans les votations sur la libre circulation, de la toute puissance des multinationales dans certaines économies cantonales. Bref, nombre d'entre eux aspirent à retrouver, dans leur engagement politique, quelque chose de plus fort, de plus instinctif, de plus tellurique, dans leur rapport au pays profond. Ils ne décolèrent pas, en voyant qu'un autre parti, depuis trente ans, s'occupe de ces valeurs-là. L'amour du pays n'appartient ni à la gauche, ni à la droite, ni à aucun parti, mais à l'ensemble des hommes et des femmes saisis, dans le tréfonds de leur intimité, par l'émotion d'appartenance à une communauté humaine, définie par la mémoire et par l'Histoire.

     

    Alors voilà, face à ces enjeux-là, qui sont d'instinct et non de la Raison pure des géomètres, vous pensez bien que la vaste supercherie nommée "Accord institutionnel", ce mensonge organisé pour faire, encore une fois, bonne figure européenne aux élections fédérales d'octobre 2019, ne vaut pas un seul kopeck. Tout le monde en est conscient, sans doute même les deux conseillers fédéraux qui se refilent la patate chaude, MM Cassis et Schneider-Ammann. Tout le monde sait la vanité de ce mot. Mais on continue d'en faire usage. Comme dans la légende du Cid, où l'on brandit encore le cadavre du héros, au milieu de la bataille.

     

    Pascal Décaillet