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  • Le triste scénario des frères Cohen

     

    Sur le vif - Et dans l'écume et l'amertume - Vendredi 10.09.10 - 17.35h

     

    La fin du magazine « Genève Hebdo » inspire un sentiment, un seul : la colère. Contre ceux qui l’ont lancé, dans la méconnaissance totale du terrain de bataille de la presse genevoise d’aujourd’hui. Et à cause de qui plusieurs confrères et consœurs se retrouvent maintenant sans emploi. Colère, non pas d’avoir fermé cet hebdomadaire, mais, en amont, de l’avoir lancé, apparemment sans la moindre étude de marché, sans avoir sondé les innombrables mines du théâtre d’opérations. Bref, impéritie gravissime. Il sera important de déterminer, dans cette affaire, les responsabilités des uns et des autres.

     

    « Genève Hebdo » était élégant, bien présenté, agréable à lire, il n’y a rien à dire sur le travail de l’équipe rédactionnelle. Mais avec son papier glacé, ses frais de production, son prix en kiosque au-delà du dérisoire (1 franc !), son tirage à 55.000 exemplaires, il était évident, aux yeux de toute personne connaissant un peu la presse, qu’il se précipitait au casse-pipe.

     

    Le canton de Genève n’a absolument pas le réceptacle de lecteurs suffisant pour lancer une sorte d’Hebdo ou d’Illustré local. Ce bassin de réception, même la Suisse romande ne l’a pas. Et puis, plus personne, en 2010, ne lance des hebdomadaires papier. Cette aventure éditoriale était en décalage criant avec les vrais enjeux, les vrais défis, le vrai champ de concurrence de l’espace genevois aujourd’hui. Les batailles des mois à venir, très dures, vont se jouer dans le multimédia, il y faudra les meilleurs, à la fois les plus rapides, les mieux formés, les plus solides. Un hebdomadaire sur papier glacé était un défi des années 80, l’aventure d’un autre temps. Qui a voulu ce projet ? Qui a laissé monter au front de jeunes, sincères et parfois talentueux journalistes ?

     

    Au-delà du cas de « Genève-Hebdo », la situation de la presse, non seulement à Genève mais dans toute la Suisse romande (et bien au-delà), est devenue si difficile, si tendue, elle est dans une telle fièvre de mutation révolutionnaire qu’elle requiert des entrepreneurs connaissant parfaitement le terrain. La presse est un métier. Amateurs, merci de s’abstenir.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Boris et Sami, les maires du palais

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    Sur le vif - Et dans la gloutonnerie du Jeûne - Jeudi 09.09.10 - 15.32h

     

    Est-ce en raison du prestigieux passé mérovingien de Genève : les maires du palais se réveillent. A l’époque, ils s’appelaient Otton, Pépin ou Carloman. Je me souviens de mon vieux bouquin d’Histoire de France, couverture orangée, milieu des années soixante, je l’ai tant aimé, et je revois comme si c’était hier les images de ces dignitaires d’Austrasie ou de Bourgogne, dont l’institutrice, prénommée Jehanne, nous disait qu’ils étaient redoutables, car « ils se prenaient parfois pour le roi ». Treize siècles plus tard, la poussière du monde est passée, mais la magie des prénoms demeure : les maires du palais, aujourd’hui, s’appellent Boris ou Sami.

     

    Il y avait aussi les grands-sénéchaux, les grands-maîtres de la maison du roi, c’étaient les permanents, ils veillaient au grain et contrôlaient l’appareil. Comme Boris et Sami. Il y avait des rois fainéants (comme chez Boris), ou de grandes figures de superbe et d’orgueil (comme chez Sami), solaires, poudroyantes. « Ils profitaient, poursuivait Jehanne, notre bonne maîtresse, des défauts du roi pour s’incruster et augmenter leur influence ». Comme Boris et Sami.

     

    Et puis, parfois, le maire du palais devenait roi lui-même. Et certains devinrent même de grands rois, détail qui ne manque pas de faire rêver Boris ou Sami, lorsque le poids des dossiers pour celui-ci, la fatigue de la décapitation pour celui-là, les auraient par mégarde entraînés dans quelque sommeil coupable, passager.

     

    Car le vrai maire du palais ne dort pas. Jamais. Il ne doit pas. Nul murmure de la Cour ne doit lui échapper. Toujours à l’affût, le magister palatii aiguise à la fois ses appétits et le couteau sacrificiel, celui qui fera jaillir le sang des rivaux, pendant que le roi sommeille (comme chez Boris), ou se mire (comme chez Sami). Les soirées d’hiver sont longues, dans les temps mérovingiens, alors on tue le temps. Et, dans la foulée, tout adversaire qui pourrait vous faire de l’ombre. On tue pour la jouissance ou pour l’extase, comme chez Boris. On tue la contre-figure trop populaire, comme chez Sami.

     

    Oui, le maire du palais doit tuer. C’est le jeu. C’est le lot des choses humaines. Je vous laisse sur cette délicieuse odeur du sang. Et m’en vais relire ce chef-d’œuvre de Kipling. Un film de John Huston, aussi, interprété avec génie par Sean Connery : « L’Homme qui voulut être roi ».

     

    Pascal Décaillet