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  • Demain, Micheline Calmy-Rey doit être présidente

     

    Sur le vif - Mardi 07.12.10 - 16.38h

     

    On aime ou non Micheline Calmy-Rey, on apprécie ou non ses options, mais une chose est sûre : c’est une femme courageuse, elle aime son pays et entreprend ce qu’elle croit être le mieux pour le défendre. Dans le système actuel (qui doit être réformé, mais c’est une autre affaire), il n’y a donc strictement aucune raison de ne pas élire la socialiste à la présidence de la Confédération.

     

    Elle serait, nous rappelle le Temps de ce matin, « la mal aimée du parlement ». Et alors ? Mal aimée de 246 personnes, là où il y en a 7 millions ! Bien sûr, le parlement est souverain pour l’élire, ne pas l’élire, mal l’élire, la punir mesquinement, lui faire payer le pataquès (dans l’affaire libyenne) de tout un système. C’est son droit, oui, en attendant que cela change. Car cela changera, tout ce système de Diètes d’Empire, de suffrage indirect, favorisant la combinazione, le pronunciamiento, survalorisant le législatif, déroulant des tapis rouges aux souris grises, renvoyant à la maison une Karin Keller-Sutter. Tout cela, oui, doit passer.

     

    Mais la réforme du mode d’élection, c’est pour après-demain. Pour demain, le vrai demain, mercredi 8 décembre, rien ne justifierait de casser un tournus qui, en attendant mieux, assure les équilibres. Au demeurant, Micheline Calmy-Rey a déjà été présidente une fois, je l’ai suivie de près, et n’ai rien trouvé à redire à la dignité avec laquelle elle assumait sa fonction, soucieuse de la pluralité suisse, ayant un mot pour tous.

     

    Et puis, surtout : ne pas élire Mme Calmy-Rey, ce serait porter à la présidence Mme Widmer-Schlumpf. Comme une dans une grande Cène où Judas figurerait au milieu du tableau. Faire ça, un 8 décembre, non merci !

     

    Pascal Décaillet

     

  • L'inconnu de Lübeck

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    A l’occasion du 40ème anniversaire, aujourd’hui, de la génuflexion de Willy Brandt devant le monument aux morts de Varsovie, je republie, ici, ma chronique du 6 mai 2004 dans la revue « Choisir ». Willy Brandt est, avec de Gaulle, Mendès France et Mitterrand, l’homme d’Etat européen du vingtième siècle qui m’a le plus impressionné.

     


    L’inconnu de Lübeck

     

     

    Il y a juste trente ans, le 6 mai 1974, Willy Brandt, le plus énigmatique, mais aussi à coup sûr le plus grand chancelier allemand du vingtième siècle, envoyait au président de la République une lettre de démission de treize lignes, écrite à la main : « J’assume la responsabilité politique de l’affaire Guillaume ». Brandt quittait la chancellerie, laissant la place à un autre grand homme, Helmut Schmidt. Il allait encore vivre dix-huit ans, présider son parti, et même l’Internationale socialiste, vivre deux décennies en vieux sage ayant tutoyé l’Histoire, cerné d’honneurs et de louanges, mais Brandt au pouvoir, cette aventure allemande de l’après-guerre, se terminait ainsi d’un coup, bêtement, suite à une histoire d’espionnage entre Allemands que plus personne, de nos jours, ne pourrait imaginer.

     

    Willy Brandt, homme du nord né à Lübeck, le 18 décembre 1913, d’une mère de dix-neuf ans qui ne lui révèlera qu’en 1947 la véritable de son père, et mort le 8 octobre 1992, aura donc connu l’Allemagne impériale, traversé la Grande Guerre, la République de Weimar, le Troisième Reich (en exil en Scandinavie), les années de désolation et de reconstruction, la scission en deux de sa patrie, avant de connaître enfin, peu avant sa mort, plus heureux que Moïse, la chute d’un Mur qu’il avait toujours haï, les yeux embués en cette ville de Berlin dont il avait été, de 1957 à 1966, le maire éblouissant. Avant d’être un grand homme d’Etat, celui de l’Ostpolitik et de la génuflexion de Varsovie, avant d’être ce vieillard fatigué et sublime regardant d’écrouler le Mur aux côtés de Kohl et Genscher, en cette nuit du 9 novembre 1989, avant tout cela, Willy Brandt c’est d’abord, comme Mitterrand, le charme étrange et romanesque d’un destin.

     

    La politique, aujourd’hui, n’aime plus guère les aventuriers. Elle préfère les technocrates. C’est dommage. Que serait l’Italie sans Garibaldi et le tumulte de son parcours ? Il faut lire la vie des grands hommes, à la Plutarque, si on veut saisir les véritables enjeux de leurs paris politiques. L’enfant Louis XIV traumatisé par la Fronde, le jeune Léon Blum et l’affaire Dreyfus, les rapports terribles de Frédéric II avec son père. Pour cela, il faut accepter de lire des biographies, ce genre passionnant, longtemps et scandaleusement méprisé par les historiens de la mouvance de Mai 68, ceux qui préfèrent les structures aux hommes, la matière à l’esprit, la coupe synchronique, désincarnée, au fil magique d’une vie.

     

    Il faut aussi regarder les albums de photos. Le collégien Willy Brandt, 1930, debout en pantalon de golf, posant devant un plan d’eau, sans doute un canal de sa ville natale de Lübeck. La beauté de son visage, la retenue de sa posture, le brin de mélancolie de l’ensemble, la force de solitude intérieure d’un regard pourtant porté vers le lointain. Est-ce déjà Willy Brandt, au destin scandinave et futur prix Nobel de la Paix ? Ou n’est-ce, encore, que Herbert Ernst Karl Frahm, son premier nom, celui de son enfance hanséatique, lui qui allait, d’exil en exil, en porter plusieurs, remplaçant une énigme par une autre. Tout est là, oui déjà, dans cette tristesse semi-éclairée, immensément séduisante, de l’inconnu de Lübeck. Enfin, coïncidence ou non, 1930, l’année de cette photographie si troublante, est celle de son adhésion au SPD, le parti social-démocrate : rien, jusqu’à la mort, ne l’en séparera.

     

    Willy Brandt : un destin allemand. Il aurait ou être raconté par une nouvelle d’Heinrich Mann, ou incarné dans l’un des innombrables personnages de Günter Grass, son ami. J’irais plus loin : j’irais chercher dans Schiller, celui des jeunes années, le Schiller de Don Carlos et du Sturm und Drang, le ressort exceptionnel de Brandt. Une vie nécessairement en mouvement, mais d’un chemin non-tracé, où l’invisible surpasse le prévisible, le rend futile, dérisoire. Les plans de carrière volontaristes sont pour les personnages de deuxième choix, les grands commis, les grands exécutants. L’homme de caractère, lui, accepte les chemins de traverse, la surprise du vent.

     

    Brandt, un destin. Mais aussi un certain sens de la formule, du symbole. A genoux devant le monument aux morts de Varsovie, recueilli au Mémorial de Yad Vashem, ou hagard devant les burins de fortune qui détruisent le Mur, c’est toujours le même homme, le même sens du destin et de l’Histoire. « Jetzt wächst zusammen, was zusammengehört », s’était-il contenté de déclarer en cette nuit allemande du 9 novembre 1989 (Maintenant va pouvoir croître ensemble, ce qui est du même terroir). Et si le combat social-démocrate, tout en étant parfaitement sincère, n’avait été, toute une vie, que le paravent d’un autre enjeu, plus fondamental, plus inavouable : le combat national pour enfin donner un champ d’éclosion à une patrie ravagée, et au fond tant aimée, comme une mère qu’on retrouverait, intacte et prometteuse, au soir de sa propre vie ? La force des grands hommes, Brandt, de Gaulle et les autres, c’est qu’ils nous donnent l’impression, à chaque fois, de recommencer l’Histoire.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Frontières, chimères

     

    Chronique publiée dans la Tribune de Genève - Lundi 06.12.10

     

    Le Salève, glacé sous son manteau blanc, a beau s’offrir à l’immédiate portée de mon regard, il ne s’en trouve pas moins en pays étranger. Ami, certes, ô combien. Mais étranger. Entre le Salève et nous, il y a ce tracé invisible dont il est à la mode, dans les cocktails, de nier l’existence : une frontière.

     

    Nos frontières ne sont pas des caprices de douaniers. Elles viennent du fond des âges. Elles n’empêchent ni l’estime, ni le respect mutuels. Mais il y a un pays qui s’appelle la France. Et un autre, le nôtre, la Suisse. Si je vais à Bâle, à Coire, je demeure dans mon pays, même si la langue change. Si je passe à Annemasse, même langue, mais autre pays. C’est ainsi, nos choix historiques l’ont voulu.

     

    Hélas, à Genève, jusqu’au plus haut niveau de décision politique, on semble préférer le magma très improbable, mais tellement tendance, de chimères transfrontalières à la réalité de notre « foedus », notre contrat avec la Confédération helvétique.

     

    Au point que les 25 autres cantons, dans certaines hautes sphères genevoises, on s’en fout. C’est une injure à l’âme de ce petit pays, son charme pluriel, l’infinie fragilité de ses équilibres. Une insulte à l’arrière-pays, campagne ou montagne, plus rugueux, plus conservateur, mais qui a fait la Suisse. Au moins autant, et à vrai dire beaucoup plus, que les petits marquis de cocktails au royaume de la frontière abolie.

     

    Pascal Décaillet