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  • Le diable est-il collégial ?

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    Sur le vif - Samedi 31.10.15 - 18.48h

     

    Les journalistes SSR, les journalistes Ringier, les journalistes Tamedia, ainsi que 95% de mes chers confrères de ce pays, s’égosillent à nous brosser hargneusement le portrait-robot du deuxième conseiller fédéral UDC, à partir du 9 décembre prochain. A les lire, ou les entendre, ce futur élu doit certes venir des rangs de l’UDC (ils sont déjà bien gentils d’en convenir), mais à un détail près : sur le fond, il doit être tout, sauf UDC !

     

    Ils ne cessent de nous répéter, ces chers éditorialistes, que la perle rare doit être « collégiale ». Argument singulier. Car enfin, que la personne soit « collégiale » ou non, c’est l’affaire de qui ? Du collège ! C’est un critère totalement interne au fonctionnement du septuor, lequel, croyez-moi, relève d’une chimie tellement aléatoire qu’elle ne dépend jamais d’un seul facteur.

     

    L’argument « Blocher pas collégial » a été lancé, placé sur orbite marketing, rabâché en boucle, dans la législature 2003-2007, par l’entourage d’un conseiller fédéral radical valaisan pour qui il y avait, dans la cour, un coq de trop. C’était cela, tout le monde le sait, le vrai problème. Il fallait cet échauffement des esprits, pendant des mois, en amont du 12 décembre 2007, pour donner une assise de justification à l’éviction du Zurichois.

     

    Oh certes, Blocher n’était pas un homme facile au sein du collège. Mais enfin, vous pensez que Couchepin en était un ? Ou Mme Calmy-Rey ? Ou, plus tôt, Mme Dreifuss ? Ou Jean-Pascal Delamuraz, admirable, quand il combattait la loi sur le travail, qu’il jugeait trop libérale ? Ou M. Stich ? Et puis, dans tous les cas, cette histoire de « collégialité », c’est une affaire interne à la chimie du collège : les proportions que l’argument prend chez les commentateurs trahit en fait leur haine totale, qu’ils feraient mieux d’avouer franchement, du premier parti de Suisse.

     

    Du coup, sous le prétexte de « collégialité », la grande masse des commentateurs du pays n’en peut plus d’exiger, pistolet sur la tempe du parti qui vient de sortir premier des élections (donc, de recevoir un signal fortement positif de l’électorat), que l’heureux élu du 9 décembre soit tout, sauf UDC. Il faudrait qu’il soit ouvert à la libre circulation, alors que le credo de son parti dit exactement le contraire. Il faudrait qu’il se montre souple, arrangeant, sur la mise en application du 9 février 2014, alors qu’il provient du parti qui a remporté cette votation. Il faudrait, en un mot, qu’il abdique le sens de son engagement politique jusqu’ici, et s’aligne immédiatement sur les positions des cinq non-UDC du Conseil fédéral.

     

    Cette exigence, face à un parti qui vient de remporter un résultat historique aux élections, est tout simplement surréaliste. Elle révèle, dans l’univers médiatique suisse, une mortifère tendance au déni volontaire de réalité. Une preuve de plus que le champ journalistique du pays doit, lui aussi, évoluer. En laissant vivre, éclore et s’exprimer, en Suisse romande notamment, une ligne de pensée capable de traduire les préoccupations du tiers de l’électorat pour qui le vote conservateur n’est pas nécessairement le diable. D’ailleurs, le diable est-il collégial ? Vaste question, non ?

     

    Pascal Décaillet

     

  • EWS : la récré est finie

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    Sur le vif - Jeudi 29.10.15 - 15.47h

     

    Huit ans pour ça ? Huit ans c’est long, l’équivalent de deux mandats complets d’un président américain. Huit ans, à cause du coup de force de quelques-uns, le pronunciamiento d’une poignée de chefs de parti, qui avaient ourdi, et d’ailleurs s’en étaient ouvertement vantés. Huit ans d’une anomalie dans la composition du notre Conseil fédéral. La formule du 17 décembre 1959, ce grand jour qui vit arriver Tschudi, c’est deux conseillers fédéraux pour les trois premiers partis, un seul pour le quatrième. C’est cela, et non la contorsion. Cela, et non l’atteinte à l’esprit.

     

    Mme Widmer-Schlumpf fut-elle tout de même une bonne conseillère fédérale ? L’important n’est pas là. Il réside dans le parfum de trahison des origines, largement de quoi entacher d’un péché originel la légitimité de la Grisonne. Elle est la seule conseillère fédérale, depuis des décennies, que je ne connais pas. Je ne l’ai jamais rencontrée, jamais interviewée. Tous les autres, y compris les anciens, je les ai connus. Mémorable moment que ce jour du 12 septembre 1998, celui du 150ème anniversaire de la Suisse moderne, où nous avions reçu, en compagnie d’Uli Windisch (que j’avais invité dans cette émission un peu folle), en direct sur la Place fédérale, tout un après-midi, debout dans la foule, l’intégralité des conseillers fédéraux encore vivants (à part deux, trop malades pour venir), à la retraite ou en exercice. Eux, oui, je les ai tous approchés. Mme Widmer-Schlumpf, jamais.

     

    Sur son œuvre ministérielle, je ne me prononce pas ici. Ce qui est sûr, c’est que dans les médias aussi, il y aura un avant et un après-EWS. L’arrivée aux affaires, dans les circonstances qu’on sait, de la parfaite inconnue (mais ô combien consentante) qu’était encore, au matin du 12 décembre 2007, la patronne des Finances grisonnes, a ouvert une ère, de huit ans, celle des journalistes EWS, en pâmoison devant elle. Toute une génération de confrères, principalement sous la Coupole, sanctifiant la ministre, au seul réel motif, non de ce qu’elle était, mais de ce qu’elle représentait : puisqu’elle incarnait la chute de l’homme tant haï, elle ne pouvait être qu’excellente. Reprenez Shakespeare, « Jules César », discours de Marc-Antoine sur Brutus et Cassius, juste après l’assassinat, pensez à Marlon Brando qui l’incarne dans le film inoubliable de Mankiewicz en 1953, vous aurez tout compris. Rien d’autre à dire.

     

    Oui, il y a eu, pendant huit ans, toute une cour de journalistes dans la célébration sémantique et rhétorique de Mme EWS. Les mêmes, dans l’après-midi du 18 octobre, refusant de prendre la mesure du message du jour, l’incroyable percée de l’UDC, tellement riche pourtant d’enseignements sociologiques sur l’évolution de notre pays, n’avaient en tête que le destin d’Eveline Widmer-Schlumpf. Moi, je dis que cette génération des journalistes EWS, on en a maintenant soupé. Chez Ringier, c’était même devenu une religion que de défendre la Grisonne. Alors oui, maintenant, la récréation est finie. Il y a une révolution politique à faire au Conseil fédéral, en octroyant enfin à l’UDC les sièges qui sont les siens. Et puis, Mesdames et Messieurs, il y a une révolution médiatique à opérer, en laissant éclore de nouveaux espaces d’expression, où la Suisse conservatrice ne soit pas systématiquement bafouée.

     

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Etre Romand n'est pas un but en soi

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    Sur le vif - Mardi 27.10.15 - 16.11h

     

    J’ai vécu, et couvert en direct, comme journaliste de nombreuses élections au Conseil fédéral. C’est un rituel. Une liturgie. Avec un chapelet d’actions très précises, par exemple les vingt minutes entre deux tours, le temps pour les scrutateurs de compter, le suspense entretenu par le président, nombre de voix reçues, valables, nulles, éparses, etc. J’ai vécu aussi de mémorables Nuits des long Couteaux, la veille, jusque tard, à travers les bars bernois, le Café fédéral, le Schweizerhof, et toujours pour finir le Bellevue.

     

    Une mythologie, ces petits meurtres de la dernière heure ? Oui, non, c’est selon : assurément le coup monté par Jean-Noël Rey, secrétaire du Groupe socialiste en décembre 1983, contre Lilian Uchtenhagen, et pour placer Otto Stich, était bien réel, et je sais maintenant qu’il fut en effet peaufiné dans les ultimes moments. Et puis, la réélection du Conseil fédéral, c’est toujours en décembre, dans une Vieille Ville de Berne chaleureuse, magnifique, avec décorations de Noël, ambiance de Fêtes. Oui, j’ai aimé ces moments, ils font partie de notre tradition politique fédérale.

     

    Une autre coutume, à laquelle je me suis maintes fois prêté comme éditorialiste, c’est qu’un journal, dans un commentaire fracassant de première page, prenne parti pour un candidat. Il est d’usage, et ma foi bien compréhensible, que le quotidien local, celui de tout un canton, soutienne « son » poulain. Il s’affirmera ainsi comme le journal du canton, celui qui en défend les intérêts supérieurs. Admettons.

     

    Pour autant, l’édito de 24 Heures de ce matin, également dans la Tribune de Genève, me laisse sur ma faim. Faut-il à tout prix, en 2015, soit 167 ans après l’élection du premier Septuor, attacher tant d’importance à l’origine cantonale d’un candidat au Conseil fédéral, gouvernement de notre pays, chargé de défendre les intérêts vitaux de la Suisse tout entière ? A cette question, au risque de choquer la Romanité de certains, je réponds non.

     

    Pourquoi ? Parce que j’estime qu’être Romand n’est pas un but en soi. Il y en a déjà deux au Conseil fédéral, MM Berset et Burkhalter, je ne vois pas exactement l’urgence ethnique d’en ajouter un troisième, il faudrait plutôt s’interroger sur la question de la Suisse italienne. Et puis, voyez-vous, je connais très bien l’Histoire suisse, celle de nos conseillers fédéraux notamment, depuis 1848 : eh bien là aussi, au risque de heurter, je compte sur les doigts d’une main les très grands conseillers fédéraux romands. Et même en tenant compte du prorata de la population, désolé, mille fois pardon, mais je recense beaucoup plus d’hommes d’Etat chez les Suisses alémaniques que chez les Romands. Avec, bien sûr, d’inoubliables exceptions : je pense en premier lieu à Jean-Pascal Delamuraz, avec émotion, nostalgie. C’était un tout grand.

     

    Dès lors, l’engagement éditorial de 24 Heures (et, par reprise, la TG) au nom du Vaudois de service, parce qu’il est le régional de l’étape, et pour cela seulement, m’apparaît comme un peu dépassé. Un peu provincial. Dans un enjeu aussi important, il faut une approche nationale. Il faut aller chercher l’intérêt supérieur du pays. Et puis franchement, fin 2015, je trouve carrément ringard de s’imaginer qu’un conseiller fédéral, comme au temps des diligences, « représenterait » son canton. Il n’est d’ailleurs, statutairement, pas là pour ça. Donc, voilà, cet édito ne m’a pas convaincu. J’ignore absolument qui sera élu au Conseil fédéral le 9 décembre. Je souhaite à tout prix, simplement, qu’il s’agisse d’une personnalité puissante, inspirée, cultivée. A partir de là, le canton d’origine m’est parfaitement indifférent. Nous sommes tous Suisses. Tous, filles et fils de ce même pays, dont le charme pluriel façonne le miracle des équilibres. Enrichissons-nous les uns les autres, lisons les auteurs alémaniques, n’oublions jamais la partie italophone. Et, pour une élection au Conseil fédéral, laissons un peu les attachements de clochers.

     

    Pascal Décaillet