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Liberté - Page 910

  • La Trahison des Clercs

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    Sur le vif - Vendredi 11.11.16 - 17.08h

     

    « Les sondages sont formels, Hillary Clinton va remporter l’élection à la présidence américaine, le 8 novembre prochain ». C’est ainsi, mot pour mot, qu’étaient prononcés les titres du Journal de 7h de la RSR, édition phare des Matinales, le vendredi 28 octobre dernier, à onze jours du scrutin.

     

    Nul n’est besoin d’être grand clerc dans l’art du journalisme pour savoir que cet indicatif, « va remporter », dans un journal factuel et informatif, non dans un commentaire, pose problème. La réalité ayant, onze jours plus tard, cruellement contredit cette imprudente prédiction, comment la direction de l’Information RSR entend-elle s’expliquer sur l’usage de cet indicatif présent ?

     

    Au cours de ces mêmes journées qui ont précédé le verdict du peuple américain, le 8 novembre, on a pu aussi, pêle-mêle, lire dans l’Hebdo l’annonce, avec certitude, de l’élection de Mme Clinton, et l’immense désir de voir un jour Michelle Obama, qui est juste l’épouse du président sortant, accéder, elle aussi, un jour, à la Maison Blanche. Au fond, le scénario idéal, c’était huit ans avec Mme Clinton, puis huit avec Mme Obama : seize années de bonheur, hors du tragique de l’Histoire. Vous pensez : des femmes ! Elles font tellement « de la politique autrement », c’est bien connu. Et puis, des démocrates, bien élevées, qui savent se tenir dans les salons, pas comme l’autre, le rougeaud, le rouquin, le vulgaire, le misogyne, le sexiste, le lourdaud.

     

    Toujours dans ces journées pré-électorales, la sanctification, par le Temps, du couple Obama. Tellement élégants, l’un et l’autre. Racés. Félins. Delon, dans le Guépard, dans la scène de la danse avec Claudia Cardinale. Reportage photos, glamour, couple de rêve, ils ont enchanté la Maison Blanche. Pas comme l’autre, le rougeaud, le rouquin.

     

    Dans le même journal, une chroniqueuse traitait le candidat républicain « d’Emperruqué ». Elle se disait qu’elle ne prenait aucun risque, Mme Clinton allait gagner, c’était sûr, tous les sondages l’affirmaient, et l’autre, le rougeaud, le rouquin, allait passer dans la trappe de l’Histoire. Alors, cette brillante chroniqueuse, si courageuse, se disait qu’elle pouvait, bien tranquille dans la meute, se permettre d’anticiper l’exécution. Elle a attaqué M. Trump, non sur ses idées, mais sur son physique, sa chevelure. Imaginez qu’un chroniqueur homme se fût permis d’attaquer la candidate démocrate sur un tel registre. Imaginez la levée de boucliers : « Sexiste, misogyne ! ».

     

    Voilà, c’est tout. Je ne donne ici que quelques faits, parfaitement vérifiables sur les archives de ces différents médias. A la RSR, l'annonce, à l’indicatif, de la victoire de Mme Clinton. Dans l’Hebdo, la promesse d’un nouveau monde au féminin. Dans le Temps, transfiguré en Gala, ou « Points de vue et images du monde », la sanctification d’une icône par sa grâce physique, comme il en est dans ces boutiques de pacotille, aux abords des lieux saints.

     

    Je termine par trois questions :

     

    1) Quelles leçons la direction de l’Info RSR entend-elle tirer de son traitement des élections américaines 2016 ?

     

    2) Quelles leçons la rédaction en chef de l’Hebdo entend-elle tirer de son traitement des élections américaines 2016 ?

     

    3) Quelles leçons la rédaction en chef du Temps entend-elle tirer de son traitement des élections américaines 2016 ?

     

    Excellente soirée à tous. Pour ma part, je vais écouter un peu de Wagner. Ça me donnera envie, comme chacun sait, d’envahir la Pologne.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Gilles Marchand, l'homme qui avance masqué

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    Sur le vif - Jeudi 10.11.16 - 17.07h

     

    Un homme d’une grande intelligence. Un animal à sang froid, calculateur, stratège, toujours courtois. Un sociologue, qui connaît rudement bien son métier, comprend les habitudes de consommation des gens, anticipe leur évolution. Tel est Gilles Marchand, le futur directeur général de la SSR. Le contraste avec son prédécesseur, Roger de Weck, idéologue, missionnaire, pro-européen militant, Croisé anti-UDC, est saisissant. Deux hommes, deux univers.

     

    J’écris ces lignes, parce que, dans la guerre, il ne faut jamais sous-estimer l’ennemi. Avec Gilles Marchand à sa tête, la SSR, ce vieux Mammouth encroûté, obtient l’aubaine d’un répit. Oh, elle mourra : nous mourrons tous, c’est sûr. Mais voilà, pour ce consortium rouillé, de type Biélorussie années 50, ou Pologne de l’avant-Gomulka, ou Tchernobyl avant la définition de l’atome par Démocrite, le sursaut de quelques années, encore, à vivre.

     

    Il suffit de discuter trente secondes avec Gilles Marchand pour tout comprendre : il vous regarde, vous écoute, vous sourit. Il a de l’humour. Il réussit très vite à vous enrober, laisse croire qu’au fond, nous sommes tous d’accord, allez on déjeune et on en reparle. Sous cette apparence, l’homme est un guerrier : il sait ce qu’il veut, où il va, comment il pourra l’obtenir.

     

    Le moins qu’on puisse dire est qu’il a du pain sur la planche. Une frénésie de chaînes de radio et de TV, des appétits insensés sur internet, des alliances publicitaires hallucinantes avec les requins du privé : il leur faut tout, à la SSR : le beurre, l’argent du beurre, la crémière, la redevance, la pub, les séries américaines, de l’argent, encore de l’argent.

     

    Ce comportement de prédateur, qui fut celui de Roger de Weck, sera aussi celui de son successeur. Mais, vous verrez, avec moins d’arrogance, voire pas du tout, moins de postures morales, aucune espèce d’obligation missionnaire sur l’idée européenne. Non, notre homme avancera comme il l’a toujours fait : masqué. Mais sachant parfaitement où il va, et pourquoi.

     

    Un brillant tacticien, donc. Mais cela suffira-t-il ? Connaît-il le pays ? Parle-t-il l’allemand ? Quelle représentation a-t-il du monde germanophone, ou italophone ? Connaît-il les fragiles secrets de la Suisse ? Entendra-t-il la colère de ceux, toujours plus nombreux, qui ne supportent plus le parti-pris de certaines équipes rédactionnelles, on peut penser à la RSR sur l’élection américaine ? Acceptera-t-il, longtemps encore, que le premier parti du pays, près d’un tiers d’électeurs, soit systématiquement sous-représenté, rabroué, vilipendé sur les ondes SSR ?

     

    Surtout, j’invite ici mes amis des télévisions régionales privées à ne se laisser prendre en aucun cas dans le piège du « Nous sommes tous copains, unissons nos forces, le seul ennemi c’est Google », que ne manquera pas de leur tendre cet homme habile, de si bonne compagnie, dans la tiédeur anesthésiante d’un cocktail. La vie, c’est le combat. Dans la guerre, il faut savoir identifier l’ennemi. Ne pas le sous-estimer, surtout dans le cas présent. Mais l’ennemi demeure l’ennemi.

     

    Bonne chance, Gilles. Tu es un homme intelligent. Donc redoutable. Nous nous retrouverons sur les champs de bataille.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • La terreur du convenable

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    Sur le vif - Mercredi 09.11.16 - 17.04h

     

    Ô Lumières, puisqu’il paraît qu’il faut vous invoquer, ne nous délivrez ni du mal, ni des ténèbres, ni de la tenace noirceur de nos âmes, ni de notre condition de mortel, tout cela hélas nous constitue : il nous faut faire avec.

     

    Mais peut-être pourriez-vous nous absoudre du plus pernicieux des écueils : la terreur du convenable. L’Histoire est pourtant tragique, ceux qui ont lu des livres le savent, elle est hantée par la mort, les batailles, le sang versé, le culte de la mémoire, le souvenir des ancêtres. Prenez la Grande Guerre : entre le 2 août 1914 et le 11 novembre 1918, mille morts par jour, en moyenne, en France, pendant quatre ans et trois mois. Certains pics (la Marne, la Somme, Verdun, le Chemin des Dames), plus de 25'000 morts par jour. Lors des assauts les plus terribles.

     

    La terreur du convenable sévit principalement chez ceux dont le recul historique, la mise en perspective, la confrontation des sources, devraient amener à une considération lucide du réel : les journalistes. Par malheur, c’est à l’intérieur de ce métier (le mien, que je ne troquerais pour nul autre) que sévit, depuis quelques décennies, ce fléau dévastateur : refuser la dimension tragique de l’Histoire, ne plus étudier les guerres ni les traités, ne plus respecter la mémoire des sacrifiés. Parce que tout cela fait peur. Oui, la réalité du monde est effrayante, circulaire comme l’Enfer, sans issue, sauf à se projeter dans la transcendance, qui n’est pas ici le propos.

     

    Dans l’élection américaine, il fallait à tout prix que l’élue fût Mme Clinton. Non qu’on la trouvât particulièrement inspirée, mais enfin elle était femme, démocrate, bien élevée, parfaitement inscrite, depuis plus de trois décennies, dans l’Etiquette de la Carrière américaine : First Lady de l’Arkansas, First Lady tout court, puis Sénatrice, Secrétaire d’Etat. Le cursus parfait pour parvenir aux plus hautes fonctions. Après la Révolution de la Couleur (Obama, 2008), tout était prévu pour la Révolution du Genre. Les lendemains pouvaient enfin apprendre à chanter juste. En soprano.

     

    La terreur du convenable ne se contenta pas d’idéaliser la femme, puisqu’elle était femme, mais elle eut l’aubaine d’avoir, face à elle, la parfaite contre-figure, celle du malotru, rougeaud, rouquin, tiens « Emperruqué », pouvait-on lire encore hier, dans une chronique du Temps, rédigé par une femme. Vous imaginez une telle attaque sur le physique, dans le sens contraire ?

     

    La terreur du convenable, ici en Europe, notamment dans une presse de Suisse romande qui fut au-dessous de tout (RSR, le Temps, principalement), c’est encore, aussi loin que remontent mes souvenirs, d’idéaliser les Démocrates, vitupérer les Républicains, se pâmer devant le beau Kennedy, diaboliser le vilain Nixon, bref on pense, on respire, comme les deux grands journaux de la Côte-Est, l’un de New York, l’autre de Washington, porte-voix de la ploutocratie et du cosmopolitisme, et si souvent du bellicisme interventionniste.

     

    Eh bien, pour ma part, seul contre tous dans la presse romande, cette terreur du convenable, je l’ai refusée. J’ai été combattu par les partisans de la candidate démocrate, ce qui est bien normal, je ne leur en veux nullement : la guerre, c’est la guerre. Mais j’ai vu aussi des amis s’éloigner, et même l’une d’entre eux, qui m’est chère, me sommer de m’expliquer sur la singularité de ma position. Alors que les autres, en face, leur choix était considéré comme « normal ». Où est la démocratie ?

     

    Ce matin, peu avant neuf heures, j’ai regardé le discours de Donald Trump. Je suis tombé sur la tonalité d’un homme d’Etat. Calme, déterminé, rassembleur, rendant hommage au travail d’équipe, mentionnant nommément chacun de ses soutiens, pour les remercier. Nous n’étions peut-être pas à Brazzaville en 1944, ni à Bayeux en 1946, ni à Alger en 1958, mais enfin nous étions dans un discours de type présidentiel.

     

    La terreur du convenable, je vais vous dire comment elle va évoluer, ces prochains mois : peu à peu, les mêmes qui le conspuaient vont trouver au nouveau Président des qualités, peut-être. Et certains d’entre eux auront même le culot de nous déclarer : « Je l’avais bien dit, cet homme est convenable ». Ce jour-là, la terreur du convenable aura encore marqué des points. Dans une cible circulaire. Comme l'Enfer. Excellente soirée à tous.

     

    Pascal Décaillet