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  • La Suisse a-t-elle une politique européenne ?

     

    Édito publié ce matin en une du Giornale del Popolo - Samedi 24.08.13


     
    La question est simple : la Suisse a-t-elle un ministre des Affaires étrangères ? Réponse : oui, il s’appelle Didier Burkhalter, et s’est montré très actif cette semaine, en inaugurant la traditionnelle Conférence des Ambassadeurs, et surtout en tentant, mercredi, de donner un nouveau souffle à notre politique européenne. La Suisse a donc un ministre, magnifique. Mais a-t-elle pour autant une politique étrangère, notamment en matière européenne ? Là, la réponse est beaucoup plus complexe, et va chercher dans les limites d’un homme dont nul ne nie la sincérité de son attachement au pays, mais dont le charisme et la puissance de persuasion n’apparaissent pas comme les qualités premières. C’est dommage, parce que le rôle d’un ministre n’est pas seulement de peaufiner le travail en cabinet, mais de convaincre à grande échelle : Delamuraz, par exemple, avait cette fibre.


     
    Ainsi, mercredi soir, à la Radio Suisse Romande, Didier Burkhalter apparaissait comme un homme pointilleux et précis, habile même peut-être, mais toujours aussi étriqué et décevant lorsqu’il définissait le champ à convaincre, ce que les spécialistes appellent l’horizon d’attente : cet espace, défini au plus large, n’est jamais donné comme étant le peuple suisse, pourtant souverain, mais au mieux c’est la Commission de politique extérieure du National ! Toujours, dans la tête du conseiller fédéral, cette hyper-représentation du Parlement, comme si ce dernier n’était que le seul théâtre d’opérations de notre politique. Un cercle fermé, caucasien comme chez Brecht, tracé à la craie, avec son éternel jeu de miroirs, mais dont la Suisse profonde, celle des millions d’électeurs et citoyens, se trouve coupée. On dirait que M. Burkhalter ne vit et n’existe que dans ce décor-là, celui des commissions parlementaires, au mieux le plénum, le tout sous la molasse sacrée de la Berne fédérale.


     
    Mercredi toutefois, Didier Burkhalter a tenté de convaincre sur une échelle plus large. Il a dévoilé les intentions du Conseil fédéral en matière européenne : poursuivre la voie bilatérale, avec un mandat de négociation Berne-Bruxelles sur la question institutionnelle. Surtout, le ministre veut ignorer le débat qui a enflammé une partie de la classe politique suisse cet été, notamment du côté de l’UDC et du PDC : la question des juges étrangers. Pour rappel, les négociateurs du DFAE, à commencer par le secrétaire d’Etat Yves Rossier, sont entrés en matière pour que la Cour européenne de justice puisse être instance d’arbitrage, entre la Suisse et l’Europe, sur l’application des bilatérales. Tollé dans une bonne partie de la droite du pays, tous partis confondus, je dis bien tous.


     
    Toujours mercredi soir à la RSR, le ministre s’embrouillait dans les arguments techniques pour tenter de nous convaincre que l’avis de la Cour européenne ne serait pas final. Assurément, l’argutie ne portera pas : la question des juges étrangers, qu’on remonte ou non à 1291 (je refuse pour ma part de m’ancrer dans une mythologie aussi lointaine), est très sensible au cœur et au patriotisme des Suisses. Elle ne passera pas. Sous-estimer la puissance de ce symbole, de la part d’un ministre, est une erreur, et le président du PDC suisse, Christophe Darbellay, a eu parfaitement raison de défendre l’indépendance et la souveraineté de notre pays. Il l’a fait dans un langage clair, calme, résolu, qui conforte sa position d’adversaire de M. Burkhalter, au sein de la famille de droite. La Suisse sait désormais, sur les questions de souveraineté, qu’elle peut compter sur un autre parti que l’UDC. Et d’ailleurs aussi, à titre plus ou moins avoué, sur d’innombrables membres du propre parti de M. Burkhalter !


     
    Le pire, c’est qu’à l’issue de l’exercice, destiné à nous montrer à quel point M. Burkhalter avait le soutien du Conseil fédéral, on n’en sait toujours pas plus sur l’avenir de notre politique européenne ! Le contenu du mandat de négociation n’est pas public, on sait juste que la voie bilatérale va se poursuivre. Mais franchement, qui en aurait douté ? Au final, un ministre assurément respectable, mais qui devra prendre, dans les mois qui viennent, la dimension nationale de sa mission de conviction et de communication. Ça n’est pas le domaine où il excelle le plus. Allez, disons-le comme cela, pour terminer sur un euphémisme. Belle fin d’été à tous !


     
    Pascal Décaillet

     

  • Pierre Maudet : pouvoir et propagande

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    Sur le vif - Vendredi 23.08.13 - 16.57h

     

    Celui qui tient les rênes du pouvoir doit non seulement accomplir des actes, mais savoir les communiquer avec talent. Didier Burkhalter n’a pas cette vertu-là. Pierre Maudet, en revanche, en est paré au-delà de toutes les espérances. Un surdoué de la transmission. Tant mieux pour lui. Et tant pis pour ceux qui, tombés dans les rets de sa propagande, n’ont pas le minimum de sens critique pour faire la part entre les mérites (bien réels, d’ailleurs) du ministre et l’exagération publicitaire de sa communication.

     

    Dans ce dossier, il n’y a rien à reprocher à Pierre Maudet. Tout homme, toute femme de pouvoir tente d’avoir les médias de son côté et de propager la plus luisante des images. Bonaparte, dès la campagne d’Italie (1796), avait le génie non seulement de remporter des victoires, mais aussi de le faire savoir immédiatement par ce qui deviendra les « Bulletins de la Grande Armée ». Ainsi, toute la France sachant lire apprend qu’il existe, quelque part entre le col de Tende et la plaine du Pô, puis plus tard Lodi, Rivoli, un jeune général d’exception qui passe son temps à culbuter l’Autrichien, lui ravir drapeaux et canons : naissance d’une légende.

     

    Je ne reproche rien à Pierre Maudet. C’est le jeu, la loi du genre. Et franchement, je préfère avoir affaire à la propagande exagérée d’un surdoué de la politique (ce que notre homme est) plutôt qu’au silence assourdissant d’un nul. Seulement voilà, il y a le corset qu’il essaye de plaquer sur la presse. La plupart d’entre nous apprécions Maudet, je crois même être l’un des premiers à l’avoir repéré, puis lui avoir largement donné la parole, naguère, à la RSR, et aujourd’hui encore, ce que je ne regrette nullement. Mais l’apprécier, cela ne doit pas signifier tomber dans les pièges de son hyper-communication. Je le dis ici franchement : je voterai pour lui; mais je dis en même temps que je ne suis pas dupe de sa propagande.

     

    Car l’homme en fait un peu trop. Et dès cette rentrée, jusqu’au 6 octobre, puis 10 novembre, lui et les autres sortants ne manqueront pas de nous abreuver de conférences de presse, comme par hasard toujours valorisantes, communiqués de victoire, chiffres de délinquance en baisse, annonces de constructions, toutes choses relevant de leurs seules compétences techniques, et n’ayant rien à voir, vous pensez bien, avec les échéances électorales de cet automne. Là aussi, c’est le jeu, c’est de bonne guerre, tout le monde le fait depuis toujours, disons qu’il faut juste l’avoir un peu à l’esprit, plutôt que de tomber corps et biens dans le panneau.

     

    Mais Maudet va plus loin. Sa mainmise sur la presse écrite, à Genève et dans l’arc lémanique, devient franchement inquiétante. Ici, quelque séminaire alpin, en rupestres altitudes, avec d’éminentes huiles de la presse. Là, une connivence de plus en plus en marquée avec les cadres de la presse orangée, de semaine ou dominicale. Et les actes de ce héros au sourire si doux, de son lever aux aurores jusqu’aux vêpres lointaines, répertoriés, enluminés, comme aux plus riches heures du Duc de Berry, en lettres d’or.

     

    Pour exercer au mieux le pouvoir, il faut savoir faire, puis faire savoir. Pierre Maudet, très bon ministre et communicateur hors de pair, possède ces deux qualités. Assurément, nous n’allons pas nous en plaindre : je préfère mille fois le talent à l’incapacité. Il me semble simplement que les observateurs professionnels de la vie politique devraient être un peu moins dupes de la dimension de propagande de ce pouvoir. Car entre Maudet, son collègue radical, les fifres et sous-fifres de leur toile de pouvoir et de leur Garde Noire, pourrait bien s’installer, si nous n’y veillons quelque peu, dans les cinq ans qui nous attendent, une forme de pouvoir excessive, personnelle, contrôlant tout, même la presse. La domination absolue d'une clique prétorienne soudée, ivre d'accroître son hyper-contrôle de tout. L’intérêt supérieur de la République n’est pas d’aller dans cette direction-là.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Meienberg: la chaleur et le feu

     

    Sur le vif - Jeudi 22.08.13 - 14.31h

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    A juste titre, le Temps rend hommage ce matin à l'un de nos plus géniaux imprécateurs: Niklaus Meienberg, qui choisissait de quitter ce monde il y a bientôt vingt ans.

     

    En voilà un autre, comme Ziegler, dérangeur, emmerdeur, insupportable, mais tellement suisse, tellement attaché à ce pays, notamment cette Suisse orientale dont il était issu, et dont nous dirons qu'il a fréquenté quelques grandes familles.

     

    Jamais je ne manquais une seule de ses chroniques, ni dans la Wochenzeitung, ni dans la Weltwoche. Il avait, dans sa plume, cette sorte de charge explosive qui enlumine plutôt qu'elle ne détruit, réchauffe et donne la vie, suscite plutôt que d'anéantir.


    Il a écrit, il a pris position, il a rédigé des livres, fait des films. Il a provoqué, mais toujours en donnant du sens. Encore un avec lequel je n'étais pas toujours d'accord, mais dont l'incroyable talent ne pouvait que nous retenir, nous accrocher, nous interpeller. Il venait déchirer nos indifférences, ne laissait personne tranquille, jamais. Et cette sainte inquiétude, amoureuse et conflictuelle, jamais satisfaite, oui la liturgie de feu de cette colère, celle qui nous arrache au prévisible, j'aime cela, depuis toujours.

     

    Revenez un jour, Monsieur.

     

    Pascal Décaillet