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  • Parlons clair, camarades !

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 16.10.24

     

    Lorsque j’ai décidé, il y a bientôt quarante ans, de consacrer ma vie au journalisme politique, j’ai pris, face à moi-même, un engagement : celui de parler clair. Mon domaine de prédilection étant la politique fédérale, j’ai eu du boulot ! Débarquer à Berne, à l’époque comme sans doute encore aujourd’hui, c’était pénétrer dans un monde crypté. En plus, nous étions logés, les journalistes radio et TV, à l’intérieur même du Palais fédéral, troisième étage, sous les toits, juste au-dessus des Chambres fédérales. Nous étions des Vestales, dans un sanctuaire

     

    Mon problème n’a jamais été l’allemand. Je parle cette langue. Non, c’était la technocratie des mots, qui venait se glisser jusque dans les sujets les plus simples. Alors, j’ai pris mon bâton de pèlerin, et je me suis juré une chose : aussi complexe soit le sujet, toi, devant un micro, dès la Revue de presse alémanique (je me levais avant cinq heures, je passais à la gare de Berne, où m’attendait un paquet de journaux ficelés dans un kiosque, je les lisais, je présentais la séquence en direct dans la Matinale), jusqu’au soir, toi, TU SERAS CLAIR !

     

    Aujourd’hui encore, pas de débat sans une exigence absolue de clarté. Parce que nous sommes au service, non des techniciens, non du monde politique, non de nos pairs (quelle horreur !), mais de la seule chose qui compte : le grand public. Alors oui, parlons clair, camarades ! Et nous serons républicains.

     

    Pascal Décaillet

  • Santé : la mascarade des mots

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 16.10.24

     

    « Obligation de contracter », « catalogue de prestations », « traitement en ambulatoire ou en stationnaire » : les mots de la LAMal (loi sur l’assurance maladie) sont, au crible de l’analyse de communication la plus élémentaire, une honte. En soi, un scandale. Qui s’ajoute à la déroute première : celle de la LAMal elle-même, depuis trente ans, son échec absolu, sa responsabilité devant l’Histoire : être la première cause de paupérisation des Suisses. Avant l’impôt. Avant même les loyers. Les Suisses deviennent plus pauvres, non de se soigner, mais de payer, payer, et payer encore, pour l’éventualité où ils iraient, peut-être, un jour, se faire soigner ! Parce qu’ils auraient eu l’incongruité de tomber malades. Ah, les rustres !

     

    Mais revenons à ces mots-barrages. J’ai assisté, à Berne, à la genèse de la LAMal. Déjà à l’époque, (début des années 1990, lors des travaux préparatoires), le débat parlementaire était pris en otage par une nomenclature incompréhensible. Plus les politiques débattaient, moins on les comprenait. À croire qu’ils faisaient exprès de noyer leur propos sous un tsunami de mots techniques. Au début, nous nous contentions, nous les citoyens, de hausser les épaules. Les primes n’avaient pas pris l’ascenseur comme aujourd’hui, alors nous laissions les jargonneurs pérorer entre eux. Mais aujourd’hui, trente ans plus tard ! Les primes nous prennent à la gorge. Elles nous étouffent. Elles sont, pour beaucoup d’entre nous, avec le loyer, l’impôt, l’une des principales angoisses de fin de mois. Alors oui, il faut le dire : les échanges de mots savants, dans les débats, nous exaspèrent. Une exigence républicaine commence à poindre : celle de la clarté la plus limpide, quand on parle des affaires de santé, en Suisse.

     

    Ce sont principalement les politiciens bourgeois, et parmi eux les libéraux, qui usent et abusent et cet empoisonnement du langage par des mots incompréhensibles. Le public, parce qu’il n’en peut plus de payer, est de moins en moins dupe, il se détourne de la classe politique pour espérer des solutions dans le domaine de l’assurance maladie. Il plébiscite la démocratie directe, pas encore pour accepter ses solutions, mais comme voie de débat : enjeux clairs, vaste débat national, engueulades dans les foyers au moment du repas familial, c’est justement ça, notre démocratie suisse ! Cette fraternelle empoignade, entre citoyennes et citoyens, avec les mots de tous les jours, les mots de la vie : « Caisse unique », « Et tu la financeras comment, pépère ? », « Caisse publique », « Mais tu vas nous filer un impôt de plus ! », c’est ça la vie, c’est ça la Suisse, et pas des « obligations de contracter », ou des « catalogues de prestations », articulés par des nez pincés, tout soucieux de confisquer la réalité des rapports de forces, économiques évidemment, au peuple, pour demeurer dans l’entre-soi des salons bernois. Où tel lobby nous a invités à tel cocktail, pour faire passer telle idée, au service des Caisses. Au service du pouvoir financier. Notre démocratie suisse mérite tellement mieux que cette mascarade des mots.

     

    Pascal Décaillet

  • Aimer les moulins. Dans la grande plaine de la Mancha

     
     
    Sur le vif - Mardi 15.10.24 - 15.56h
     
     
    J'observe la politique depuis plus d'un demi-siècle, et professionnellement depuis quarante ans. Et je vais vous dire une chose. La vraie césure, aujourd'hui, n'est pas entre la droite et la gauche, même si cette opposition demeure bien réelle et pertinente dans l'analyse des rapports de forces.
     
    Non. La vraie césure, c'est celle entre les gens, hélas minoritaires, qui, de gauche ou de droite, croient en l'action politique. Veulent y croire. Fondent leur vie sur ce volontarisme. Et, de l'autre côté, la masse des gens qui n'y croient guère, voire pas du tout.
     
    Dans ma jeunesse, jusqu'à la chute du Mur de Berlin, les gens étaient davantage politisés. J'avais dix ans en 68, vingt-trois en mai 81, trente-et-un lorsque la DDR a ouvert ses frontières. Je ne l'ai jamais caché : j'avais un immense respect pour ce pays (pas le régime, mais le pays, ses habitants, son rapport au social, à la culture, ses écrivains), j'ai vécu comme un choc l'absorption brutale de l'Allemagne de l'Est par Kohl et son capitalisme glouton. Je ne suis absolument pas un admirateur d'Helmut Kohl. Le grand Chancelier, pour moi, c'est Willy Brandt.
     
    A partir du 9 novembre 1989, tout a changé en Europe. Irruption d'un ultra-libéralisme sauvage, d'inspiration anglo-saxonne, je dirais californienne. Prétendue "victoire définitive du capitalisme", à laquelle je n'ai jamais cru une seule seconde. Mépris pour l'Etat. Mépris pour les aventures collectives. Mythe de l'individu triomphant. Pour un lecteur, comme moi, de la philosophie allemande, des grands Discours de Fichte en 1807 sous occupation française de la Prusse, mais aussi de Brecht et de Heiner Müller, il y avait quand même d'autres horizons à définir.
     
    Alors oui, plus de trois décennies d'un ultra-libéralisme saccageur du lien humain et des espérances collectives, tout cela nous a menés dans les décombres d'aujourd'hui. Une majorité de gens ne s'intéressent que lointainement à la politique, ou alors juste les histoires de querelles entre chefaillons de partis, bref l'anecdote. Ils se détournent de la politique, alors qu'elle les concerne au premier chef ! Quelle vie en commun ? Quelle éducation, pour nos enfants ? Quelle ambition culturelle ? Quelle cohésion, pour le corps social ?Quel système de santé, permettant à tous l'accès aux soins ? Quel volontarisme industriel ? Quel soutien à nos paysans ?
     
    D'un côté, une minorité qui veut encore croire en l'action publique. De l'autre, la masse de ceux qui, pour mille raisons, s'en détournent. Là est la vraie césure.
     
    La passion de toutes mes décennies d'engagement, radio ou TV, pour des débats citoyens, au coeur de la Cité, sur les sujets qui concernent le plus grand nombre, c'est cela : se battre non pour tel parti politique, mais pour la politique elle-même. Dans ce qu'elle a de plus noble : son combat contre les clans, les féodalités, les ferments de dispersion du corps social, les puissances de l'argent.
     
    Il faut aimer les moulins. La solitude. Et la désespérance. Dans la grande plaine de la Mancha.
     
     
    Pascal Décaillet