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  • Palavie, ou la langue retrouvée

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    Sur le vif - Dimanche 29.11.15 - 16.52h

     

    C’est l’histoire d’un enfant muet, déraciné, qui ne retrouve sa langue qu’à la fin. Il s’appelle Nadji, il est Algérien, exilé en Suisse, avec sa mère, qui l’a rebaptisé « Jean-Paul ». Mais comme il rejette ce prénom, il sera « Pas Jean-Paul », fils de « Pas-la-Mère », dans « Pas la Vie ». C’est cela, l’histoire écrite par Valérie Poirier, qui confirme ici ses talents de plume : l’histoire d’un fils avec sa mère. Ou plutôt sans sa mère, soit pour cause de mort et qu’il doit disperser ses cendres (sous un cyprès, en pleine forêt de sapins, en altitude !), soit (pire) lorsque vivante, exilée avec lui, elle l’abandonne le soir pour courir les amants. Un texte sur la mère et l’absence de la mère. Quelle mère ?

     

    J’ai pensé, hier soir, au Théâtre du Grütli, à ce superbe livre de Jules Roy, « Adieu ma mère, adieu mon cœur », l’un des plus beaux sur le déracinement des Pieds Noirs. Je m’attendais à une pièce sur l’exil, j’ai davantage découvert une plongée dans la complexité du roman familial. Lequel ? Le leur, à la mère (superbement incarnée par Marie Druc) et à ce fiston délaissé, « Pas Jean-Paul » (Frédéric Landenberg). Le leur, mais aussi le nôtre à tous : qu’est-ce qu’un fils, qu’est-ce qu’une mère ? L’écriture de Valérie Poirier oscille entre humour et désespoir, drôlerie et nostalgie, avec de saisissantes percées de lumière, lorsque est évoqué le pays, celui des racines, l’Algérie. Elle en rajoute, la mère, mythifie ses jeunes années, se décrit comme ayant été, là-bas, une grande dame, son père à elle, à Oran, aurait travaillé dans des ministères. Elle baratine, mais ça lui fait du bien. Jusqu’à ce que tout ce fatras s’en vienne fondre, comme un rimmel. Et là, dans les scènes finales, elle n’est jamais aussi juste, Arlette, la mère, que dégrisée.

     

    Je m’attendais à une pièce sur l’exil, ce fut un texte sur la langue. Celle qu’on perd, qu’on oublie, celle qu’on retrouve, celle qu’on garde pour soi comme forme de résistance. « Il est muet, l’enfant », se gausse l’un des amants d’Arlette (David Marchetto). Et le silence de « Pas Jean-Paul » aura (presque) raison des efforts de Madame Giauque, la logopédiste (Anne-Shlomit Deonna). Oui, le texte de Valérie Poirier tourne autour de la parole et du silence, du pays perdu et du pays retrouvé, de l’exil et de la Terre promise. Il y a un désert à traverser, je crois qu’il s’appelle l’enfance.

     

    La mise en scène est signée Julien George. Il y aussi Hélène Hudovernic, François Florey et Nicole Bachmann. Les acteurs sont magnifiques. Le texte, troublant, énigmatique. C’est au Théâtre du Grütli jusqu’au 5 décembre.

     


    Pascal Décaillet

     

     

  • Serge Dal Busco : rigueur et détermination

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    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 25.11.15

     

    Dans l’actuel bras-de-fer entre gouvernement et Grand Conseil autour du projet de budget 2016, un homme mérite notre respect : Serge Dal Busco, conseiller d’Etat chargé des Finances. Attaqué de toutes parts. Pour toutes sortes de motifs, dont aucun n’est justifié.  

     

    D’abord, on l’accuse de ne pas écouter suffisamment les députés. C’est faux. M. Dal Busco assume son rôle de conseiller d’Etat, suit l’objectif fixé par le collège, avance. On ne va tout de même pas reprocher à un ministre sa fibre exécutive ! La ductilité, la combinazione, c’est pour les parlementaires, le maintien d’un cap, c’est pour le magistrat.  

     

    Ensuite, il y a cette insupportable comparaison, récurrente, avec David Hiler. Faut-il rappeler que le ministre Vert a traversé, en matière de conjoncture, de fort belles années, alors que son successeur doit essuyer la tempête ? Faut-il rappeler l’état de la caisse de pension du personnel de l’Etat, son coût pour des décennies, les milliards de dettes en plus ? Tout cela, que je sache, est largement antérieur à l’actuel ministre des Finances. Ce dernier, irréprochable de collégialité (y compris par rapport aux équipes précédentes), en assume le legs, dans la totalité. Il ne bronche pas.  

     

    Alors oui, respect pour un conseiller d’Etat qui ne passe peut-être pas le plus clair de son temps à chercher à plaire aux parlementaires, ou à boire des verres avec eux. Mais qui fait son boulot. Et tient la ligne. Par les temps qui courent, il faut du cran pour ne pas craquer. Et il en a. Je lui dis bravo.  

     

    Pascal Décaillet

     

  • Le pouvoir à Genève : oligarchique et familial

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    Sur le vif - Samedi 21.11.15 - 18.47h

     

    Il faudra bien, quand même, écrire un jour un livre sur la nature et la structure du pouvoir à Genève. Je vous le dis tout de suite : c’est complexe. Je doute qu’il existe, dans notre ville, dans notre canton, une personne qui exercerait, seule, un pouvoir phénoménal. Il y eut certes James Fazy, mais c’était il y a longtemps. Il y eut aussi, dans mes premières années au Journal de Genève, il y a trente ans, Christian Grobet. Fils d’ingénieur, je dois être l’un des rares, dans ma profession, à savoir lire un plan de chantier. Et j’aimais, en ces vertes années, monter chez ce grand homme, au septième étage de la rue David-Dufour : nous n’étions que quatre ou cinq, il déployait ses plans, tel un général à la veille de la bataille, il était à la fois Dieu tout puissant et simple contremaître. Précis, lucide. Incroyablement concret. Oui, j’aimais. Il y eut sans doute, aussi, Guy-Olivier Segond. Et quelques autres. Pas beaucoup.

     

    J’ignore si les choses sont différentes ailleurs (mon seul point de comparaison, vraiment professionnel, est la Berne fédérale), mais il me semble que le secret du pouvoir à Genève, c’est d’être partagé avec beaucoup de dilution, de subtilité, comme si des voiles d’opacité devaient atténuer notre perception du réel. C’est l’article de ma consœur Sophie Davaris, dans la Tribune de Genève de ce matin, qui m’a ramené à ce sujet, toujours rampant dans mes préoccupations. Il y est question des HUG, qui auraient mandaté, pour des travaux externes, des gens un peu trop proches de leurs dirigeants, voire l’entreprise de certains de leurs dirigeants stratégiques, elle-même. Légalement, cela pose la question de l’attribution des marchés publics, régie par une loi. Pour ma part, je laisserai cet aspect aux juristes, et reviens à mes perpétuels étonnements face à la structure du pouvoir à Genève : plurielle, décentralisée, associative. Et assurément oligarchique, car on y retrouve, un peu partout, les mêmes personnes.

     

    Car le pouvoir genevois, ça n’est pas seulement le Conseil d’Etat. Ni le Grand Conseil. Ni les Mairies, les Conseils municipaux. Ni l’administration, avec ses hautes-fonctionnaires. Ni les pontes des banques, des assurances, du négoce du grain, des multinationales. C’est tout cela un peu, certes. Mais ce sont aussi quelques dizaines (pas plus) de Conseils de fondation, ou d’administration de grandes régies (HUG, TPG, SIG, etc.), qui assurent le pilotage d’importants navires, dotés de beaucoup d’argent, financés par les contribuables, ou usagers, que nous sommes.

     

    Or, dans ces Conseils d’administration, ou de fondation, qui retrouve-t-on ? Réponse : toujours les mêmes ! Genève n’a pas son pareil pour distribuer les fauteuils à une petite clique tournante de personnes, qui trottinent, clopin-clopant, d’un Conseil à l’autre, d’une présidence à l’autre. On peut être président de l’un et vice-président de l’autre. On se connaît. On se tutoie. On mange ensemble. On neutralise ses antagonismes politiques par des excursions communes. On s’adoube. On se reconnaît. On s’observe. On se ménage. Tout cela est très associatif, très partagé, un rien bonhomme dans le paraître. Mais ne nous y trompons pas : si peu de gens, individuellement (un ou deux, quand même), exercent un vrai pouvoir, l’ensemble de la structure, dans sa subtilité plurielle, son partage associatif, ses réseaux d’intérêts, constitue bel et bien un redoutable pouvoir.

     

    C’est cela, la vraie leçon de l’affaire des HUG. Ou d’autres régies, bien sûr. Ne parlons pas des Conseils de fondation des grandes institutions culturelles, où gravitent aussi toujours les mêmes, ici un généreux mécène, avec eux les représentants des partis, sans oublier les anciens. Ah, les anciens : Genève est sans comparaison dans l’art de dorer d’ultimes lumières le blason de ceux qui, ayant servi, peinent à se résoudre à disparaître. Alors, on les recycle. On les achète, un peu. On les garde avec soi. En compensation, ils s’interdiront de critiquer le pouvoir en place. Et feront bénéficier des mille feux de leur expérience ceux qui leur versent leurs jetons de présence.

     

    C’est un peu cela, le pouvoir à Genève. Je laisse à chacun de vous le soin, si ça vous amuse, de coller, ici ou là, comme dans un puzzle, quelques noms sur quelques cases. Très vite, vous verrez qu’il n’y a, pour les postes-clefs, pas tant de noms. Toujours les mêmes. Ils ne sont pas élus par les citoyens que nous sommes. Mais adoubés, entre eux. Comme des Conseils de Sages. Ou de médiévales Bourgeoisies, survivant aux institutions républicaines. Rassurez-vous, rien d’illégal. Juste quelque chose d’infiniment familial. Qui respire le Sud. Mais hélas, pas toujours en été.

     

     

    Pascal Décaillet