Sur le vif - Samedi 08.12.12 - 10.58h
Avec éclat, la Tribune de Genève confirme ce matin le phénomène que je décrivais hier, ici même. Sur une page 3 complète, la réaction du Conseil fédéral à l'initiative de l'UDC sur l'immigration de masse. Avec interview et photographie de Simonetta Sommaruga. Bref, la voix du gouvernement.
Lorsque l'initiative a été déposée, avec les signatures, a-t-elle eu droit à une pleine page équivalente?
L'événement, dans une initiative, ça n'est pas, en premier, le point de vue du Conseil fédéral. Ni celui du Parlement. L'événement, c'est l'initiative elle-même. On pourrait au moins, par souci d'équité, donner le même espace de parole aux initiants qu' au pouvoir établi du moment, lorsqu'il nous dit à quel point, selon lui, l'initiative est mauvaise.
Cela est valable pour une initiative de l'UDC comme pour une initiative de la gauche ou des syndicats. Cela est valable sur le plan fédéral comme dans les cantons. Le problème, ça n'est pas le Conseil fédéral, ça n'est pas Mme Sommaruga: ils ont bien raison d'utiliser l'espace d'expression qu'on leur offre. C'est de bonne guerre. Tous les gouvernements du monde cherchent à communiquer au mieux leurs points de vue.
Le problème, c'est la presse. Et jusqu'au statut même de "correspondant parlementaire" (j'en connais un morceau sur le sujet ! ) : certains, à force de traîner leurs escarpins dans la molasse du Palais fédéral, ne se rendent même plus compte que, même lorsqu'ils croient être critiques, leur tonalité, par mimétisme, est devenue celle du pouvoir en place. Ils sont les voix d'une même polyphonie. Ils ne sont pas la voix du choeur, celle qui dans la tragédie grecque représentait le peuple. Ils sont voix de pouvoir au milieu d'autres voix de pouvoir.
Oui, le problème c'est l'obédience d'une certaine presse - celle des grands groupes, notamment - face aux pouvoirs en place. Le mécanisme correctif de l'initiative est justement une géniale invention de notre démocratie suisse pour laisser s'exprimer la base lorsqu'elle n'est pas contente, sur un objet précis, des décisions des corps constitués. Et justement, le jour où un groupe d'hommes et de femmes, ayant bravé la météo et pris sur leur temps libre pour récolter des signatures, en amènent plus de cent mille à la Chancellerie fédérale, on mentionne la chose en bref. Alors que pour la réaction du pouvoir établi, c'est une page 3 complète et un édito qui va dans le même sens.
Ce qui perdra la presse, en Suisse, c'est la presse elle-même. Son conformisme. Son aplaventrisme devant les pouvoirs en place. Son extrême timidité dans la critiques des puissants. Son manque de réactivité, d'imagination. Son absence de panache. Son incapacité, au sens de l'orgue comme dans celui de la polyphonie, d'émettre véritablement une autre voix.
Pascal Décaillet