Sur le vif - Vendredi 13.05.11 - 18.15h
S’exhumer du sommeil pour sortir une énormité, c’est la rafraîchissante prestation d’un nouveau conseiller fédéral dont vous ne soupçonniez sans doute pas l’existence, tant il est discret: Johann Schneider-Ammann. A côté de lui, Didier Burkhalter fait figure de Tarzan hurlant, empêtré dans ses lianes, terrorisant de ses mâles stridences les plus gourgandines des guenons.
Sortir du silence ? Oui, hier à Lucerne, JSA, l’homme qu’une Assemblée fédérale habitée par l’Esprit a cru bon de préférer à la Saint-Galloise Karin Keller-Sutter, a parlé. Pour dire quoi ? Que la SSR devait pouvoir développer son offre en ligne, malgré les craintes des éditeurs, parce que la vraie concurrence était étrangère. Reproduction exacte du discours du Mammouth ! Et ça tombe à pic : Roger de Weck, président de la SSR, fait justement partie du comité directeur du Swiss Media Forum, devant lequel s’exprimait hier le bouillant conseiller fédéral ! On n’est jamais aussi bien qu’entre soi, jamais aussi bien servi que par les siens, jamais aussi chouchouté que dans le cocon de son petit monde. Jamais aussi délicieusement coquin qu’entre copains.
Voilà donc un ministre de l’économie, sincèrement libéral, réputé excellent chef d’entreprise, partisan de la concurrence et de l’émergence des meilleurs, sauf dans les domaines où la grâce – et la célérité – d’un certain lobbying ont déployé leurs effets sur lui. Un libéral, oui, prêt à admettre que la SSR puisse bénéficier à la fois de cet impôt déguisé qu’on appelle redevance, et du feu libre pour s’épancher dans le champ de la concurrence. Beurre, argent du beurre, délices incestueuses d’un trio d’amour avec la crémière et la plus désirable de ses sœurs.
S’est-il trouvé quelqu’un, à Lucerne, pour défendre les radios et les TV privées de Suisse ? Et la nécessité d’un marché publicitaire (autre que d’insignifiants reliefs d’ortolans) pour les entreprises naissantes, souvent minuscules, dans le domaine du multimédia ? S’est-il trouvé un esprit pour défendre le tissu des PME, face à l’arrogante gourmandise du Monopole ? S’est-il trouvé une âme pour illustrer l’idée que la grande chance d’une démocratie, c’est la pluralité de ses opinions, la diversité de ses sources d’information, la liberté d’expression (qui passe aussi par un minimum de survie économique) pour ceux qui, hommes ou femmes, jeunes ou vieux, de gauche ou de droite, ne pensent pas nécessairement comme la masse ?
Non. Il ne s'est trouvé personne. Et voilà que le ministre suisse de l’économie, contre tous les principes qui devraient inspirer sa philosophie politique, donne un gage d’expansion supplémentaire à un Mammouth dont l’urgence première est au contraire de maigrir, en se concentrant sur des tâches essentielles. Débat politique, oui. Culture, oui. Acheter et diffuser une série américaine, le privé le fera tout aussi bien, et sans doute à meilleur prix. Peut-être l’entourage de Monsieur Schneider-Ammann, dans le Bois dormant de son ministère, pourrait-il, dans l’éclat d’un jour d’éveil, lui souffler, du bout des lèvres, ces quelques pistes.
Pascal Décaillet