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  • Pleins et déliés

     

    Notes de lecture - Tribune de Genève - Jeudi 24.12.09

     

    Dieu qu’elle est vive et chaude, l’écriture de Chessex, celle qui surgit de sa main. Souple, soignée, légèrement penchée à droite, plus pleine que déliée, espacée, lisible. Six mots par ligne, un blanc par paragraphe : c’est écrit pour être lu.

    Lu, par qui ? Par Michel Moret, l’infatigable éditeur de l’Aire, à qui elles furent adressées, et qui a l’heureuse idée des les publier ? Ou plutôt, lues par nous, le public, à qui, de l’aveu même de Moret, elles furent aussi, et par-dessus l’épaule de la mort, destinées.

    En tout cas, les voilà. Géniale idée de les avoir reproduites à l’état brut. Poème né dans le TGV. Fragments de quotidien, où la banalité côtoie le feu des Exercices spirituels. Toute sa vie, Chessex a, littéralement, tenu la plume : il aurait écrit des dizaines de milliers de lettres au seul Jérôme Garcin.

    Aux élèves, il faudrait beaucoup plus montrer les textes dans la nudité du manuscrit. Ca n’est pas rien, écrire à la main. C’est un choix. Ca n’est pas rien, la plume sur le papier. De l’Imitation de Jésus-Christ à la Cité de Dieu, Chessex nous pose, à l’état brut, la question spirituelle. A l’évidence, elle le hante. Ca n’est pas rien, ces quelques lettres. Pour notre esprit. Et pour le pur plaisir de l’œil.

     

    Pascal Décaillet

     

    *** Jacques Chessex – Une vie nouvelle – Lettres à Michel Moret – L’Aire, décembre 2009.

     

     

  • Serions-nous devenus des porcs de hasard ?

     

    Chronique pour le Giornale del Popolo - 23.12.09

     

    Des mirages de Libye à l’évaporation du secret bancaire, des colères de Monsieur Woerth, le ministre français du budget, à celles des Allemands, des Italiens, ou même des Yankees, en passant par l’une des présidences de la Confédération les plus évanescentes depuis des lustres, 2009 apparaît, disons au moins en première lecture, comme l’annus horribilis des trente ou quarante dernières années. Année sombre. Année à oublier. Une sorte de « Dies irae », multiplié par 365. Qu’aurions-nous fait, nous les Suisses, pour mériter cela ? A quel dieu vengeur aurions-nous oublié d’adresser nos offrandes ? Aurions-nous marché impoliment sur le pied délicat de la Providence ? Serions-nous fatigués de vivre notre destin national ? Grippés, comme des porcs de hasard ? Désignés par la vindicte céleste ?

     

    Bien sûr, on nous dira, en cette opulence de Fêtes, que le pays ne va pas si mal. Les indicateurs économiques commencent à faire frissonner la timidité d’une reprise, la consommation n’est pas en reste, les Suisses ne sont pas au bord du suicide, nos skieuses pulvérisent les records, Simon Amman saute plus loin que son ombre, Vancouver nous ouvre les bras, le réchauffement de la planète n’a pas encore fait fondre nos espoirs de nous aimer et de nous séduire mutuellement, bref, comme le chantait Charles Trenet, « C’est la vie qui va ! ». Et elle ne va pas si mal, au fond. Allez, quoi, ressaisissons-nous, ré-empoigons la fureur de vivre, nous n’allons tout de même pas nous laisser dicter nos états d’âme par quelque improbable campeur, surgi des profondeurs désertiques de la Cyrénaïque ou de la Tripolitaine. Vous n’avez jamais été traversé par l’idée que tout cela ne serait qu’un mauvais rêve ? L’heure sonnerait, et d’un coup, adieu prince du désert, adieu listes noires, adieu espions italiens, adieu comptes cachés, adieu les chérubines impuissances de Monsieur Merz. L’heure sonnerait, et la vie reprendrait, la vraie, celle qui fleure le désir. La vie, quoi.

     

    Donc, nous ne serions plus que des porcs malades. Des pourceaux, dans la fange. On nous jetterait des perles, on nous jetterait des sorts. Nous ne serions plus que les animaux domestiques de notre destin. Nous n’aurions plus ni compagnons de voyage, ni espoir de retour. Il nous faudrait oublier la Suisse comme d’autres ont oublié Ithaque. Et même pas l’ombre d’un minaret pour échapper aux feux de la vengeance : nous les avons, nous-mêmes, interdits ! Nous serions donc là, seuls. Seuls avec nous-mêmes. Seuls avec notre viscérale méfiance de l’étranger. Seuls, désertés par ce qui fut notre fierté. Seuls, comme Monsieur Merz, lorsqu’il doit prendre une décision. Seuls, au milieu des comptes cachés des autres, les mêmes peut-être qui nous vilipendent. Imaginez ce rêve : le compte de Monsieur Woerth, le compte de Monsieur Steinbrück, le compte du chef des douanes italiennes, le compte du Pape. Nous ne serions plus, nous les Suisses, que les concierges de la cupidité du monde. Des porcs de hasard, qu’on veut bien tolérer, en attendant le destin de tout porc qui se respecte : l’équarrissage.

     

    C’est une optique, au fond : on sous-estime les secrètes délices de la condition porcine. Elle mène à la saignée, c’est vrai, mais sur un long chemin d’engraissement qui peut être vécu, avec un peu d’optimisme, comme une intéressante logique de vie. Le porc est omnivore : nulle nourriture ne lui est étrangère. De tout, du régal comme de l’immondice, il s’enrichit. C’est peut-être cela, la Suisse : point d’équilibre entre l’auge et le palais, grise platitude et élan bleuté des sommets. L’aigreur du cauchemar et ce qu’il est convenu d’appeler, dans la chanson, le « brillant réveil ».

     

    A tous, excellente année 2010. Elle ne pourra, assurément, qu’être meilleure.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Ils étaient grands, ils sont vieux, ils sont partis


    Dans l’histoire des libéraux-radicaux suisses, ce lundi de solstice restera comme un grand moment de nuit et de silence, au milieu de ceux qui se disent de parole et de Lumières. Existent-ils encore, les radicaux ? Ceux de ma jeunesse, les Delamuraz, les Segond, les Petitpierre, les Comby, les Thierry Béguin, les Schoch, les Rhinow, les Fritz Schiesser ? Ces hommes, ces femmes qui, tout en défendant la vitalité de l’économie, incarnaient une certaine idée de l’Etat, une certaine majesté de la fonction publique, qui consistait non à se servir, mais à servir.

    Hier, la presse alémanique a dévoilé un projet, en matière de santé, dont j’ai dit l’hygiénisme, limite eugénisme, dans mon précédent texte. Aujourd’hui, nous avons tenté de les appeler, ces libéraux-radicaux partis à la chasse aux gros. A part Christian Lüscher, qui, lui, assume, nous voici devant l’armée des ombres. Les murs, on les rase. Les lèvres, on les maintient bien serrées. Manifestement, on enrage que ce projet soit sorti sur la place publique, on s’étouffe, on piafferait d’exprimer son désaccord, mais non. Motus.

    Il est fort, Pelli, tout de même, pour imposer le silence, aligné couvert, à un parti dont le nom lui-même, si beau (Freisinn), appelle pourtant à la liberté de l’esprit, celle de la conscience, de l’arbitre intérieur, ce que les Lumières ont produit de plus fort. Du coup, l’univers radical, si prompt depuis 160 ans à railler les fidélités ecclésiales, apparaîtrait presque, lui, comme une forme de cléricature. A matrice froide.  Avec un chef, qui dit la grand-messe. Une parole déjà écrite, qu’il ne resterait qu’à lire. Et l’armée des intermédiaires, qui nous aiment et qui veillent.

    Mais veiller, en cette période de l’année où les nuits sont si longues, n’est-ce pas le propre de ceux qui cherchent à nous sauver ? Grâce leur en soit rendue. A cela près qu’en intercédant pour notre salut, ils oublient leur propre perte. Vivement que les jours rallongent. Et qu’on y voie plus clair.

     

    Pascal Décaillet