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Max Frisch : feu et braise

 

Sur le vif - Jeudi 12.05.11 - 11.38h

 

Œuvre de feu. Eclair de braise. L’un des grands écrivains de langue allemande de l’après-guerre, et Dieu sait s’il y en eut. Né en 1911, mort à l’aube de ses 80 ans, Max Frisch aurait eu 100 ans dimanche prochain, 15 mai. Son œuvre demeure, trace du temps mais aussi hors du temps, dans le monde et hors du monde, libre.

 

Libre, oui. Jamais captive des grilles de lecture dont la critique littéraire des années 70, issue du structuralisme, a fait sa spécialité : grille historique, grille sociologique, grille politique. La grille – ce mot horrible – n’implique que les limites carcérales intimes de celui qui en use, non celui qu’elle tente d’emprisonner. Frisch, comme Brecht, restera l’auteur libre d’une œuvre libre, de celles qui ne se réduisent ni au temps, ni au monde, même si, de près, elle les évoque, les convoque. Il n’est pas un écrivain politique, pour la simple raison qu’un écrivain politique n’existe pas, ou plutôt ne survit que comme écrivain, condition qui précède et transcende, dans un ordre d’années-lumière, la question politique.

 

Les étudiants en Germanistik des années 70 lisaient peu l’œuvre de Frisch, et cette méfiance professorale, de la part des mêmes qui, pourtant, nous ouvraient à Hölderlin et Paul Celan, comparaient avec génie les variantes de Brecht sur l’Antigone de Sophocle, était, du vivant du dérangeur zurichois, un hommage à sa probable capacité de nous troubler. Je ne l’ai lu, d’ailleurs, que plus tard. J’ai détesté son côté « auteur officiel » des dernières années, tout simplement parce que ce côté est ontologiquement haïssable.

 

Ce week-end, je tâcherai de relire « Don Juan oder die Liebe zur Geometrie », et, bien sûr, « Biedermann une die Brandstifter ». Le feu, le festin de Pierre, le rendez-vous de la séduction avec la mort, la parole qui s’embrase, le souvenir de Claude Stratz et de sa mise en scène, inoubliable, de mai 1999, je crois bien que c’était son dernier spectacle avant de quitter la direction de la Comédie.

 

Max Frisch, Claude Stratz, nous ont quittés. Et le ballet de mort est là, qui s’invite à danser quand on ne l’attend pas. Et l’œuvre, tellement présente, demeure. Au point qu’elle nous brûle.

 

Pascal Décaillet

 

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