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Le CEVA ou l'Enfer


 

Vendredi 17.06.11 - 19.07h

 

L'affaire du CEVA venant de rebondir, je re-publie ici mon commentaire paru dans l'Hebdo du 26 novembre 2009, trois jours avant la votation. J'ai voté pour ce projet, et ne le regrette pas. Mais j'ai détesté - et déteste toujours - l'ambiance de "Sainte Alliance", et de diabolisation des opposants, qui régnait - et règne toujours - chez les partisans. A cela s'ajoute, de la part de la presse locale, un unanimisme pro-CEVA qui fleurait bon - et fleure encore - l'obédience au pouvoir en place, à la majorité dominante, à ses réseaux, ses cocktails. Deux ans après, rien n'a changé. Le pouvoir peut se passer de Feuille d'Avis officielle. La presse tient joyeusement ce rôle. Et gratuitement, pardi!

 

Bonne lecture. PaD

 

 

Le CEVA ou l'Enfer

 

«Chantier du siècle, votation du siècle, scrutin amiral, mère de toutes les batailles»: on dirait, quand on évoque le choix de dimanche, à Genève, sur le CEVA (liaison ferroviaire Cornavin-Eaux-Vives-Annemasse), que le peuple de ce canton aurait rendez- vous, comme jamais, avec son Histoire. Qu'il n'aurait pas le droit de se tromper. Que nul plan B n'existerait. Qu'un refus le plongerait dans les ténèbres. Que l'actuel chaos (bien réel!) en matière de circulation serait fiancé à l'éternité, sans solution de rechange crédible: l'enfer né de l'enfer, parce que le citoyen, dans la crasse de son obscurantisme, au-delà du véniel, aurait rejeté le Salut. Carrefour théologique, entre grâce et damnation, plutôt que choix politique rationnel, où des options citoyennes s'opposent à d'autres options citoyennes. La démocratie, quoi.

Ce martèlement des esprits en rappelle d'autres. La campagne du 6 décembre 1992 pour l'Espace économique européen, dont on a finalement vu le résultat. Ou encore celle du 29 mai 2005, en France, autour du Traité européen. L'éternel combat de ce qui est juste et bon, né de la Lumière, face à «l'aveuglement» des opposants, leurs «mensonges», leurs «chiffres faux» (parce que ceux des partisans, bien sûr, sont toujours exacts au centime près). Bref, tout est orchestré en vue de faire passer les anti-CEVA pour d'obscurs demeurés, rétrogrades, ou alors de poujadistes détaillants, le nez planté dans la glaise de leurs intérêts privés, parcellaires, des hallucinés du lopin, insensibles à la vision d'ensemble. Il y aurait d'un côté le salut du peuple, de l'autre celui de la bourgeoisie, évidemment repue, de Champel.

Destin transfrontalier. Je le dis tout net, je vote pour le CEVA. Parce que le projet me séduit, et me semble digne du rendez-vous de Genève avec son destin transfrontalier. Mais j'aurai, jusqu'au bout, détesté cette obligation d'adhérer que suinte la croisade des partisans. Ils seraient le Saint-Office, les autres seraient les hérétiques. Mais eux, les extatiques du CEVA, qui sont-ils, au fond? Réponse, toute prosaïque: l'alliance de circonstance des cinq partis qui, depuis quelques années, détiennent le pouvoir à Genève. Libéraux, radicaux, PDC, socialistes, Verts. Tout fiers que, en commission, un compromis ait pu sceller leur connivence contre la marge. Au-delà des rails et des locomotives, c'est aussi cela, l'enjeu du CEVA.

La marge, c'est qui, c'est quoi? La marge, c'est le MCG. Et une partie non négligeable de la section genevoise de l'UDC, enfin ce qu'il en reste. La marge, c'est aussi une part importante de la gauche de la gauche, atomisée à Genève en d'intestines colères qui font d'elle-même un exemple d'autosuicide reléguant les sectes solaires au statut d'amatrices. Et puis, la marge, c'est aussi, en effet, une somme assez impressionnante d'intérêts individuels, juxtaposés. C'est, enfin, un tracé alternatif au pied du Salève que les pro-CEVA ont un peu trop tendance à balayer d'un revers de la main. Le tout additionné pourrait donner, dimanche, un nombre non négligeable de «non».

L'avenir radieux sur rails. Et au fond, comme dans la France de mai 1995, est-ce bien sur le CEVA lui-même qu'on votera? Ou plutôt sur la confiance, ou la défiance, face à un establishment politique qui construit sa survie à cinq, toute artificielle qu'elle est, sur l'aubaine d'un projet fédérateur. Et, du même coup, rejette la marge montante (le MCG, oui, encore lui) dans le caniveau. Histoire de continuer, encore un moment, à se partager postes et prébendes, contrats de construction et bonnes affaires. On reste entre soi. Entre gens de compagnie. On se bricole un avenir radieux sur rails. Et la marge, on la laisse là où elle doit demeurer: derrière la barrière. A regarder passer, rutilant comme le progrès, le train des autres.

PASCAL DÉCAILLET

 

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