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  • François Hollande doit tenir. Et rester.

     

    Chronique publiée dans le Nouvelliste - Vendredi 15.11.13

     


    La France va mal, c’est sûr. Un président de la République crédité de seulement 15% d’intentions favorables, c’est du jamais vu. Dans les dix-huit premiers mois de son mandat de cinq ans, François Hollande a commis de graves erreurs, c’est indéniable. De là à parler, comme l’a fait récemment mon confrère Günther Nonnenmacher, dans la Frankfurter Allgemeine, d’un pays au bord de l’insurrection, il y a tout de même une marge. La France va mal économiquement, financièrement, elle traverse aussi une crise morale, toutes choses qui doivent être prises très au sérieux. Mais ses institutions républicaines viennent de loin, elles ont survécu, à une exception près, aux pires tempêtes. L’exception, la seule en 143 ans, c’est le 10 juillet 1940 : suite à la pire défaite de son Histoire, la France donne congé à son Parlement, ce qui ouvre les portes au régime de Vichy. Mon éminent confrère allemand reconnaîtra que nous  n’en sommes pas tout à fait là.


     
    Dans ces colonnes, je n’ai cessé, sans être moi-même socialiste, de défendre la candidature de François Hollande, puis sa fonction présidentielle. Une fonction à laquelle quelques excités se sont odieusement attaqués, lors des cérémonies du 11 novembre. On a le droit de s’en prendre au président de la République, même vivement, mais pas lorsque dans le cadre de ses fonctions, il rend hommage au million quatre cent mille morts français de la Grande Guerre. Là, il n’est plus le Hollande militant socialiste, mais la figure de rassemblement de la mémoire nationale. L’immense majorité des Français, d’ailleurs, font parfaitement la part des choses entre une fonction qu’ils respectent et un homme, qu’ils aiment ou non. Or, si je continue à défendre François Hollande, c’est bien en raison d’une dignité présidentielle qu’à ma connaissance il n’a (contrairement à son prédécesseur) pas bafouée, et non par accord avec ses choix politiques.
     


    Bien sûr, il serait trop facile qu’il dise : « Je suis le Président, pour l’intendance voyez avec le Premier ministre ». Il est le chef, le vrai, le seul. Dans la droite ligne du discours exceptionnel tenu à Bayeux le 16 juin 1946 par Charles de Gaulle, qui définit, avec une précision d’horloger, ce que sera, dès 1958, la fonction de chef de l’Etat, clef de voûte de tout, celui dont tout procède. Donc oui, Hollande doit assumer. Ce qui ne signifie surtout pas partir. Imaginez le signal que constituerait, à la 55ème année d’existence de la Cinquième République, le départ d’un chef de l’Etat sous prétexte que ça roule et que ça tangue. Des tourmentes, elle en a connues d’autres, la République ! A commencer par ce 6 février 1934, où elle a failli basculer. Face aux signaux, légitimes, de colère populaire, il faut agir. Mais en aucun cas partir. Ce serait, en termes d’institutions, ouvrir la porte au pire.
     


    Pascal Décaillet
     

     

  • Eric et Pierre : la mythologie des contraires

     

    Publié dans GHI - 06.11.13


     
    A première vue, Eric Stauffer et Pierre Maudet surgissent de deux univers totalement différents. Eric, des entrailles de la terre, plus noires que chez Jules Verne, avec l’imprévisible fusion des matières, le feu. Bref Vulcain. Pierre, céleste, aérien, l’aigle qui vole et qui se montre, Jupiter. Celui qui vient d’en bas, celui qui survole. Vulcain, Jupiter. Ou, si vous préférez, Héphaïstos et Zeus.

     

    D’un côté, le mauvais garçon, mais qui a tant appris en roulant sa bosse, de l’autre l’élève modèle. Allez, disons Dany Wilde et Brett Sinclair : Tony Curtis et Roger Moore. Celui qui lance l’eau, celui qui demeure de glace. Celui qui porte le feu, celui qui répand les Lumières. Celui qui craque, celui qui se contrôle. Celui qui va à Lugano, négocier le prix du vent. Celui qui, d’ici, souffle le chaud et le froid.

     

    Celui qui rêve de l’Olympe, celui qui entend y demeurer. Celui qui annonce la chute de Troie, celui qui joue de mille tours, tiens le Cheval par exemple, pour y parvenir. Celui qu’une seule flèche au talon peut détruire, et celui qui achèvera le Cyclope. Et si ces deux-là, malgré l’infini de leurs dissemblances, étaient faits pour s’entendre ?


     
    Pascal Décaillet

     

  • La Conjuration des Gueux

     

    Chronique publiée dans Tribune (Le Journal du PLR vaudois) - No 9 - Mercredi 30.10.13

     

    Nous avons, en Suisse, un magnifique organe qui s’appelle la démocratie directe. J’utilise « organe » au sens grec, « outil ». Les initiatives, les référendums, sont, au même titre que la fabrication des lois dans les Parlements, des outils de notre démocratie. Il s’agit de les utiliser ! Sans le moindre état d’âme, si on le juge nécessaire à une finalité politique. Il n’y a strictement rien de honteux, rien de sale, rien d’anormal à récolter des signatures contre une loi qui nous paraît mauvaise (référendum) ou pour changer la Constitution (initiative).

     

    Rien de honteux, et pourtant. La manière dont les élus parlementaires, à tous les niveaux (communes, cantons, Confédération), accueillent l’annonce ou l’arrivée en Chancellerie d’une initiative ou d’un référendum, même munis d’un nombre impressionnant de signatures, montre bien qu’ils se sentent profondément « dérangés » par cette intrusion du peuple dans leurs petites affaires. Ils ont tort, totalement ! D’abord, parce que ce « peuple », celui dont on va récolter les signatures, n’est de loin pas celui de la masse, ni de la pléthore, ni d’une quelconque racaille en ébullition, mais bien celui des citoyens. Pour signer, il faut faire partie du corps électoral (démos), le même qui sera appelé à se prononcer, un beau dimanche, sur le texte. Ce peuple-là n’a donc rien d’un intrus, il ne « dérange » que le confort parlementaire, il est le souverain final, il est un acteur majeur, un « organe » de notre vie politique.

     

    Mais ils ont tort, aussi, parce que leur mépris pour ce qui surgit d’en bas, ce qui vient s’en prendre à la perfection de leur ordre juridique, né de leurs équilibres, de leurs consensus, de leur infinie sagesse, ne fait que souligner leur méconnaissance de ce qui fait la Suisse. Ce mécanisme correctif aux décisions des autorités gouvernementales et parlementaires, que tant de nos voisins nous envient. Leur premier réflexe est de prendre peur : ils ont mis des mois, des années parfois, à nous bichonner des amours de petites lois, et voilà que la Conjuration des Gueux vient menacer de les leur défaire. C’est vrai que, de leur point de vue, il peut y avoir de quoi enrager, mettons-nous à leur place. Mais ils ont tort tout de même, parce que le génie de notre système suisse instaure la possibilité de recourir au souverain ultime, donc à un corps électoral de quatre millions de personnes (niveau fédéral), ce qui confère tout de même une autre légitimité que 246.

     

    Ils ont tort, parce que la démocratie directe, au fond, n’est pas dirigée contre eux, contre le système parlementaire, mais en complément de ce dernier. Ensemble, par la dialectique, par le jeu d’oppositions, par la « disputatio », dans la douleur, dans l’intimité mêlée de nos victoires et de nos défaites à tous, nous construisons notre démocratie suisse. Le Parlement n’a pas à ignorer le peuple, ni d’ailleurs la réciproque : chacun est organe, outil, voie pour parvenir à des issues. Mais le chemin est encore long, dans les consciences, pour qu’élus et législateurs parviennent à intégrer la démocratie directe comme interlocutrice normale de notre vie politique. Entendez, comme autre chose que du poil à gratter. La Suisse est une petite fleur fragile. Toucher à ce miracle venu d’en bas, ce serait briser le plus sacré de nos équilibres.

     

    Pascal Décaillet