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  • Viva la pampa !

     

    Chronique publiée dans la Tribune de Genève - Jeudi 21.01.10

     

    Il est joufflu, joyeux, jovial, il aime la vie. Il est fils de pleine lune et de soleil brûlant, il aime la nuit. Mais ne nous laissons pas prendre : sous le masque étoilé d’une soirée argentine, il y a une précise connaissance de la politique genevoise. Oui, Michel Chevrolet, dans son rêve d’exécutif de la Ville, est crédible. Et peut-être même, si son parti le désigne, éligible.

    Il a pour lui un avantage majeur : il en a envie. Et n’a pas peur de le dire. A l’époque des pisse-froid et des culs-serrés, des atrophiés du désir et des Tartuffes de l’aveu reporté, il est le candidat qui fonce, celui qui chante et qui danse. Si la politique était porcelaine, il serait volontiers son pachyderme, juste un peu ailé, comme le poids moqueur du destin.

    Si le PDC le désigne, alors banco ! Va pour une campagne à l’américaine, avec pom-pom girls, pom-pom boys, poudre de perlimpinpin, steaks T-bone, gorges chaudes, Tinto, nuits câlines, tango. Et le doux cliquetis des casseroles, comme sur les voitures des mariés.

    Si le PDC le désigne, les chroniques politiques pourraient bien se faire en chanson, la campagne deviendrait une grande comédie musicale, un peu de joie de vivre et de Rio del Plata dans le cours grisâtre de notre ordinaire. Un peu de couleur. Juste pour tuer l’ennui. Et, face à la gauche, le goût salé de la Reconquista. Viva la pampa !

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

  • Les apparatchiks

     

     

    On voudra bien me pardonner de reprendre ici une chronique que j'avais rédigée pour la Revue Choisir en janvier 2005. Toute ressemblance avec les mésaventures de Monsieur Claude Béglé étant évidemment aussi fortuite que le passage d'une souris grise sur l'orteil sourcilleux d'un géant jaune.

     

    Ils sont là depuis l'aube des temps, l'Egypte ancienne, Byzance la complexe, la Russie tsariste, la Suisse de la culture: ils sont assis, sûrs d'eux, conscients de leur éternité, ils ont l'arrogante tranquillité des espèces qui auraient précédé l'humanité et seraient pénétrées par la génétique certitude, le jour venu, post-apocalyptique, de lui survivre. Pour les désigner, il faut rendre hommage à la langue russe, sonore et métalliquement charnelle, qui a su leur inventer un nom: les apparatchiks.

     

    Ils existent évidemment partout, dans toutes les sociétés, toutes les entreprises, les grands corps de l'Etat, les médias, les réseaux associatifs, les syndicats d'enseignants, les suppôts professionnels du patronat, les Offices fédéraux, et tout autant dans le privé, ce qui est encore plus surréaliste, comme si tout groupement humain sécrétait  son quota, peut-être invariant d'ailleurs, d'Abyssinie à la Prusse orientale, d'apparatchiks.

     

    Un apparatchik n'est pas nécessairement un inutile. Il doit bien avoir une fonction, puisqu'il existe, jusque dans les firmes les plus sélectives, et qui ne sont pas spécialement enclines, en ces périodes difficiles, à faire des cadeaux. L'apparatchik, généralement, ne s'intéresse que très peu, et de très loin, au produit fabriqué par l'entreprise. Il n'est pas un créatif, encore moins un imaginatif, son enthousiasme est gris comme un stratus d'automne, et pourtant il est là, comme un meuble. L'entreprise le garde.

     

    Car la fonction première de l'apparatchik, et nul n'est besoin d'être spécialiste de Pouchkine pour le saisir, c'est la conservation, l'entretien jaloux, opiniâtre, de l'appareil. Chez Fiat, côtoyant sans les voir les meilleurs dessinateurs de prototypes, l'apparatchik s'occuperait sans doute du journal d'entreprise, ou du cahier de doléances des mécontents, ou du rayon végétarien de la cafétéria, ou de la collecte pour la baignade de bureau sur les bords du Pô, toutes choses éminemment respectables, mais d'un rapport assez lointain, vous en conviendrez, avec la fabrication de voitures. Laquelle me semble tout de même, pour Fiat, une activité assez importante.

     

    Les apparatchiks sont souvent sociables, attachent de l'importance à la bonne ambiance de l'entreprise, n'oublient pas les anniversaires de leurs collègues, les pressent de rester au lit et de ne surtout pas venir travailler au-delà de 37,5 de température corporelle. Comme ils sont là pour l'éternité, ils prennent le temps. Les apparatchiks marchent lentement. Certains d'entre eux fument la pipe, qu'ils ont soin, d'ailleurs, de bourrer avec application et minutie, car, un être humain n'étant jamais totalement imparfait, un apparatchik peut s'avérer d'un rare et appréciable perfectionnisme. Les apparatchiks sont des horlogers, avec juste un point un peu gênant: ils ne produisent jamais la moindre montre. D'ailleurs qu'importe de savoir l'heure, quand on est soi-même éternel?

     

    Les apparatchiks s'associent et s'assemblent. Ils aiment évoquer leurs problèmes, ensemble, devant une tisane, si possible pas trop chaude. Chez Fiat, à Turin, ils ne parleraient jamais du tout dernier modèle, le dernier cri, la voiture de rêve pour tous les Italiens et toute la planète, celle qui partirait à la conquête du monde et ferait exploser les parts de marché. Non. Ils auraient des soucis plus intérieurs: le prochain repas du comité d'entreprise, par exemple. Ou la demande d'un meilleur équilibre nutritif dans les menus de la cantine. Car un apparatchik est très soucieux, toujours, du rapport chiffré entre protéines et glucides, et, si les lipides s'y mettent aussi, il sort immédiatement sa calculette. Dans la poche extérieure gauche. A côté du tabac pour pipe. On est éternel, mais on se conserve, tout de même.

     

    Un apparatchik, prenons toujours notre Turinois de chez Fiat, déteste généralement le cambouis des chaînes de montage. C'est vrai, ces ateliers salissants et bruyants, ces milliers de voitures en devenir, toujours désespérément les mêmes, le bleu de travail de ces prolétaires piémontais, tout cela, se demande l'apparatchik, est-il bien nécessaire à l'entreprise? Car notre apparatchik de chez Fiat a ceci de particulier qu'il n'aime guère les voitures. Il se déplace d'ailleurs toujours en tram, ce qui lui permet d'apprécier plus sereinement les richesses architecturales de Turin. Il éprouve, de plus, un souverain mépris pour la légendaire fascination exercée par la bagnole sur ses compatriotes italiens. Au fond de lui, il en veut à la Fiat de fabriquer des voitures, de caresser, dans le sens du poil, l'égoïsme automobile de la Péninsule.

     

    Car l'apparatchik n'est pas une brute. Il aimerait bien, du haut de ses sandales, une humanité changée. Plus douce. Voluptueuse comme peut l'être la dernière volute de la dernière pipe d'une journée d'été. Le soir, sur les rives du Pô. Loin de ces brutes épaisses, pleines de cambouis, qui s'obstinent, allez savoir pourquoi, à construire des voitures.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

     

  • Identité nationale : et pourquoi pas ?

     

     

    Chronique publiée dans le Nouvelliste - 19.01.10

     

    Identité nationale : en quoi ces deux mots devraient-ils être tabous ? Pourquoi certains, à gauche mais aussi dans une frange métalliquement cérébrale de la droite républicaine, semblent-ils les considérer comme un binôme explosif, à ne toucher en aucun cas ? De quoi ont-ils peur ? Au nom de quoi une nation n’aurait-elle pas le droit, sans la moindre haine pour les autres, sans arrogance, sans supériorité, d’affirmer ce qu’elle est, ce qui fédère ses citoyens, quelles sont ses valeurs ? Si elle ne le fait pas, son extrême-droite le fera pour elle, confisquera le thème, se l’appropriera, ce qui est un peu dommage, non ?

    Prenons la Suisse, vous me direz que ça n’est pas exactement une nation, au sens de Valmy ou de Jemmapes, je vous l’accorde. Mais enfin c’est un pays, qui est le nôtre et que nous aimons. De gauche, de droite, hommes, femmes, jeunes ou vieux, latins ou germanophones, avec toute l’étendue de nos différences, nous nous reconnaissons, l’immense majorité d’entre nous, dans le charme discret de cette petite démocratie d’Europe centrale, son système politique, la nécessité de nous respecter mutuellement. N’est-ce pas là, déjà, un sacré début d’identité ?

    Le danger, ça n’est pas l’identité nationale. Le danger, c’est définir cette dernière comme une valeur du sang, ou de la race, ou de la génétique. Alors qu’il s’agit, à l’évidence, et comme l’a remarquablement montré Anne-Marie Thiesse, d’une construction. Le dix-neuvième siècle récupère Jeanne d’Arc ou Guillaume Tell, brandit des mythes, façonne des générations d’élèves. Mais être le fruit d’une construction (intellectuelle ou sentimentale), ça n’est pas rien, c’est déjà un début d’identité. Etre les héritiers de ceux qui ont construit notre démocratie directe, notre fédéralisme, nos assurances sociales, c’est déjà l’amorce d’un trésor commun : notre pays, notre Histoire, nos forces, nos fragilités, nos engueulades aussi, c’est tout cela un pays.

    Identité nationale : deux dérives possibles. L’une, c’est d’en faire le vecteur de la loi du sang, donc de l’exclusion. L’autre, c’est la gommer, comme si elle n’existait pas. Comme si la part du sentiment, surgi du sol, ne comptait pour rien dans le tellurisme de l’appartenance. Librement consentie. Pour un pays qu’on aime.

     

    Pascal Décaillet