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  • Un Tschudi, un Furgler, un Delamuraz

    Jeudi 23.07.09 - 18.15h

    Dans la longue, l’estivale attente du 16 septembre, une question. C’est quoi, au fond, un bon, un grand conseiller fédéral ? Un Tschudi, un Furgler, un Delamuraz. Un surdoué, une tête qui dépasse, un qui aurait tout réussi ? Un gentil collégial, ou alors un chef solitaire, intransigeant ? À la vérité, rien de tout cela. Ou plutôt rien de cela, tout seul. La Suisse est une mosaïque, une petite fleur fragile, la subtilité des équilibres y joue un rôle crucial. Alors oui, un grand conseiller fédéral, un Tschudi, un Furgler, un Delamuraz doit sans doute être, avant tout, un passeur d’équilibres, celui qui avance, mais pas trop vite, celui qui devance, mais sans lâcher ceux qui suivent, celui qui voit loin, mais sans oublier de regarder juste devant ses pieds. Comme en montagne.

    Tschudi, socialiste bâlois, 1959-1973. Immense conseiller fédéral. Plusieurs réformes de l’AVS, menées au pas de charge, on parlait de son « tempo ». Un sens profond du pays, une vision d’avenir ancrée dans la réalité du terroir.

    Furgler, 1971-1986, démocrate-chrétien saint-gallois. La très grande classe au plus haut de nos affaires. La connaissance des langues, subtile. Un français impeccable. Un vaste chantier de réformes juridiques. Face à l’étranger, face à Reagan, Gorbatchev, il représentait le Genevois aussi bien que l’Uranais ou le Tessinois.

    Delamuraz, 1983-1998. Celui des trois que j’ai eu le plus l’honneur d’approcher. Un homme simple et travailleur, festif et joyeux, aimant son pays à un point qu’on n’imagine guère. L’homme d’un grand combat, d’une grande querelle, l’Europe. Il a perdu, mais s’est battu. Avec courage. Jusqu’au bout.

    La grande question du 16 septembre n’est pas tant de compter les chromosomes latins des uns et des autres. Elle n'est pas non plus, cette fois, celle du sexe, ni d’un canton ou d’un autre. Elle n’est même pas celle de la rivalité d’épiciers entre libéraux-radicaux et démocrates-chrétiens. Entre l’univers de la gauche (socialistes et Verts) et celui de l’UDC, les héritiers de 1848 et ceux de Léon XIII constituent aujourd’hui, si on sait regarder avec un peu d’ampleur, une seule et même famille, avec un bon 90% de valeurs communes. Dans l’idéal, il faudrait pouvoir choisir le meilleur, ou la meilleure, de tous, dans l’offre cumulée du PLR et du PDC. Dans l’idéal, oui, c’est-à-dire dans dix mille ans, lorsque la Suisse sera sortie de l’ère des apothicaires.

    Alors quoi ? Qui, dans les actuels candidats, déclarés ou putatifs, nous semblerait porter les germes d’un Tschudi, d’un Furgler, d’un Delamuraz ? Qui aurait assez de compétences, d’amour du pays, de vision d’avenir, de proximité avec les gens pour devenir, au sein du collège, une véritable personnalité capable de faire avancer la Suisse ? N’est-ce pas là, bien au-delà des sectes, des fiefs, des corporatismes, la seule question qui vaille ? Avez-vous la réponse ?

    Pascal Décaillet

  • L’été des apothicaires

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    Mercredi 22.07.09 - 09.50h

    Il n’y a sans doute pas, en Suisse, davantage d’apothicaires au kilomètre carré que dans les pays qui nous entourent. Mais en Suisse, dans le jeu politique, ils font la loi. Le royaume de l’équilibre par le soupesage, où la pipette et la burette sont souveraines, la balance déesse. C’est comme si « Madame Bovary », le roman, s’appelait en fait « Monsieur Homais », l’apothicaire y luirait, solaire, en personnage principal, l’énigmatique Emma n’y ferait que passer, avec la fébrilité de ses désirs, ombre fugace au milieu des rayonnages.

    Apothicaire, en soi, est un très beau métier. Contrairement au charlatan, qui est un itinérant, un vagabond, l’apothicaire est installé. Il a pignon sur rue. Il a pour lui l’immobilité des Assis. De sa boutique, à l’abri des intempéries, il concocte recettes et mixtures. Il a pour lui le début de rotondité qui en fera un jour un notable. C’est ainsi : il faut de tout pour faire un monde. Même des apothicaires.

    Alors voilà, par quelle alchimie, quel procédé philosophal cette fonction d’appoint et d’intendance s’est-elle transmuée, en Suisse, en déterminisme cardinal de l’élection de nos ministres, au plus haut niveau ? Au point que les fils du Ciel et ceux de la Raison, opposés en 1847, réconciliés depuis 1891, passent leur temps à compter et recompter leurs forces pour prouver leur légitimité à occuper un siège vacant. Ils ne disent pas « Nous sommes les meilleurs », ni même « Celui-ci, des nôtres, est assurément le meilleur », mais « En pourcentage cumulé de voix ou de suffrages, nous surpassons de tant de poussières chiffrées nos concurrents ». Ce qui n’est ni Parole du Seigneur, ni Parole de Raison, mais juste parole d’apothicaire.

    Le pouvoir des apothicaires, en Suisse, a pris un tel empire qu’il s’exerce désormais dans toutes les régions du pays, avec, cet été, un singulier succès au sud des Alpes. Camouflé sous la devanture d’une étude d’avocats, Maître Fulvio s’exerce nuit et jour à l’extrême précision des poudres et des liquides. Il compte, calcule, compare, énumère les gouttes, rêve d’or, la nuit. Maître Fulvio, qui est déjà notable sans avoir pris du ventre, pourrait sortir de son échoppe, faire valoir ses propres mérites en pleine lumière. Mais non, le Maître préfère la vertu de l’ombre souveraine, celle qui enveloppe les vrais désirs. Maître Fulvio est un joueur, et un jouisseur. Solitaire.

    La logique des apothicaires, le 16 septembre, l’emportera-t-elle ? Le génie suisse sera-t-il capable, en moins de deux mois, de lui opposer une autre force, de puissance, de cohérence et d’instinct ? Surtout, incarnée par qui ? Pour quel programme ? Quelle ambition pour le pays ? Quels désirs de changements ? Quelle vision du Contrat social en Suisse, de la place de notre pays dans le concert des nations ? Fondamentales, ces questions, pour l’heure, ne sont guères apparues dans la campagne. Il serait temps, pourtant, qu’elles entrent en scène. Le siège laissé vacant par Pascal Couchepin n’étant pas celui d’un apothicaire. Mais d’une femme ou d’un homme qui devra, avec ses six collègues, inventer le destin de la Suisse de demain.

    Pascal Décaillet







  • À propos du désir en politique

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    Mardi 21.07.09 - 16h

    Oser dire « Oui, j’aime le pouvoir. Oui, je le veux, oui j’en rêve. Oui, la braise de ce désir-là, depuis l’aube de mes jours, me réchauffe, m’illumine ». Avoir cette franchise, cette simplicité, cette rectitude dans l’énoncé de la convoitise, c’est ce qui fait défaut à certains ténors, nous l’évoquions dans notre billet de dimanche matin, dans l’actuelle course au Conseil fédéral. François Mitterrand, le prince de toutes les campagnes, mais aussi Jacques Chirac, ou même Pascal Couchepin lorsqu’il s’agissait de succéder à Jean-Pascal Delamuraz, ne faisaient, après tout, pas tant d’histoires. Les premiers, ils se déclaraient. Et au final, l’emportaient. Il est des occurrences, oui, où le désir est si calcinant qu’il ravale aux orties les pusillanimes artifices de la tactique.

    Alors, ces (fausses) pudeurs de la campagne 2009, d’où viennent-elles ? Sont-elles cosmiques, ou simplement suisses ? Liées à l’aspect indirect de l’élection, convaincre 124 personnes, plutôt que plusieurs millions ? Cet aveu sans cesse reporté, si touchant lorsqu’il s’agit de transport amoureux, pourquoi commence-t-il, en cette espèce qu’on admettra plus prosaïque, à fatiguer l’opinion publique ? Y aurait-il des mystères du désir politique comme il existe des mystères de l’Ouest, une face cachée aux Lumières des exégètes ?

    À ce stade, réitérons l’hommage à ceux qui, depuis le 12 juin, ont osé le message clair : ceux qui, même avec de faibles chances, se sont lancés dans la bataille. Ceux aussi qui, comme François Longchamp ou Pierre Maudet, ont fait savoir sans tarder qu’ils ne seraient pas de cette bataille-là.

    Pour les autres, les princes noirs du désir retardé, qu’ils soient flandrins des glaciers ou apothicaires transalpins, ou encore hobereaux de terre vaudoise, il n’est pas sûr que cette école politique de la coulisse et de la dissimulation serve grandement les intérêts du pays, ni, plus simplement, la pérennité d’un système indirect qui vit peut-être ses dernières années.

    Ainsi, la démocratie chrétienne. Nous l’avons dit et répété, cette famille politique est en droit de revendiquer le siège perdu par Ruth Metzler, en droit d’essayer en tout cas. Mais alors, puisqu’elle l’a annoncé, qu’elle le fasse. Avec clarté, courage, cohérence de programme, qu’elle se lance, oui, qu’elle défende ses couleurs, et que, le 16 septembre, le meilleur gagne. Au lieu de cela, que voit-on ? Des candidats putatifs qui rasent les murs, s’épient, attendent fraternellement que l’autre commette une erreur, aimeraient tant qu’on vienne les chercher, bref voudraient être conseillers fédéraux, mais n’ont pas envie d’être candidats.

    De cet obscur marécage naît le surréalisme. Ici, c’est Cina qui voudrait prendre un siège, là c’est l’annonce que le candidat du parti ne sera connu que le…….. 8 septembre (Jour de la Nativité de la Vierge), soit huit jours seulement avant le jour j ! On voudrait discréditer définitivement le système d’élection par l’Assemblée fédérale, on ne s’y prendrait pas autrement.

    À moins que la réalité soit plus rude. En politique, tout est affaire de désir. Et si la démocratie chrétienne suisse était, sur ce coup-là, désertée par le désir ? Parce qu’elle aurait fait ses calculs, aurait reconnu que, tout de même, les forces libérales-radicales sont plus importantes, donc plus légitimantes. Ou alors, plus simplement, la peur du péché. Le siège à reconquérir, comme fruit défendu. Fils de Caïn, fils d’Abel, les démocrates-chrétiens suisses seraient là, juste sous l’Arbre, à contempler l’Objet, paralysés. Panne de libido. Panne d’existence. Comme il y a des pannes d’essence.

    Mais au fond, qu’y a-t-il, à l’Est d’Eden ? Un autre Paradis ? L’Enfer ? Ou alors, peut-être, la vraie vie ? Celle où les humains se salissent les mains pour mieux se laver l’âme, camouflent les plus impérieux de leurs désirs pour mieux les rejeter. Elle n’est pas simple, la politique. La vie, encore moins. Et nous ne sommes que le 21 juillet. Et il est encore si loin, le 16 septembre.

    Pascal Décaillet