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  • Ne laissons pas tomber nos paysans !

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    Sur le vif - Lundi 04.01.16 - 16.29h

     

    En 2016, le ministre de l’Economie sera en même temps le président de la Confédération. Lui-même entrepreneur, Johann Schneider-Ammann veut placer son année présidentielle sous le signe de l’encouragement aux entreprises. Premier message, excellent : le Conseil fédéral 2016 pose devant une grande imprimerie bernoise, hommage à l’industrie, coup de pouce à un secteur en pleine mutation. Oui, l’image fait plaisir à voir, elle nous change de ces photographies du collège, ces dernières années, qui frappaient par leur gratuité, désertées tant par le sens que par l’esthétique. Là, au contraire, le message est clair : le gouvernement de notre pays affiche son soutien aux entreprises locales, on ne s’en plaindra pas !

     

    Assurément, en cette période d’incertitudes financières et de franc fort, nos autorités doivent montrer qu’elles sont aux côtés de notre secteur industriel, et d'ailleurs pas seulement celui d’exportation. Mais l’économie, ça n’est pas seulement l’industrie. C’est aussi l’agriculture. Il y aurait tant et tant à dire sur l’Histoire, au moins depuis la Guerre (le Plan Wahlen) de notre paysannerie suisse, celle de plaine comme celle de montagne, l’économie laitière, céréalière, et bien sûr viticole. Il manque, à ce jour, en langue française, un ouvrage de référence, écrit dans une langue claire et accessible à tous, qui nous raconte l’extraordinaire aventure des agriculteurs, éleveurs et vignerons de notre pays. Le jour où ce livre existera, on y découvrira, avant toute chose, le courage et le sens du risque de ces hommes et de ces femmes qui ont choisi de rester agrippés à leurs terres, au prix d’immenses sacrifices.

     

    On ne peut certes pas demander à M. Schneider-Ammann de faire poser le Conseil fédéral en deux endroits à la fois, mais on appréciera, dans son année présidentielle, que tous les messages de soutien ne soient pas braqués sur la seule industrie d’exportation, avec au passage une louange extatique du dogme des bilatérales, mais que le Président montre aussi des signes d’intérêt pour l’état de nos paysans. Dans une certaine presse, où le PLR est roi, on véhicule encore l’idée d’une agriculture suisse corsetée dans son lobbyisme. Ainsi, l’édito du Temps, ce matin, qui égratigne ce secteur à deux reprises. La réalité est bien différente : si l’ouverture des frontières a pu favoriser le secteur industriel d’exportation, elle a mis en danger de mort certains de nos agriculteurs, ou vignerons. L’industriel Johann Schneider-Ammann en est-il bien conscient ?

     

    La précarité de nos paysans est d’autant plus injuste qu’ils ont vraiment tout entrepris, depuis le Septième Rapport sur l’Agriculture, déposé en 1992 par Jean-Pascal Delamuraz, pour accomplir ce qu’on attendait d’eux : en moins d’un quart de siècle, un effort exceptionnel a été fourni pour aller vers une paysannerie beaucoup plus soucieuse de qualité des produits, de respect des normes biologiques et écologiques. Partout en Suisse, les organisations agricoles se sont battues pour mettre en valeur le terroir local, la spécificité des produits, les appellations contrôlées. Partout aussi, on œuvre, et c’est tant mieux, à respecter davantage l’animal d’élevage : nul ne s’en plaindra.

     

    Oui, les paysans ont fait leur boulot. Oui, ils ont mené le combat pour survivre, dans des secteurs (comme la production laitière) où le salaire agricole est en baisse constante. Oui, ils multiplient les efforts pour la qualité de nos fromages, le respect des appellations, tout cela avec un revenu qui ne cesse de maigrir. L’éditorialiste du Temps, ce matin, mon éminent confrère, comment peut-il comparer le « lobbyisme » des agriculteurs avec celui – assurément éhonté – des assureurs maladie, sous la Coupole ?

     

    Que 2016 soit l’année du soutien à notre économie suisse, bravo ! Mais de grâce, ne laissons pas tomber nos paysans. Sans eux, sans le fruit de notre terre, sans leurs immenses efforts, notre pays ne serait pas ce qu’il est. Nous n’avons guère de matières premières, en Suisse, notre sous-sol n’est guère concurrentiel avec celui de nos voisins. Mais notre sol, en plaine comme en montagne, dans l’arrière-pays vaudois comme dans les vallées latérales valaisannes, sur les crêtes de l’Arc jurassien comme dans la Verte Gruyère, recèle des trésors, mondialement appréciés. Pour que ces derniers demeurent, l’autorité politique, à commencer par Berne, doit confirmer, et même accentuer sa confiance au monde agricole suisse. Et si cela passe par le protectionnisme, et un régime d’exception à la férocité libéralisée des échanges mondiaux, eh bien allons-y pour cette préférence-là. Gouverner, c’est choisir. L’agriculture est le cœur palpitant de notre terroir. En aucun cas, nous ne pouvons l’abandonner.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Une ou deux réflexions sur la défense nationale

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    Sur le vif - Dimanche 03.01.16 - 17.37h

     

    L’armée suisse d’aujourd’hui n’a strictement plus rien à voir avec celle de mes dix-neuf ans, lorsque j’y suis entré (1977) pour accomplir, dans les douze années qui allaient suivre, quelque 500 jours de service. Elle n’a plus rien à voir, et c’est tant mieux ! Nous étions en pleine guerre froide, nous tenions une armée héritée des principes du Réduit national et de l’esprit de 1940, elle comportait plusieurs centaines de milliers d’hommes, elle était une immense masse, nous nous interrogions tous, avec légitimité, sur son utilité.

     

    Nous nous interrogions, et nul n’était capable de nous répondre. Les manœuvres actionnaient beaucoup trop d’hommes, nous y passions le plus clair du temps à attendre, nul n’en saisissait l’enjeu, il ne nous était d’ailleurs pas expliqué. Il a fallu que j’entre au régiment genevois, le régiment d’infanterie 3, où j’ai accompli tous mes cours de répétition, pour commencer à tomber sur certains supérieurs éclairés, pédagogues, sachant mettre en contexte nos actes avec des missions de grande échelle.

     

    Expliquer aux hommes de troupe pourquoi ils sont là, quelles causes ils défendent, en fonction de quelle stratégie ils pourront atteindre leurs buts, c’est tout de même le moins qu’on puisse attendre d’un chef militaire. Tout le monde n’a pas eu la chance de servir sous les ordres d’un Bernard Privat, ou d’un Jean-François Duchosal. Alors, à très juste titre, d’innombrables militaires suisses de ces années-là ont eu l’impression de perdre leur temps sous les drapeaux.

     

    C’est grave, catastrophique même, et la responsabilité en incombe à tous ceux qui n’étaient là que parce qu’ils étaient cadres dans une banque et voulaient grader dans la vie civile, prenaient du galon dans l’armée sans avoir pour autant une vision pour la collectivité, pour l’intérêt national. Aussi étonnant que cela puisse paraître, j’ai rencontré, à mon époque, des esprits beaucoup plus éclairés chez les officiers professionnels que chez certains miliciens carriéristes, qui voulaient juste grimper dans la vie professionnelle, dans le monde bancaire par exemple.

     

    En 1990, le DMF a voulu tirer les leçons de la votation fédérale du 26 novembre 1989, où plus d’un tiers du corps électoral (35.6%) s’était prononcé pour l’abolition de l’armée. Cette dernière avait certes été refusée, mais tout de même, il y a eu là un coup de semonce, il fallait en prendre acte, ce fut la mission de la « Commission Schoch », ou « Groupe de travail pour la réforme de l’armée », à laquelle j’ai eu l’honneur d’appartenir. Nous avons siégé toute l’année, quelque 25 jours en tout, en décentralisant nos séances sur l’ensemble du territoire national.

     

    La Commission était présidée par un parlementaire d’exception, le conseiller aux Etats appenzellois (Rhodes-Extérieures) Otto Schoch, remarquable connaisseur de la chose militaire, radical éclairé, moderne, visionnaire même. J’y ai fréquenté des gens aussi divers que le sociologue Uli Windisch ou le criminologue Martin Killias. Nous étions vraiment une belle équipe, désireuse d’offrir au pays un modèle de défense adapté aux dangers de l’époque. Au final, Kaspar Villiger nous a remerciés très courtoisement, mais je n’exclus pas que le « Rapport Schoch » ait été discrètement déposé dans un tiroir. Sans doute y dort-il encore d’un profond sommeil.

     

    Je regarde l’armée d’aujourd’hui, je discute beaucoup avec les jeunes qui font du service. Eh bien franchement, je les trouve infiniment plus positifs, plus motivés que la génération de mon époque. L’armée suisse a beaucoup maigri, il le fallait, elle reçoit beaucoup moins d’argent qu’à l’époque, elle a dû drastiquement réduire son train de vie, et c’est tant mieux. Coupant dans le gras, elle doit aujourd’hui miser sur l’essentiel. Reste à le définir, ce qui appartient au politique, donc à l’ensemble des citoyens. Voulons-nous une défense nationale ? Si oui, face à quelles menaces, quels dangers ? En 2016, les chars et les canons, la masse de l’infanterie sont-ils vraiment la meilleure préparation pour défendre les intérêts supérieurs de notre pays ? Quelle armée, face au terrorisme ? Face aux attaques informatiques, cybernétiques ? Pour défendre quoi ? Ces questions-là sont celles d’aujourd’hui et de demain. Sans tabou, elles doivent être empoignées : rien ne sert de préparer la guerre d’hier, il faut être prêt pour les vrais périls, ceux d’aujourd’hui et de demain.

     

    Ces périls existent. Côté terrorisme, pas besoin de vous faire un dessin. Avons-nous aujourd’hui, 3 janvier 2016, les corps d’élite idoines à combattre des actions comme ont pu en connaître nos amis français ? Au plus haut niveau de notre renseignement, disposons-nous des éléments d’appréciation capables d’identifier les sources possibles d’attentats ? Le travail coordonné entre armée, polices cantonales, services de secours, de sauvetage, est-il suffisamment exercé, dans un domaine où le fédéralisme – si fructueux par ailleurs - peut s’avérer un frein à l’efficacité ? Franchement dit, le renseignement suisse est-il, aujourd’hui, à niveau ?

     

    Pour ma part, comme citoyen, une chose est certaine : la Suisse a besoin, plus que jamais, d’une défense nationale. Elle en a toujours eu besoin ! Mais chaque génération doit faire son aggiornamento. Celle de 2016 n’a pas le droit de faillir à cette tâche : l’armée n’est pas un but en soi, elle ne doit en aucun cas redevenir ce qu’elle m’a semblé du temps de ma jeunesse, une machine à Tinguely tournant sur elle-même, orientée davantage, hélas, sur la conservation d’une hiérarchie sociale interne que sur la défense stratégique des intérêts supérieurs du pays. La défense nationale suisse a besoin d’esprits inventifs, éveillés, polyglottes, ayant voyagé, connaissant les systèmes militaires étrangers, notamment dans le cadre du renseignement. Nous avons une jeunesse très motivée, d’un excellent niveau de formation, je pense à de jeunes officiers comme Murat Julian Alder, Adrien Genecand, Emmanuel Kilchenmann. Confier à ces personnes de valeur des missions pour préparer la guerre d’hier, plutôt que celle de demain, serait bien plus grave qu’une erreur tactique et morale : ce serait une faute politique. Impardonnable.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Mes trois voeux pour la Suisse en 2016

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    Solidarité à l'interne, écoute des citoyens, souveraineté : mes trois souhaits les plus vifs pour l'avenir de notre pays, en 2016 - Samedi 02.01.16 - 18.33h

     

    J’aime la Suisse. D’abord, parce que c’est mon pays, j’y suis né, j’y ai vécu toute ma vie, j’en ai étudié avec passion l’Histoire (celle, principalement, des deux derniers siècles, depuis 1798), ou plutôt les 26 Histoires, ainsi que notre destin fédéral, depuis 1848. Depuis trente ans, comme journaliste, le champ politique suisse est, avec le champ cantonal genevois, celui que j’observe de plus près. J’ai connu de très grands hommes, comme Tschudi (interviewé chez lui, à Bâle, pour ses 80 ans, en 1993), mais aussi Furgler, et bien plus encore Delamuraz. L’un était socialiste, le deuxième PDC, le troisième radical.

     

    Le moins qu’on puisse dire, lorsque j’étudie la vie et l’œuvre d’un grand personnage de l’Histoire suisse, française ou allemande (mes domaines de prédilection, depuis toujours), c’est que son appartenance idéologique ne vient que très loin dans la hiérarchie de mes considérations. Pierre Mendès France, François Mitterrand, Willy Brandt, Helmut Schmidt, André Chavanne font partie des personnages que j’admire le plus, ils sont socialistes (ou sociaux-démocrates), je ne le suis pas, et alors ? Bismarck, le grand Bismarck, dont j’ai lu toutes les biographies, me passionne bien plus pour son œuvre sociale, à l’intérieur du pays, que pour ses exploits militaires contre la France, en 1870.

     

    J’aime la Suisse. Quand je dis que j’ai étudié les 26 Histoires cantonales, ça n’est pas une simple formule : pendant toute l’année 1998, à la RSR, j’étais co-responsable des séries historiques pour le bicentenaire de la Révolution helvétique (1798) et les 150 ans de la Suisse fédérale. Eh bien, nous avons présenté en direct des émissions commémoratives, avec les historiens et spécialistes du lieu, dans tous les cantons de notre pays ! De ce voyage extraordinaire à travers la géographie et l’Histoire de mon pays, je garde un souvenir ému.

     

    J’aime la Suisse, et lui adresse mes vœux pour 2016. En premier lieu, je veux un pays qui demeure celui de la pluralité dans l’unité, c’est d’ailleurs l’une de nos devises. Nous avons quatre langues nationales, dont trois sont parlées dans les grands pays d’Europe. Notre Histoire politique, mais aussi confessionnelle, économique, sociale, culturelle, est pétrie, brassée des enjeux de l’Histoire européenne : les grands Ordres médiévaux, l’imprimerie, l’extraordinaire aventure de la Réforme, le vent de la Contre-Réforme, les Lumières, la Révolution française, les guerres de l’Empire, la Restauration, la montée des idées vers 1848, le triomphe des radicaux, le Ralliement du très grand Pape Léon XIII à l’idée républicaine (1891), le socialisme, la Révolution industrielle, les deux Guerres mondiales, la Guerre froide, la chute du Mur, et aujourd’hui les mouvements migratoires.

     

    J’aime la Suisse, son essence européenne, au cœur palpitant du continent, et pourtant, pour ma part, je ne veux pas d’une Suisse intégrée à la grande machinerie intitulée « Union européenne ». Parce que cette dernière, à mes yeux, produit hélas davantage de technocratie que de citoyenneté. Or – et c’est là mon deuxième vœu pour 2016 – je veux un pays qui demeure un modèle mondial dans la parole donnée à ses citoyens. Non celle de la rue. Mais celle qui, par la voie de l’initiative et du référendum, fait du corps électoral de notre pays (environ cinq millions de citoyennes et citoyens, sur huit millions d’habitants), non une masse qui subit, mais un véritable ACTEUR POLITIQUE de notre destin national. Que notre pays demeure l’exemple mondial de l’expression citoyenne venue d’en bas, oui, c’est là mon deuxième vœu pour 2016.

     

    Le troisième, qui aurait pu être le premier, est que nous demeurions un Etat souverain. Contrairement à la génération de mes immédiats aînés, celle de Mai 68, j’ai cru toute ma vie aux frontières, aux nations. Et dans le même temps, je me suis toujours viscéralement méfié de la prétendue « dimension mondiale », ou mondialiste, des approches. On dira que politiquement, lecteur de Barrès, je me suis toujours senti beaucoup plus proche de la terre que des grandes idées qui échapperaient à la gravitation, au génie propre de chaque lieu. Oui, je crois aux frontières, parce que simplement elles délimitent un horizon de destin pour une communauté donnée, tracent un périmètre de responsabilité, nos efforts ni nos forces n’étant extensibles à l’infini. Surtout, elles sont le fruit (provisoire, et certes toujours en mouvement) d’une Histoire, de batailles, de sang versé, de traités. Elles n’ont donc rien de gratuit, définissent des lieux de mémoire, portent le sens profond des actes de ceux qui nous ont précédés. On ne touche pas impunément à ces choses-là.

     

    Alors oui, mon vœu est que la Suisse demeure en 2016 un Etat souverain. Ce qui ne remet en cause ni l’amitié avec nos voisins immédiats, ni l’action de notre diplomatie, ni l’adhésion à des traités internationaux, tout au plus souhaiterais-je que ces derniers soient systématiquement soumis à l’approbation du suffrage universel. Ceux qui nous disent « souveraineté = repli sur soi, fermeture des frontières, etc. » nous mentent. L’indépendance (j’en sais quelque chose dans le domaine professionnel), ça n’est pas creuser son trou et y enfouir sa tête. Non, c’est demeurer maître de ses actes, responsable dans la prise de risque, autonome dans l’appréciation des situations. L’indépendance est infiniment moins confortable que l’appartenance, ou l’obédience. C’est pourtant, justement parce qu’elle est le choix le plus difficile, l’option que je souhaite, pour la survie de mon pays dans le concert des nations.

     

    Respect et écoute de nos différences internes, mutualité dans la répartition des richesses et des ressources, intransigeance sur la démocratie directe et l’écoute des citoyens, lutte pour demeurer souverains, tels sont mes vœux pour mon pays, la Suisse, en 2016. Que vous les partagiez ou non, je vous adresse à tous, lectrices et lecteurs de de blog depuis sa création en octobre 2007, mes vœux les plus chaleureux pour la Nouvelle Année.

     

    Pascal Décaillet