Sur le vif - Vendredi 23.08.13 - 16.57h
Celui qui tient les rênes du pouvoir doit non seulement accomplir des actes, mais savoir les communiquer avec talent. Didier Burkhalter n’a pas cette vertu-là. Pierre Maudet, en revanche, en est paré au-delà de toutes les espérances. Un surdoué de la transmission. Tant mieux pour lui. Et tant pis pour ceux qui, tombés dans les rets de sa propagande, n’ont pas le minimum de sens critique pour faire la part entre les mérites (bien réels, d’ailleurs) du ministre et l’exagération publicitaire de sa communication.
Dans ce dossier, il n’y a rien à reprocher à Pierre Maudet. Tout homme, toute femme de pouvoir tente d’avoir les médias de son côté et de propager la plus luisante des images. Bonaparte, dès la campagne d’Italie (1796), avait le génie non seulement de remporter des victoires, mais aussi de le faire savoir immédiatement par ce qui deviendra les « Bulletins de la Grande Armée ». Ainsi, toute la France sachant lire apprend qu’il existe, quelque part entre le col de Tende et la plaine du Pô, puis plus tard Lodi, Rivoli, un jeune général d’exception qui passe son temps à culbuter l’Autrichien, lui ravir drapeaux et canons : naissance d’une légende.
Je ne reproche rien à Pierre Maudet. C’est le jeu, la loi du genre. Et franchement, je préfère avoir affaire à la propagande exagérée d’un surdoué de la politique (ce que notre homme est) plutôt qu’au silence assourdissant d’un nul. Seulement voilà, il y a le corset qu’il essaye de plaquer sur la presse. La plupart d’entre nous apprécions Maudet, je crois même être l’un des premiers à l’avoir repéré, puis lui avoir largement donné la parole, naguère, à la RSR, et aujourd’hui encore, ce que je ne regrette nullement. Mais l’apprécier, cela ne doit pas signifier tomber dans les pièges de son hyper-communication. Je le dis ici franchement : je voterai pour lui; mais je dis en même temps que je ne suis pas dupe de sa propagande.
Car l’homme en fait un peu trop. Et dès cette rentrée, jusqu’au 6 octobre, puis 10 novembre, lui et les autres sortants ne manqueront pas de nous abreuver de conférences de presse, comme par hasard toujours valorisantes, communiqués de victoire, chiffres de délinquance en baisse, annonces de constructions, toutes choses relevant de leurs seules compétences techniques, et n’ayant rien à voir, vous pensez bien, avec les échéances électorales de cet automne. Là aussi, c’est le jeu, c’est de bonne guerre, tout le monde le fait depuis toujours, disons qu’il faut juste l’avoir un peu à l’esprit, plutôt que de tomber corps et biens dans le panneau.
Mais Maudet va plus loin. Sa mainmise sur la presse écrite, à Genève et dans l’arc lémanique, devient franchement inquiétante. Ici, quelque séminaire alpin, en rupestres altitudes, avec d’éminentes huiles de la presse. Là, une connivence de plus en plus en marquée avec les cadres de la presse orangée, de semaine ou dominicale. Et les actes de ce héros au sourire si doux, de son lever aux aurores jusqu’aux vêpres lointaines, répertoriés, enluminés, comme aux plus riches heures du Duc de Berry, en lettres d’or.
Pour exercer au mieux le pouvoir, il faut savoir faire, puis faire savoir. Pierre Maudet, très bon ministre et communicateur hors de pair, possède ces deux qualités. Assurément, nous n’allons pas nous en plaindre : je préfère mille fois le talent à l’incapacité. Il me semble simplement que les observateurs professionnels de la vie politique devraient être un peu moins dupes de la dimension de propagande de ce pouvoir. Car entre Maudet, son collègue radical, les fifres et sous-fifres de leur toile de pouvoir et de leur Garde Noire, pourrait bien s’installer, si nous n’y veillons quelque peu, dans les cinq ans qui nous attendent, une forme de pouvoir excessive, personnelle, contrôlant tout, même la presse. La domination absolue d'une clique prétorienne soudée, ivre d'accroître son hyper-contrôle de tout. L’intérêt supérieur de la République n’est pas d’aller dans cette direction-là.
Pascal Décaillet