Sur le vif - Lundi 20.01.14 - 10.40h
Dans le Matin, dans le Temps, dans la Tribune de Genève, exactement la même rhétorique. Trois journaux, une seule ligne: celle du Conseil fédéral, du PLR et du patronat. La similitude des arguments est tellement hallucinante qu'elle devrait constituer un cas d'école, à étudier dans les cours de journalisme.
Dans ces trois journaux, dont deux sont aux mains des mêmes maîtres, et le troisième un peu aussi, que nous dit-on ? Qu'il ne faut surtout pas voter l'initiative de l'UDC, mais qu'elle soulève les bonnes questions. Il ne faut surtout pas la voter, mais il est vrai que la Suisse a un problème avec son immigration. Surtout pas la voter, mais le problème désigné par l'UDC est réel. Surtout pas la voter, mais le Conseil fédéral a tardé à prendre des mesures de compensation en faveur des résidents sur le marché du travail. Surtout pas la voter, mais nos autorités devront aller encore beaucoup plus loin.
Trois journaux, une seule et même vision. Trois journaux, la même doxa. Trois journaux au service des mêmes milieux. Trois journaux qui n'osent surtout pas s'en prendre au Conseil fédéral, ni au grand patronat. Trois journaux qui nous disent exactement la même chose. Et Nicolas Dufour, dans le Temps, qui se permet, d'une chiquenaude, de traiter de "mesquinerie" la position des partisans. Ils ont raison, mon bon Monsieur, mais ils ne faut surtout pas voter pour eux, car ils sont fondamentalement mesquins. Mais nous, qui sommes des esprits supérieurs, que rien ne peut ravaler à la mesquinerie, nous devons comprendre ce qu'il y a de bon chez ces brutes, sans pour autant leur donner raison.
Eh bien moi je dis qu'il y en a marre. Marre de cette grisâtre uniformité de la presse en Suisse romande. Et, tandis qu'une formidable Nickellerie Pédestre, emmenée par un ancien conseiller d'Etat genevois, nous promet de sauver le Temps (traduisez, le maintenir en mains bien obédientes, bien patronales et bien libérales), l'heure sonne, au contraire, à la genèse en Suisse romande d'un journal traduisant d'autres valeurs que celle de l'alignement, d'autres postures que celle de la génuflexion, d'autres modèles que celui de l'argent facile et de la spéculation. Et, pourquoi pas, se mettre un peu à l'écoute - la vraie, pas la simulée, M. Dufour - des Gueux et des Mesquins, des Oubliés et des Laissés pour compte.
Allez, disons-le: un journal à la fois conservateur et profondément social, aimant les gens, fuyant les mondanités, joyeux et populaire, où la plume serait reine, l'audace encouragée. Un condensé de noires solitudes et de désespérances, avec entre les auteurs un seul lien: celui du regard assumé, et de l'écriture souveraine.
Pascal Décaillet