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  • Le curé, les grenouilles, les Bedjuis



    Mardi 12.08.08 – 08.10h

    Isérables : l’un des plus beaux balcons du Valais romand. Un village de légende, perché sur la vallée du Rhône. Des mayens magnifiques et préservés, avec, à l’alpage de Balavaud, les plus vieux mélèzes du monde.

    À tous ceux qui veulent bien la visiter, Isérables propose cette année un parcours sonore, en quatorze points. Cela commence dans le téléphérique, qu’on prend à Riddes, et se poursuit dans le village. On y entend les sons du monde, tout ce qui respire la vie du lieu, à commencer par un coassement de grenouilles. L’idée est riche, originale, et plaît à tous.

    Sauf que le curé du village, nous révèle mon confrère Joël Cerutti dans le Matin d’aujourd’hui, de retour de vacances, n’a pas du tout apprécié la septième station, un travail de l’un des grands de la musique contemporaine, Pierre Mariétan, dans son église. Et il l’a censuré. Le président de commune, le sage et habile Narcisse Crettenand, semble avoir finalement arrangé les choses, mais le signal de l’index, tout de même, a été donné.

    Le curé, Marie-Joseph Huguenin, a évidemment le droit de ne pas aimer la musique contemporaine, et de lui préférer le grégorien. Que quelques Bedjuis (les habitants d’Isérables) se soient plaints d’avoir cette musique, et ses accents tibétains, en continu, cela peut aussi se comprendre. Mais tout de même : ce niet d’emblée, malgré le revirement qui a suivi, fleure la pire des fermetures.

    On ajoutera, pour être complet, que l’ego des artistes n’arrange pas toujours les choses : le curé avait un moment proposé de rétablir l’œuvre, pour peu qu’elle fût actionnée volontairement par les visiteurs, plutôt que d’être diffusée en continu. Mariétan a aussitôt rétorqué que cela amputait l’œuvre dans son essence. Il y a des moments, tout de même, où il ne faut pas pousser. Et des fondamentalismes, parfois, qui ne sont pas toujours religieux.

    Au fait, un parcours en quatorze stations, ça ne vous rappelle rien ? Peut-être le musicien et l’abbé pourraient-ils un jour le faire ensemble, en portant alternativement la croix de la solitude et de l’incompréhension.

    Pascal Décaillet

  • Les petits calculs d’Ueli Leuenberger



    Dimanche 10.08.08 – 20.20h

    Ou : de l’hapax du 12 décembre 2007…

    Invité sur une onde publique, il y a quelques minutes, à débattre de l’avenir du Conseil fédéral, Ueli Leuenberger vient de nous délecter de son petit numéro, au moins trihebdomadaire, parfaitement rodé, dans lequel il plaide pour l’objectif qui, tout entier, l’habite : l’entrée d’un Vert au gouvernement suisse.

    Au-delà de l’omniprésence estivale du président des Verts dans l’espace médiatique, et surtout de la pieuse béatitude avec laquelle sont accueillis ses propos par ceux qui les récoltent, il faut décrypter la stratégie d’Ueli Leuenberger en vue de l’exécutif fédéral. En précisant – j’y tiens – que se battre pour un siège gouvernemental n’a évidemment rien de choquant, en soi, quand on fait de la politique en Suisse.

    Si le système suisse doit être proportionnaliste, alors, comme il y a sept conseillers fédéraux, il faudrait grosso modo passer la barre des 14% aux élections fédérales pour pouvoir prétendre à un siège à l’exécutif. Les Verts, avec leurs 9,6% obtenus le 21 octobre 2007, en sont loin.

    Dès lors, Ueli Leuenberger préfère s’inscrire dans la logique de l’alliance. Logique que je partage totalement, sur le principe : le gouvernement de la Suisse, comme celui d’un canton, doit être le fruit d’une coalition, avec un programme d’action, une cohérence, une colonne vertébrale idéologique, je viens de le rappeler dans mon récent papier sur les élections valaisannes. Surtout, un gouvernement ne doit pas se contenter de n’être que le simple reflet proportionnel des forces du parlement. Sur ce point-là, je rejoins Ueli Leuenberger. Il ne m’a jamais choqué, par exemple, que le FDP allemand (les libéraux) aient des ministres dans des cabinets, même avec moins de 10%. Pour peu qu’ils fussent, clairement, dans la coalition des vainqueurs, aux élections.

    Dès lors, quelle coalition, en Suisse, pour permettre aux Verts d’avoir un conseiller fédéral ? Avec les seuls socialistes, ils ne totaliseraient que 29% du corps électoral. D’où, bien sûr, la tactique consistant à tenter quelque chose avec le PDC. Le coup du 12 décembre ayant réussi avec cet axe-là (agrémenté de quelques trahisons sporadiques à droite), Ueli Leuenberger se dit qu’on pourrait le réitérer sur des dossiers thématiques. Voire élargir cette entente à quelque chose de plus.

    Face à ce petit jeu, un homme occupe une fonction-charnière: Christophe Darbellay. Si le président du PDC suisse, le 12 décembre 2007, a fricoté avec Christian Levrat et Ueli Leuenberger, c’était sur un coup précis, ponctuel, personnel : avoir la peau de Christoph Blocher. Ce que j’en pense, on le sait, je n’y reviendrai pas. Mais toute personne honnête doit admettre que, depuis, le Valaisan, a donné suffisamment de garanties à la droite suisse pour qu’on puisse considérer le coup de décembre comme un « hapax », un événement qui ne se produit qu’une fois (ou un mot, dans un corpus littéraire, qui ne survient qu’une fois). Au point que cet événement ne serait en rien l’indice d’un renversement d’alliance.

    Cela, il est important que Christophe Darbellay le signifie, pendant tout le reste de la législature, avec une totale clarté au président des Verts. Le PDC peut certes s’entendre avec ces derniers sur des questions climatiques, mais il doit se rappeler, clairement, que ses fondements idéologiques, philosophiques, économiques, son siècle de pratique politique en Suisse, le rattachent à la famille de la droite. Se souvenir, aussi, que, dans les grandes échéances électorales, les Verts votent TOUJOURS avec la gauche. Et même avec une belle discipline. Au jeu de l’illusion centriste, cette grande mode des « passerelles », il y a toujours un corbeau et un renard, un rusé et un dupé.

    Dans le rôle du renard, Ueli Leuenberger, j’en conviens, se déploie avec un certain talent. Le problème, ça n’est pas son obsession fromagère. Ce serait plutôt la propension de certains oisillons de la politique suisse à lâcher leur proie, dès que surgit le Rayon vert. Tellement tendance. Et tellement mode.

    Pascal Décaillet

  • Cohn-Bendit et la Grande Muraille de l’énormité



    Vendredi 08.08.08. – 19.30h

    De Mai 68, on connaissait déjà l’extrême finesse ciselée, toute en nuances, du slogan « CRS-SS ! », qui assimilait les Compagnies républicaines de sécurité de la fin des années soixante, en France, aux pires phalanges du pire régime du vingtième siècle. Pour la grâce d’une homophonie, certes sonore et efficace à l’oreille, et les périlleuses délices d’une hyperbole, on plaquait sur les murs, sans sourciller, l’un des amalgames les plus ahurissants de l’après-guerre. Le chef des étudiants, en mai 68, s’appelait Daniel Cohn-Bendit.

    Quarante ans plus tard, le même homme, aujourd’hui député européen des Verts, compare la Chine de 2008 à l’Allemagne hitlérienne de 1936. « Etait-il juste, en Allemagne en 1936, d’aller serrer la pince à Hitler ? ». Cela pour condamner le voyage de Nicolas Sarkozy à Pékin.

    Oh, certes, ne comptez pas sur moi pour défendre l’actuel régime chinois. Nous savons ce que, là-bas, il advient des droits de l’homme. Nous connaissons, aussi, la question tibétaine. Mais se référer au nazisme, là nous ne sommes plus dans le simple registre de l’oxymore, mais dans celui de la ligne jaune franchie à pieds joints, avec toute l’allégresse de l’ignorance de l’Histoire. Registre dans lequel notre cher locuteur, depuis quatre belles décennies, se plaît à exceller avec une métronomique régularité.

    On nous dira que le Reich de 1936 n’est pas encore celui des années 1942-1945, celles de la Conférence de Wannsee et de la solution finale. Certes. Mais l’horreur absolue de la déportation et du génocide, cette Allemagne de l’année olympique les porte déjà en germes. « Mein Kampf », écrit une décennie plus tôt par Adolf Hitler, est, en cette année 1936, un best-seller : l’idée d’éliminer une communauté humaine, en tant que telle, y est très clairement libellée et soutenue. Et puis, les lois de Nuremberg datent du 15 septembre 1935. Je suis désolé, mais la Chine de 2008, toute condamnable soit-elle, ça n’est pas encore exactement cela.

    Quant à Cohn-Bendit, n’ayez aucune crainte pour lui. Il survivra parfaitement à ce dérapage. L’océan de béatitude médiatique dans lequel il baigne depuis ses jeunes années, l’immunité dont il jouit (sans entraves, of course), tout cela lui assure encore, pour de longues années, toute latitude pour franchir quand il le veut, la Grande Muraille de l’ineptie et de l’énormité.

    Pascal Décaillet