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  • Au centre de tout, l'être humain

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    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 16.05.18

     

    Toute ma vie, j’ai plaidé pour une économie au service de l’humain. Une agriculture, une industrie, des forces de production, pour améliorer la vie des hommes et des femmes de cette terre, alléger leur fardeau, leur donner du temps pour tisser des liens sociaux, s’instruire, s’épanouir. Travailler, oui, et même beaucoup, cela fut toujours mon credo, et le demeure. Mais travailler, pour œuvrer, à petits pas, à une humanité meilleure. Parce que l’inverse, l’humain au service de l’économie, l’homme ou la femme comme simple rouage d’une mécanique de profit, ce modèle, hélas omniprésent, n’est absolument pas le mien. Pas plus que celui de la spéculation, celle par exemple sur les marchandises, ou les denrées alimentaires, ou les produits de première nécessité. Il y a des domaines, comme l’agriculture, qui doivent impérativement échapper à la férocité de la mise en concurrence planétaire. Parce qu’ils nous sont matriciels.

     

    Remarquablement plaidée, en quelques mots simples et brefs, par le Jeune Vert Valentin Dujoux, 24 ans, en direct ce dimanche 13 mai sur le plateau du Grand Genève à Chaud, lors d’un débat de jeunes militants, cette primauté de l’humain est un vieux rêve, récurrent, au moins depuis la Révolution industrielle. Il stipule que le travail doit affranchir l’homme, le libérer de ses entraves, lui permettre, à lui et aux siens, de vivre mieux. Et que le travailleur, même passionné par son métier, ne doit jamais oublier que son activité de production n’a de sens collectif que si elle s’inscrit dans une amélioration de la condition de tous. A cet égard, l’hommage le plus vibrant doit être rendu, dès l’école, non aux puissants de la terre, mais justement aux plus humbles serviteurs. Ceux qui, tout simplement, nous sont utiles.

     

    L’économie au service de l’humain, c’est le propos d’un texte absolument éblouissant, publié en 1891 par Léon XIII, qui a exercé entre 1878 et 1903 une fonction assez particulière, celle de Pape. Le texte s’appelle « Rerum Novarum », qu’on pourrait traduire par « De la modernité », et il tente, au plus fort de la Révolution industrielle, alors que des enfants travaillent encore dans des mines, de donner une réponse non marxiste (cette dernière était déjà bien présente sur le marché des idées) à la précarité de la condition ouvrière. Ce texte, vieux de 127 ans, n’a pas pris la moindre ride. Il appelle les patrons à leur responsabilité sociale, définit le travail comme mode d’affranchissement et non comme servitude. Il y a certes un peu de Marx dans ces lignes, mais s’y ajoute une note de chaleur latine, autour de la famille et des communautés humaines, qui transcende la dialectique matérialiste du grand penseur rhénan dont nous fêtons le bicentenaire. Ce texte, pour moi, demeure, parmi d’autres, une référence.

     

    Une chose est sûre : dans la très grande solitude métaphysique qui, peut-être, serait nôtre, demeure, entre humains, la richesse de l’échange et de l’interrogation mutuelle. Sans humanisme, point de politique. Cette valeur, centrale, doit guider nos actions, au-delà de nos appartenances, ou de nos idéologies.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Pensée et prière pour le Proche-Orient

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    Sur le vif - Mardi 15.05.18 - 16.29h

     

    Je suis un ami du Proche-Orient, où je me suis rendu à de nombreuses reprises, je reconnais à chaque peuple aujourd’hui sur place le droit à l’existence, le droit à un Etat. Je reconnais cela à Israël, et me souviens de la grande émission spéciale que nous étions allés faire, en direct de Jérusalem, il y a juste vingt ans, mai 1998, pour les cinquante ans de ce pays. Mais tout autant, avec la même ferveur, je revendique depuis toujours, pour les Palestiniens, le droit à un Etat. Un Etat, et non une « Autorité » administrative, avec des check-points à tous les coins de rue. Je me souviens des funérailles de Yasser Arafat, novembre 2004, d’où j’avais présenté un Forum spécial, en direct de Ramallah, au milieu d’une foule immense.

     

    La première réaction, après le massacre d’hier à Gaza, est évidemment celle de la colère. J’ai immédiatement pensé à Sétif, 8 mai 1945, prélude (neuf ans avant) à qui allait devenir, dès le 1er novembre 1954, la Guerre d’Algérie. J’ai pensé à Sétif, parce que là aussi, Jour de la Victoire contre les nazis, cela aurait dû être un jour de fête, et cela tourna en abominable boucherie. Lorsqu’une fête est ensanglantée, alors surgit quelque chose, de l’ordre de la tragédie grecque, comme une rupture avec l’ordre sacré, une source de malédictions futures, à jamais recommencées. C’est dans Eschyle, Sophocle, Euripide. C’est aussi dans la Bible.

     

    L’immense erreur serait de réduire le massacre de Gaza, hier, à un affrontement entre Juifs et Musulmans. Parce que la question nationale palestinienne, c’est un fait depuis 1948, relancé depuis juin 1967, ne peut en aucun cas se résumer à sa seule dimension de conflit confessionnel. D’ailleurs, il y a des Palestiniens chrétiens. Et il y a des Juifs, citoyens israéliens ou de la Diaspora, qui désapprouvent les aspects coloniaux de la politique israélienne. Non, nous ne sommes pas là dans une guerre de religion, mais dans un affrontement d’ordre national. Tant que la Palestine ne disposera d’un Etat à elle, souverain, l’acuité de cette question demeurera.

     

    Le 6 décembre 2017, j’ai publié, ici même, un texte intitulé « Ne faites pas cela, M. Trump ! ». Il était très clair que le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem allait mettre le feu aux poudres. C’est fait, au-delà des pires inquiétudes que l’on pouvait nourrir. Jérusalem, ville « trois fois sainte », où tous doivent avoir leur place, les Juifs, les Musulmans, les Chrétiens, et puis aussi tous les autres, appartient, de toutes les lumières éblouissantes de son passé, au patrimoine de l’humanité, elle est Géorgienne, Syriaque, Arménienne, elle est de toujours et de partout, cela M. Trump n’a pas voulu le comprendre.

     

    Pour l’heure, pensée et prière. Pour les Palestiniens tombés hier à Gaza. Pour les citoyennes et citoyens d’Israël qui veulent la paix des cœurs et celle des âmes. Pour tous ceux, d’une religion ou d’aucune, pour qui l’incomparable lumière du Proche-Orient veut dire quelque chose. Pensée et prière, oui, pout tous ceux de là-bas.

     

    Pascal Décaillet

     

  • La langue, petite musique de nuit

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    Sur le vif - Dimanche 13.05.18 - 09.55h

     

    L'Histoire de l'Allemagne est celle de la langue allemande. La correspondance, l'intimité, de l'une à l'autre, sont totales. À y regarder de près, c'en est troublant, effarant même de précision.

     

    Luther, en traduisant la Bible en 1522, invente l'allemand moderne. Créateur de mots, génie du verbe. Il propulse les Écritures dans la langue parlée de chaque Allemand de son temps. Il dissout les cléricatures, parle à chaque humain. C'est l'une des plus grandes Révolutions de l'Histoire humaine.

     

    Le Sturm und Drang, premier pas vers le Romantisme, prenant congé de l'Aufklärung, ces Lumières trop blafardes, juste destinées à la Raison, sèchement démonstratives, va puiser dans le trésor lexical et la puissance narrative de la Vieille Allemagne. La Révolution, par la langue.

     

    Les Frères Grimm, consacrant chaque heure de leur vie à l'exhumation des textes et légendes germaniques, précisent, identifient et finalement subliment l'infinie richesse dialectale des Allemagnes.

     

    Hölderlin, puis (bien plus tard) Brecht, lorsqu'ils travaillent à la syllabe l'Antigone de Sophocle, établissent une intimité époustouflante entre la langue grecque, sa métrique, la richesse de ses inflexions dialectales, et la langue allemande. Ces deux langues, ces deux univers littéraires, sont conçus pour se retrouver, dans une étreinte de feu. J'ai, vous le savez, un peu travaillé naguère, sur la comparaison de ces deux littératures.

     

    L'Histoire des Allemagnes est celle de la langue allemande. Nul récit du destin allemand ne peut faire l'économie d'une profonde réflexion sur l'évolution de la langue.

     

    Cette dernière, loin d'être un seul instrument, est peut-être le personnage principal de l'Histoire allemande. Plus que le simple solfège, elle en est la petite musique de nuit. Ou mieux : le fil conducteur, ou Leitmotiv, comme chez Wagner.

     

    Jusqu'à Paul Celan (1920-1970), sans doute le plus grand poète de langue allemande du vingtième siècle. Un Allemand de Roumanie, toute sa famille disparue dans les camps. Lui, survit. Il ne lui reste rien, et dans son œuvre, il fait constamment allusion à ce rien, ce vide.

     

    Il ne lui reste rien, si ce n'est la langue allemande.

     

    Sur la seule richesse de ce matériau, le seul legs de cette Écriture, jusqu'à ce jour d'avril 1970 où, du Pont Mirabeau, il se jette dans la Seine, il tente d'établir les conditions de sa survie.

     

    Entrer dans la langue allemande, pour ne plus jamais la quitter, c'est pénétrer dans un enjeu vital. Une histoire de vie et de mort. Un espoir de survie, face à l'inéluctable.

     

    Pascal Décaillet