Chronique publiée dans la Tribune de Genève - Lundi 06.12.10
Le Salève, glacé sous son manteau blanc, a beau s’offrir à l’immédiate portée de mon regard, il ne s’en trouve pas moins en pays étranger. Ami, certes, ô combien. Mais étranger. Entre le Salève et nous, il y a ce tracé invisible dont il est à la mode, dans les cocktails, de nier l’existence : une frontière.
Nos frontières ne sont pas des caprices de douaniers. Elles viennent du fond des âges. Elles n’empêchent ni l’estime, ni le respect mutuels. Mais il y a un pays qui s’appelle la France. Et un autre, le nôtre, la Suisse. Si je vais à Bâle, à Coire, je demeure dans mon pays, même si la langue change. Si je passe à Annemasse, même langue, mais autre pays. C’est ainsi, nos choix historiques l’ont voulu.
Hélas, à Genève, jusqu’au plus haut niveau de décision politique, on semble préférer le magma très improbable, mais tellement tendance, de chimères transfrontalières à la réalité de notre « foedus », notre contrat avec la Confédération helvétique.
Au point que les 25 autres cantons, dans certaines hautes sphères genevoises, on s’en fout. C’est une injure à l’âme de ce petit pays, son charme pluriel, l’infinie fragilité de ses équilibres. Une insulte à l’arrière-pays, campagne ou montagne, plus rugueux, plus conservateur, mais qui a fait la Suisse. Au moins autant, et à vrai dire beaucoup plus, que les petits marquis de cocktails au royaume de la frontière abolie.
Pascal Décaillet