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  • Nouvelle Comédie, ou Comédie Nouvelle ?

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    Sur le vif - Samedi 30.01.16 - 17.36h

     

    « Ma comédie est faite, car l’intrigue est bâtie. Il faut juste ajouter les vers ». Le grand Ménandre, le père de la Comédie Nouvelle, au IVème siècle avant notre ère, cité ici par Plutarque, aurait-il fait un bon député PLR au Grand Conseil genevois ? Question difficile. Quand on scrute la genèse de l’acceptation, hier soir, par 58 voix, 29 non et 9 abstentions, des 45 millions de part cantonale pour la Nouvelle Comédie, on se dit que seul un dramaturge de la plus grande verve athénienne aurait pu produire un tel enchaînement de positions contraires, pour finalement se terminer, deus ex machina, par une issue heureuse.

     

    Nouvelle Comédie, ou Comédie Nouvelle ? Pour tout savoir sur la seconde, lire absolument « Dans les marges de Ménandre », de mon ancien professeur André Hurst, publié l’automne dernier chez Droz, et que nous évoquerons sans tarder avec l’auteur sur mon plateau. Devant l’Histoire, pour la Comédie grecque, c’est le grand rival de son prédécesseur Aristophane, auquel Plutarque, par exemple, le préférait.

     

    « Ma comédie est faite, l’intrigue est bâtie ». Un parti charnière, le PLR. Le protagoniste, Frédéric Hohl, tel Pénélope, tisse son rapport de majorité le jour, pour le défaire la nuit. Des mois passés à nous répéter que le projet coûte décidément trop cher. Noël arrive, le bœuf et l’âne passent, puis l’Epiphanie, quelque myrrhe et quelque encens pour honorer l’An neuf, et voilà qu’hier, miracle, le parti fusionné, malgré des abstentions, donne son aval à un projet qu’il semblait bouder.

     

    Nouvelle Comédie, ou Comédie Nouvelle ? Comme chez Ménandre, il s’est passé quelque chose d’invisible au spectateur. Tenez, chez le grand auteur grec, comme plus tard chez Plaute, Térence, et notre Comédie à nous, surgit souvent un jumeau. Docteur Frédéric, Mister Hohl. Docteur Cyril, Mister Hélène. Par le miracle d’une gémellité, le cours des choses se renverse. Un mariage est possible. Le pauvre devient riche. L’avenir s’éclaircit. Nouvelle Comédie, ou Comédie Nouvelle ?

     

    Comme chez Ménandre, comme chez Plaute ou Marivaux, on laisse entendre que d’autres personnages, hors du plateau, ourdissent. Des dieux ? Docteur François ? Docteur Sami ? Comme chez Ménandre, comme chez Goldoni, on passe par un moment, dans le cœur de la pièce, où plus personne n’y comprend rien. Les maîtres sont valets, les jumeaux se confondent, le destin se joue de tous. Alors, intervient l’un des mots les plus laids de la langue française : désenchevêtrement. Une saloperie d’hexasyllabe, avec une seule voyelle, le « e », six fois recommencée. Les lettres, aussi, se jumellent, se marient, font diphtongues, nous soufflent de fausses pistes. D’un mécène l’autre, de la Ville au Canton, il paraîtrait qu’on se refile l’enjeu, sur la durée, en maquignonnage avec d’autres. Secrets de coulisses, Docteur François, Mister Sami. Sabots d'Hélène.

     

    Au final, une issue heureuse. Il semble que les manants n’aient même pas l’idée de lancer un référendum. L’essentiel s’est passé dans une opacité de coulisses, mais nul ne semble en souffrir exagérément. On se dit sans doute qu’il y a déjà le Musée, et que deux psychodrames culturels, ça ferait peut-être trop. Alors, Nouvelle Comédie ! Et pour la première pièce de la première Saison, je suggère une Comédie Nouvelle. Avec des maîtres, des valets, des jumeaux. Et quelque part, larrons en foire, ricanant de leur bon coup, Docteur Sami, Mister François.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Divine surprise

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    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 27.01.16

     

    Le PLR qui lance un référendum, c’est comme si les patriciens de la rue des Granges se mettaient, furibards, à battre le pavé. Comme un parfum de cassoulet, surgi de l’office domestique, mêlé à la lavande des draps de soie, dans le buffet qui dort. C’est une nouvelle qui fait du bien. Allez, disons une «divine surprise », mais on va encore me traiter de maurrassien.

     

    Le PLR, à Genève, c’est par excellence le parti du gouvernement. Ils ne cessent, l’air grave, de nous parler des « institutions », comme si ces dernières se limitaient au Conseil d’Etat et au Grand Conseil. Comme si, justement, la démocratie directe n’en faisait pas partie. Et là, patatras, voilà que, sur une histoire de déduction de frais de déplacement, ils nous balancent un référendum. Contre la modification de la loi sur l’imposition des personnes physiques, votée le 17 décembre dernier par le Parlement. Divine surprise, oui.

     

    Ce référendum est une excellente idée. Pour l’éclat du symbole : le grand vainqueur, ce ne seront pas les frais de déplacement (on a connu, dans l’Histoire, des sujets plus exaltants), mais ce sera… la démocratie directe, elle-même. Adoubée, enfin, par ceux-là même qui tendaient souvent à la rabaisser. Et puis, le grand vaincu, dans toute cette affaire, c’est le Conseil d’Etat : il a même désormais, contre lui, le parti de son président. Imagine-t-on l’Eglise attaquer Dieu par une collecte de signatures ?

     

    Bien sûr, ce ne sera pas Maastricht. Ni l’indépendance de l’Algérie. Ni l’entrée de la Suisse dans l’ONU. Non, ce sera un petit objet, bien de chez nous. Mais lancé par qui ? Par la fine fleur du pouvoir. Celui qui a pignon sur rue. Celui qui détient la Gabelle comme la Régale. Hommage à leur conversion. Divine surprise.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Rosette : un destin brisé, qui passe par Genève

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    Notes de lecture - Mardi 26.01.16 - 16.35h

     

    93 pages qui se lisent d’une traite. Une histoire tragique dont on connaît la fin, avant même d’attaquer le livre : le destin de Rosette Wolczak, une jeune Juive française, d’origine polonaise, qui réussit à passer en Suisse, dans le canton de Genève, le 24 septembre 1943, s’en voit refoulée le 16 octobre, est arrêtée par les Allemands le 19, envoyée à Drancy (le camp de regroupement, près de Paris) le 25, puis à Auschwitz, par le convoi 62, le 20 novembre. Arrivée dans le camp d’extermination, dont nous célébrerons demain le 71ème anniversaire de la libération, elle est immédiatement gazée, à quinze ans et demi.

     

    « Rosette, pour l’exemple », c’est le dernier livre de mon confrère Claude Torracinta. On connaît la passion de ce brillant journaliste pour l’Histoire, de la Genève de Léon Nicole et d’Oltramare (Le Temps des passions, 1978) à « Ils ont pris le Palais d’hiver ! », publié en 2013, en collaboration avec son épouse, Claire Torracinta-Pache. « Toute histoire est contemporaine », affirme l’auteur en page 16 de « Rosette » : parler du passé, c’est parler d’aujourd’hui.

     

    L’histoire de Rosette ne nous éclaire pas seulement sur la France de Vichy, ni sur l’abomination du régime nazi, tout cela nous le connaissons depuis longtemps. Non, l’originalité de l’éclairage de Claude Torracinta, qui a mené une véritable enquête journalistique, braque les projecteurs sur le système « d’accueil », et bien souvent de refoulement, des réfugiés juifs dans le canton de Genève, lors de la dernière guerre. A l’automne 1943, il n’y a plus, depuis près d’un an (11 novembre 1942), de zone libre en France, l’occupant est partout, c’est lui qui tient la frontière. Pour les Juifs refoulés, c’est la certitude d’être arrêtés, puis déportés.

     

    Alors, de façon sobre et factuelle, mon confrère nous raconte le chemin de Rosette, celui de sa famille, originaire de Lodz, devenue française, ayant quitté Paris pour Lyon à l’époque de la zone libre, puis Rosette ayant quitté Lyon pour tenter sa chance en Suisse.

     

    L’éclairage sur Genève est cruel. L’auteur, page 35, nous donne deux noms de responsables chargés d’y appliquer les directives fédérales à l’égard des réfugiés. Je vous laisse les découvrir. L’un d’eux, en tout cas, ne se signale pas par un excès d’humanité. Bref, après quelques jours seulement à Genève, Rosette sera refoulée pour une « raison disciplinaire » que je vous laisse aussi apprécier dans l’ouvrage. Après trois jours en Haute-Savoie, elle est arrêtée par les Allemands. La suite, on la connaît.

     

    Il faut être reconnaissant à Claude Torracinta pour son travail de recherche, et aussi pour la clarté journalistique de son ouvrage, où il parvient à nous restituer avec simplicité narrative le fil des événements. L’auteur sera ce soir, mardi 26 janvier, 19h, en direct sur le plateau de Genève à chaud. Et demain, 71ème anniversaire de la libération d’Auschwitz, nous aurons un morceau de musique, interprété en direct dans l'émission. Nous penserons à Rosette. Et à tous les autres.

     

    Pascal Décaillet

     

     

    *** Rosette, pour l'exemple - Par Claude Torracinta - Préface de Ruth Dreifuss - Editions Slatkine, 2016.