Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

L’été des apothicaires

apothicaire.gif

Mercredi 22.07.09 - 09.50h

Il n’y a sans doute pas, en Suisse, davantage d’apothicaires au kilomètre carré que dans les pays qui nous entourent. Mais en Suisse, dans le jeu politique, ils font la loi. Le royaume de l’équilibre par le soupesage, où la pipette et la burette sont souveraines, la balance déesse. C’est comme si « Madame Bovary », le roman, s’appelait en fait « Monsieur Homais », l’apothicaire y luirait, solaire, en personnage principal, l’énigmatique Emma n’y ferait que passer, avec la fébrilité de ses désirs, ombre fugace au milieu des rayonnages.

Apothicaire, en soi, est un très beau métier. Contrairement au charlatan, qui est un itinérant, un vagabond, l’apothicaire est installé. Il a pignon sur rue. Il a pour lui l’immobilité des Assis. De sa boutique, à l’abri des intempéries, il concocte recettes et mixtures. Il a pour lui le début de rotondité qui en fera un jour un notable. C’est ainsi : il faut de tout pour faire un monde. Même des apothicaires.

Alors voilà, par quelle alchimie, quel procédé philosophal cette fonction d’appoint et d’intendance s’est-elle transmuée, en Suisse, en déterminisme cardinal de l’élection de nos ministres, au plus haut niveau ? Au point que les fils du Ciel et ceux de la Raison, opposés en 1847, réconciliés depuis 1891, passent leur temps à compter et recompter leurs forces pour prouver leur légitimité à occuper un siège vacant. Ils ne disent pas « Nous sommes les meilleurs », ni même « Celui-ci, des nôtres, est assurément le meilleur », mais « En pourcentage cumulé de voix ou de suffrages, nous surpassons de tant de poussières chiffrées nos concurrents ». Ce qui n’est ni Parole du Seigneur, ni Parole de Raison, mais juste parole d’apothicaire.

Le pouvoir des apothicaires, en Suisse, a pris un tel empire qu’il s’exerce désormais dans toutes les régions du pays, avec, cet été, un singulier succès au sud des Alpes. Camouflé sous la devanture d’une étude d’avocats, Maître Fulvio s’exerce nuit et jour à l’extrême précision des poudres et des liquides. Il compte, calcule, compare, énumère les gouttes, rêve d’or, la nuit. Maître Fulvio, qui est déjà notable sans avoir pris du ventre, pourrait sortir de son échoppe, faire valoir ses propres mérites en pleine lumière. Mais non, le Maître préfère la vertu de l’ombre souveraine, celle qui enveloppe les vrais désirs. Maître Fulvio est un joueur, et un jouisseur. Solitaire.

La logique des apothicaires, le 16 septembre, l’emportera-t-elle ? Le génie suisse sera-t-il capable, en moins de deux mois, de lui opposer une autre force, de puissance, de cohérence et d’instinct ? Surtout, incarnée par qui ? Pour quel programme ? Quelle ambition pour le pays ? Quels désirs de changements ? Quelle vision du Contrat social en Suisse, de la place de notre pays dans le concert des nations ? Fondamentales, ces questions, pour l’heure, ne sont guères apparues dans la campagne. Il serait temps, pourtant, qu’elles entrent en scène. Le siège laissé vacant par Pascal Couchepin n’étant pas celui d’un apothicaire. Mais d’une femme ou d’un homme qui devra, avec ses six collègues, inventer le destin de la Suisse de demain.

Pascal Décaillet







Les commentaires sont fermés.