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  • « Des hommes et des dieux » : joie et lumière

     


    Dimanche 17.10.10 - 20.17h

     

    « Des hommes et des dieux », de Xavier Beauvois, un film sur la lumière. Celle des montagnes de l’Atlas au petit matin ou lorsque tombe le soir, celle des chandelles, celle qui éclaire une poignée de visages d’hommes surgis de la nuit des temps. C’est l’Algérie de 1996, l’Italie de Piero della Francesca, ce sont les Pèlerins d’Emmaüs, avec leur hôte étrange, vus par Rembrandt. Un film de lumière, né de la lumière. Dans une période de l’Histoire écrasée par les ténèbres.

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    Visages d’hommes. Des moines. Des frères. Une toute petite communauté, quelque part dans la splendeur de l’Atlas, au pire moment des actions terroristes du GIA, et de la terrible répression de l’armée. Ils s’appellent Christian, Luc, Christophe, Célestin, Amédée, Jean-Pierre, Michel. Ils sont là, cisterciens en pays musulman, 34 ans après le départ des Français. Juste des hommes de paix, de prière et d’amour, amis des villageois que l’un d’entre eux, le médecin (Michael Lonsdale époustouflant) soigne jusqu’à s’épuiser lui-même, 150 consultations par jour.

     

    La fin, le spectateur la connaît avant le film : il sait que l’histoire raconte – à sa manière – ce qu’ont vécu les moines de Tibéhirine, assassinés. Mais ça n’est pas un film sur la mort, à peine suggérée par un cortège d’otages s’enfonçant dans la brume, jusqu’à se confondre avec elle, tout doucement. C’est un film sur la lumière de la vie. Un film sur la présence et sur l’absence (« Je parle à Dieu et n’entends plus sa réponse »). Sur l’accomplissement du destin. Le lien incroyablement fort qui peut être celui d’une petite communauté d’hommes. « Ecclésia » : l’Assemblée.

     

    Bien sûr, le chrétien ne manquera pas d’y décrypter d’évidentes scènes d’Evangile : naissance de l’Enfant au milieu d’une nuit de violence, dialogue de Frère Christian (le chef de la communauté) avec un chef du GIA (visage sublime) aux accents de lutte avec l’Ange, dernier repas, avec le vin, juste avant de vivre leur passion. Mais nous ne sommes pas un film de prosélytisme chrétien. Juste un film sur la lumière. À laquelle s’ajoute le chant : pureté de ces voix d’hommes dans la nuit, a capella, sans mystique excessive, juste l’accomplissement du rite.

     

    Accomplir le geste, la parole. Toute une vie, au demeurant sociable et fraternelle avec les villageois, ponctuée des innombrables rendez-vous de l’Ordre. Ils sont « dans le monde » et « hors du monde », et d’ailleurs le Pascal des Pensées est cité. Sur la table du supérieur (Lambert Wilson dans l’un de ses meilleurs rôles), la règle chrétienne côtoie le Coran. Ça n’est pas un film sur Dieu, mais sur les hommes. Pas sur la mort, mais sur la vie. Pas sur la nuit. Mais sur la lumière.

     

    A voir, absolument.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

     

     

     

  • Genève, Verdun

     

    Chronique publiée dans la Tribune de Genève - Jeudi 14.10.10



    Face à toi, l’impasse. A ta gauche, sens interdit. A ta droite déviation. Sous tes roues, sous tes pas, la tranchée. Dire qu’on traverse Genève et qu’on croirait Verdun. 1916. Jonction, Coulouvrenière, avenue d’Aïre, sans parler de l’accès à Lancy. Lancy n’existe plus, Monsieur. Genève n’est plus une ville, elle est une béance, un ventre éviscéré qui s’offre à l’indifférence du ciel.

    Vous avez dit Lancy, Onex, Bernex ? Vous avez dit route des Jeunes ? Vous avez dit Cornavin ? Visez plutôt Pluton ou Jupiter, vous y serez plus vite. Bien sûr, bien sûr, on nous répète que c’est provisoire, pour la cause du bien, celle du tram, les lendemains électriques qui chantent.

    Certes. Mais le pékin moyen, coincé comme un vulgaire poilu entre la tranchée et le boyau bouché, dans la sublime poussière des marteaux-piqueurs et la pataphysique extase du temps passé à s’emmerder au volant, il se dit que peut-être, en très haut lieu, on aurait pu rationaliser un peu mieux l’exercice, non ?

    Ah, mais c’est qu’il devient acariâtre, le pékin ! Atrabilaire. On lui offre l’immobilité, et voilà qu’il ronchonne encore ! Il croit quoi ? Qu’une route, c’est fait pour rouler ? Un chemin, pour cheminer ? Le point A, pour s’emmouracher du point B ? Allez, adieu Euclide, adieu mouvement. Le must, today in Geneva, c’est le point mort.

    Pascal Décaillet





  • « On n’est pas à Moscou, M. Sommaruga ! »

     

    Sur le vif - Dimanche 10.10.10 - 18.49h

     

    Opposé à l’instant à Oskar Freysinger, sur la RSR, le socialiste genevois Carlo Sommaruga vient de rivaliser avec la philosophe Marie-Claire Caloz-Tschopp (voir nos textes précédents) dans l’art de l’auto-goal. Le 28 novembre prochain, le peuple suisse, seul souverain dans notre pays, se prononcera sur l’initiative de l’UDC concernant le renvoi de criminels étrangers. Ainsi que sur le contre-projet.

     

    L’initiative a obtenu largement assez de signatures, elle a été déclarée recevable par le parlement, il s’agit maintenant qu’il y ait campagne et que, fin novembre, comme c’est l’usage dans nos institutions, le peuple tranche. Cette campagne, il faut évidemment qu’elle soit politique, que les forces antagonistes s’affrontent, c’est cela la démocratie.

     

    Las, vu comme cela, c’était trop simple : alors, revoilà, comme chaque fois, la clique et la cléricature des juristes. Leur dernière trouvaille ? Venir nous annoncer, à ce stade du débat, clairement dans l’arène citoyenne, que l’initiative torpillerait le droit européen parce qu’elle serait contraire aux accords de libre-échange. Concrètement, Messieurs les juristes, ça veut dire quoi ? Qu’on arrête la campagne et qu’on va se coucher ? Ou qu’on laisse voter, et qu’en cas (bien probable) de victoire du texte, on annule tout ? Dans les deux cas, déni total de démocratie. Le seul fait de tenir ce genre de discours apporte des voix supplémentaires à l’UDC.

     

    Et puis, la démocratie n’est pas affaire de juristes. Mais de citoyens. Chaque voix, le jour du vote, a le même poids, que le votant soit riche ou pauvre, clerc ou inculte, fin connaisseur des lois ou non. Sinon, c’est le suffrage censitaire. En fonction du revenu. Ou du diplôme. Le peuple suisse, donc les auditeurs du débat qui vient de se terminer à la RSR, n’en est pas dupe. Il déteste qu’on lui confisque les débats au profit d’une Nomenklatura qui déciderait à sa place. Ce qu’à un moment assez chaud de l’entretien, le très imagé Oskar Freysinger a résumé par une expression tirée de notre jeunesse sous la guerre froide, mais aussi de quelques pages un peu folles de Gogol : « On n’est pas à Moscou, M. Sommaruga ! ».

     

    Pascal Décaillet