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  • Moritz pète un tube, Pascal surgit

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    Sur le vif - Mercredi 30.12.15 - 19.00h

     

    J’ai connu Moritz Leuenberger et Pascal Couchepin bien avant qu’ils ne devinssent conseillers fédéraux : le premier a accédé à ce poste en 1995, le second en 1998. Je les ai fréquentés alors que j’étais à Berne, ils étaient conseillers nationaux, tous deux brillants dans cette fonction. Et puis, ils ont siégé à peu près en même temps au Conseil fédéral, ils sont comme deux compères, ils se connaissent.

     

    C’est peut-être pour cela qu’aujourd’hui, tels deux diables, à quelques heures d’intervalle, ils ont surgi de la boîte. Quelle boîte ? Mais celle du silence, parbleu ! Cette chape de zinc et de titane qui voudrait qu’après avoir siégé au Conseil fédéral, on entre dans le reste de ses jours comme en Carmel. Il faudrait ne rien dire, jamais, raser les murs, faire comme si on n’avait jamais existé. Certains y parviennent à peu près. D’autres, jamais. Moritz et Pascal sont de cette seconde catégorie.

     

    Mais le plus drôle, c’est que la RSR, parce que Moritz s’est permis une appréciation sur le second tube routier du Gotthard, donne la parole à qui ? A Pascal, of course ! Pour disserter sur ces anciens conseillers fédéraux qui parlent trop, elle invite le recordman toutes catégories (principalement, d’ailleurs, avec la complicité de la … RSR) de la parole post-pouvoir. Littérairement, cela s’appelle une mise en abyme. Chez les amis des animaux, on dira que le serpent se mord la queue et qu’au pays des couleuvres, les vipères sont reines.

     

    On peut dire ce qu’on veut, qu’ils parlent beaucoup trop, qu’ils feraient mieux de respirer l’air de la vie. C’est possible. Pour ma part, une journée de brume avec l’évocation de Moritz et de Pascal me rajeunit. Elle me rappelle deux hommes de valeur. L’un, lunaire. L’autre, comme une moraine, à l’orée du glacier qui gronde. L’un et l’autre, bien au-delà de leurs options, de leurs actes, ont marqué leur passage au Conseil fédéral. Des tronches. Des personnages. De l'autre côté de la grisaille.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Yves Laplace, élévation et solitude

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    Sur le vif - Mardi 29.12.15 - 17.47h

     

    C’est en 1982, dans la Revue Furor, que j’ai commencé à lire des textes d’Yves Laplace, couronné hier par le Prix suisse de littérature. Jusqu’à cette date, je n’avais jamais entendu parler de ce contemporain, né comme moi au printemps 1958. Très vite, le sentiment d’avoir affaire à un écrivain. Sans tarder, au fil des années 80, la première impression se confirme, avec la lecture de « Sarcasme » puis « Fils de perdition », et surtout une pièce dont j’ai souvent parlé, tant elle m’a marqué : « Nationalité française », publiée au Seuil en 1986, et mise en scène par Hervé Loichemol à la Salle Patino, en 1989. Aujourd’hui encore, ce texte si troublant sur les Français d’Algérie, avec notamment le souvenir d’une Anne Durand saisissante, est l’un de ceux, dans l’œuvre de Laplace, qui me retiennent le plus.

     

    Dans « Nationalité française », comme plus tard dans « Nos Fantômes », ou plus encore « La Réfutation », ou son tout dernier texte « Plaine des héros » (autour du fasciste genevois Georges Oltramare), j’aurais envie de dire, en « première lecture », que c’est le thème qui me retient. Mais le disant, je sais déjà que c’est faux, ou tout au moins largement insuffisant. Car Laplace n’est ni journaliste, ni historien, bien qu’il eût pu devenir l’un comme l’autre. Mais dès ses premiers textes publiés, à la fin de l’adolescence, c’est une autre voie, un autre chemin vers le réel, que choisit le jeune homme.

     

    Oltramare a certes bien existé, les guerres des Balkans aussi, ou la fin si douloureuse de 132 ans de présence française en Algérie, oui tout cela est bien palpable, vérifiable, dans les archives du réel. Mais la relation qu’en donne Laplace, c’est autre chose. Cela passe par une forme immatérielle de magie, qui s’appelle l’écriture. C’est là qu’il existe, là qu’il crée la différence, là qu’il finit par nous offrir « autre chose » que la simple chronique du temps qui passe. Entreprendre une lecture critique de l’œuvre d’Yves Laplace, ce serait peut-être tenter de montrer comment l’art du récit, tout trempé qu’il apparaisse dans le réel, prend corps et distance, par un procédé d’écriture d’une rare finesse.

     

    Avec Laplace, pas davantage qu’avec Cingria ni d’ailleurs aucun auteur, une œuvre ne peut ni ne doit se réduire à des thèmes. Pour l’aridité – parfois bienvenue – de ces grilles de lecture, on ira s’en référer aux « Que sais-je ? » ou aux encyclopédies. Mais enfin, tout de même, parler d’Yves Laplace sans évoquer le sujet de la filiation (dans « La Réfutation » comme dans « Fils de perdition »), c’est sans doute passer à côté de quelque chose d’essentiel dans la relation de l’auteur avec son texte.

     

    Le Prix suisse de littérature n’est de loin pas le premier que reçoit Yves Laplace. Mais il tombe rudement bien, à une époque où la valeur d’un livre se soupèse en fonction de ses seules vertus marchandes. J’ai parlé de Cingria, dont le style éblouissant n’a certes rien à voir, mais qui, lui aussi, étincelait dans l’art de la chronique. Autres mots, autres sources, autres ancres. Mais là aussi, la troublante perpétuité d’un décalage. Il ne serait peut-être ni vain, ni indifférent que la littérature en Suisse romande soit un peu mieux perçue, reconnue, identifiée, du vivant de ses auteurs. Nous en avons beaucoup, dans ce coin de pays. Des femmes, des hommes, des talents. Parlons d’eux pendant qu’ils sont encore de ce monde. Et, très accessoirement, pendant que nous le sommes aussi.

     

    Yves Laplace, cet écrivain si particulier, cette solitude si fièrement dressée, mérite infiniment le Prix suisse des écrivains. Plus encore, il mérite qu’on lise ses livres, sans tarder. Tant que la vie est encore là.

     

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Pierre-Alexandre Joye (1959 - 2015) : chaleur et lumière

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    Sur le vif - Lundi 28.12.15 - 17.08h

     

    Un être pressé, angoissé, joyeux, toujours palpitant de la vie qui va. Un être de lumière, même au cœur de la brume. Un être de culture – immense – qui semblait comme arraché aux fragments de cette vie originelle, cet Âge d’Or, propulsé dans les aléas d’une modernité à laquelle il n’avait rien demandé, même pas l’asile. Juste jeté là. Riche de sa seule mémoire, infinie. Pierre-Alexandre Joye, qui vient de nous quitter, beaucoup trop jeune, faisait partie de ces quelques compagnons, si rares, avec lesquels l’appétit du temps présent s’aiguise d’Histoire et de nostalgie. Comme si vivre, c’était tenter de restaurer une grandeur perdue.

     

    Je l’ai connu il y a plus de 32 ans, dans le cadre de l’armée, lors d’un paiement de galons commun. Nous parlions de Barbara, de poésie, et surtout de musique. Ses connaissances, dans ce domaine, surtout dans le registre romantique, étaient époustouflantes. En sa compagnie, il n’y avait plus ni pèlerine, ni pluie, ni boue, ni guêtres crottées, tout cela allait s’abolissant, laissant place à l’évocation d’un trio, d’un oratorio, d’un sonnet. Impatience, essoufflement, tambourinement du sang dans les artères, prunelles envoûtées par le désir de vivre, mais aussi puissance d’évocation. Donc, capacité d’extraction de la pesanteur terrienne. Vers la paix des galaxies. Ou la guerre des étoiles.

     

    Puis, des années de complicité dans les couloirs du Palais fédéral. Puis d’autres, dans les mêmes médias, la RSR notamment. Pierre-Alexandre Joye, c’était une plume de chroniqueur, un style, un humour, un regard. Lors d’un reportage commun à Weimar, en juillet 1999, nous avions visité ensemble pendant trois heures, sans un seul mot, le camp de Buchenwald, situé – terrible ironie – sur l’une des très belles collines boisées de Thuringe. Le soir ou le lendemain, je ne sais plus, nous étions allés au concert, en plein air, dans la ville de Bach, de Goethe et de Schiller. De ces quelques jours passés avec lui dans le cœur battant de la culture allemande, je garde un souvenir inoubliable.

     

    Journaliste, Pierre-Alexandre Joye a aussi été enseignant, notamment professeur de français à l’Ecole supérieure de commerce de La Neuveville. Tiens, je me souviens maintenant de nos conversations sur Racine. Il aimait la musique, la poésie, la politique, mais aussi une impressionnante quantité d’autres choses, il était toujours en quête d’élargissement de son savoir, non pour cumuler, mais pour éclairer, trouver un chemin d’initiation. Dans les brumes des campements militaires, en 1983, il n’était pas difficile d’entrevoir chez ce camarade de régiment joyeux, et si pressé de vivre, tellement ailleurs, un rapport à la lumière capable de transformer le réel. Le transfigurer, peut-être, en une forme supérieure de chaleur. Je ne l’oublierai pas.

     


    Pascal Décaillet