Quand les femmes socialistes font avancer le débat
Dimanche 17.08.08 - 09.35h
Avec près de 500 jours d’armée accomplis dans ma jeunesse, principalement dans les années 70 et 80, je ne crois pas faire figure, dans le pays, d’antimilitariste notoire. Pourtant, je salue l’idée des femmes socialistes, annoncée aujourd’hui dans le Matin dimanche, de laisser chaque citoyen suisse, homme ou femme, s’engager ou non dans un service militaire ou civil.
Charge, bien sûr, à la Confédération (si les femmes socialistes n’ont pas prévu ce point, je l’ajoute), d’assurer, pour les tâches strictement militaires, les métiers d’armes et de combat, un corps professionnel souple, hyper-performant, mobile, en fonction des dangers modernes, évidemment pas la guerre de chars frontale, mais par exemple l’action terroriste. Tout en laissant, bien sûr, Ueli le climatique aller guetter les tornades, dans son grand ciré vert, au sommet des montagnes.
Pendant toute l’année 1990, j’ai participé à un groupe de réflexion nationale, voulu par Kaspar Villiger, destiné à redéfinir les tâches du système suisse de sécurité, suite à la votation sur l’abolition de l’armée, le 26 novembre 1989. C’était la commission Schoch, du nom de cet excellent conseiller aux Etats radical des Rhodes-Extérieures d’Appenzell, l’un des meilleurs parlementaires que j’aie connus à Berne. Nous étions juste après la chute du Mur, nos esprits étaient libres, sans tabous, nous nous sommes réunis près de 25 fois, dans toute la Suisse, nous avons planché sur bien des scénarios.Ce fut l’une des sources d’inspiration d’Armée 95. On ne dira jamais assez à quel point Kaspar Viliger, puis Adolf Ogi, ont fait évoluer une institution qui en avait incroyablement besoin. L’homme qui traîne et qui peine, c’est Samuel Schmid.
Connaissant l’armée de l’intérieur, j’avais posé, au sein de ce groupe de travail (auquel participaient aussi, parmi d’autres, les professeurs Uli Windisch et Martin Killias), la question du service volontaire, persuadé que le mythe usé de la milice n’en avait plus pour très longtemps. Mais l’idée, il y a deux décennies, n’était pas mûre. Le mythe de la milice, en Suisse, est ancré comme une huître dans son fragment de rocher. Incrusté dans les consciences. La réalité de 2008 est bien différente : 60% d’appelés, aujourd’hui, se font réformer. L’armée, dans ces conditions, est-elle encore le creuset du peuple ?
Et puis, quoi ? Un voisin comme la France, qui a une autre tradition militaire, une autre Histoire que la nôtre, ce pays, qui, au cours des siècles, ne s’est fait que par l’épée, sur tous les champs de bataille d’Europe, a renoncé, sous l’impulsion de Jacques Chirac, au milieu des années 1990, à la conscription obligatoire. Le pays des Soldats de l’An II et de la Grande Guerre ! Son armée, aujourd’hui, extraordinairement professionnelle, est-elle moins performante qu’avant ?
La question de l’armée de métier, en Suisse, est à l’ordre du jour. La conscription obligatoire, là où seulement 40% des citoyens mâles finissent par servir, est devenue un mythe vidé de sa substance. La Suisse, comme tout pays du monde, aura toujours besoin d’une armée pour assurer sa sécurité et défendre ses intérêts. Vouloir y intégrer la masse des citoyens n’a plus de sens. En cela, les femmes socialistes ont raison de réveiller le débat. Tout au plus pourrait-on attendre de la droite suisse, celle qui n’est ni abolitionniste, ni nationaliste isolationniste, qu’elle existe dans la discussion avec un peu plus d’ardeur, d’audace et d’imagination.
Pascal Décaillet