Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Liberté - Page 320

  • L'extase de la structure

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 08.12.21

     

    De quoi l’école a-t-elle besoin ? La réponse est simple : elle a besoin de passion. C’est la seule chose qui compte. C’est le fondement de l’édifice. Les élèves doivent avoir face à eux (oui, en face, dans un rapport frontal) des hommes et des femmes passionnés. Des humains, qui leur parlent, au fond des yeux. Et qui leur transmettent leur passion à eux, celle qui les anime, celle qui du dedans les incendie.

     

    Aujourd’hui comme hier, les profs passionnés existent. Hommage à eux. Ce sont eux qui sauveront l’institution, et non les tristes missionnaires de la structure. Ces derniers, hélas, sont omniprésents. Pas trop dans les salles de classes, mais dans l’Appareil. De l’intérieur, ils le nourrissent. Ils croient, sincèrement, que l’enseignement est une science, alors ils re recroquevillent sur le mesurable. Ils édictent et imposent des règles, comme si l’art de transmettre une passion devait relever d’une grammaire supérieure, donnée une fois pour toutes, sous la bénédiction de Piaget et ses épigones. Ils sont les gardiens du Temple. Les archanges du Paradis.

     

    L’école genevoise a d’excellents professeurs. D’excellents doyens. D’excellents directeurs, directrices. Des gens de qualité, cultivés, soucieux du bien public. Mais il règne, dans le Département, un climat de noyautage par ceux qui, moins habités que d’autres par la grâce de la transmission, l’art du verbe, la passion de l’oralité, se réfugient dans l’extase de la structure. Ces gens-là, sans tarder, doivent être dessaisis du pouvoir triste et malsain qu’ils exercent sur leurs pairs.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Le DIP socialiste : pour l'éternité ?

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 08.12.21

     

    Nous avons, à Genève, cinq partis gouvernementaux. Nous en avons cinq, en moyenne, depuis 1961.

    Le DIP a été, depuis 1961, aux mains des socialistes pendant 42 ans : 24 ans sous André Chavanne (1961-1985), dix ans sous Charles Beer (2003-2013), huit ans sous Anne Emery-Torracinta.

    Dans deux ans, à la fin de la législature, le DIP aura été socialiste pendant 44 ans, sur 62.

    44 ans sur 62 ans, cela signifie le DIP socialiste pendant 71% du temps, depuis 1961. L'année de la construction du Mur de Berlin. Alors que nous avons à Genève, depuis cette période, où l’Algérie était encore française, une moyenne de cinq partis gouvernementaux.

    Pendant toutes ces années, de bonnes choses ont été accomplies, et puis d'autres, beaucoup moins bonnes. Dans cette seconde catégorie, il y a le poids croissant de l'Appareil, les affinités électives dans le choix des personnes, une passion démesurée pour la structure. Un pouvoir exorbitant donné aux pédagogues, aux théoriciens. L’idée excessive de faire de l’enseignement une « science », au détriment de toute la part d’instinct, de charisme personnel, qui fait la sève, le crédit, la grandeur du magistère. La confiance aveugle accordée à un institut de recherches interne, qui nous balance des chiffres comme un grimoire nous brandit des formules. Plus récemment, la peur de l’opinion publique. La crainte pour l’image. La loi du silence, dès qu’une affaire éclate. Une trouille verte face à d’éventuelles actions juridiques. Un conformisme hallucinant aux modes de pensée du moment : climatisme, féminisme. Une génuflexion permanente devant tout ce qui ressemble à une doxa de la gauche morale, bienpensante, celle qui édicte le Bien et le Mal, règle l’orthodoxie, instruit le procès des hérétiques.

    Je n’ai donné ici que quelques exemples. Il y en a tant d’autres. L’école est pourtant une invention merveilleuse. La transmission du savoir, entre le maître et l’élève, est un parcours initiatique bouleversant, fondateur. Ceux qui règnent sur le DIP sont donc investis du pouvoir sur un univers fascinant, où doivent régner la joie d’enseigner, celle d’apprendre, la liberté des âmes, la créativité, l’invention, l’innovation. La prise de risque, aussi, d’une parole solitaire face à la puissance d’une majorité. L’école doit être tout, sauf une citadelle de la peur. Hélas, trop souvent, elle l’est devenue. Non à cause des profs ! Non à cause des élèves ! Non à cause des parents ! Mais à cause de la structure ! Sa pesanteur. Son immobilisme. Son conformisme. Sa servilité face aux modes. Son usage de la peur, comme moyen de pouvoir. Sa langue de bois, face au constat du moindre dysfonctionnement.

    44 ans sur 62, soit 71% du temps, aux mains du même parti depuis 1961 : il y a là l’une des clefs d’explication de cet esprit de forteresse, où seule règne la stratégie défensive. L’attaque, la surprise, le mouvement, tout cela dort au fond des innombrables tiroirs de la bureaucratie au pouvoir. On ne règne pas par la peur. Ni par la contrainte. Ni par l’immobilisme. On règne par l’exemple. Par le charisme, Par l’enthousiasme. Désolé, mais aujourd’hui, on en est très loin.

     

    Pascal Décaillet

  • Bernard Haitink (1929-2021) : un portrait d'homme, juste égaré dans l'essentiel

     
    Sur le vif - Mardi 07.12.21 - 15.30h
     
     
    Comme je l'ai fait, ici et sur mon blog, le samedi 23 octobre dernier, à l'occasion de sa mort, je ne puis m'empêcher de vous parler de Bernard Haitink (1929-2021). Parce qu'il était un homme d'exception. L'un des plus grands chefs du vingtième siècle. L'un des plus puissamment habités, dans le tréfonds de l'intériorité spirituelle, mais aussi corporelle, par la musique. Enfin et surtout, parce que j'ai regardé hier soir, sur Mezzo, le portrait absolument saisissant consacré à cet homme. Il m'a laissé comme pétrifié. La chaîne le repassera, je pense, en boucle. S'il vous plaît, ne le manquez pas.
     
    On y découvre l'homme. Enfin, disons que Haitink, interviewé par Hans Haffmanns, homme de radio et de TV aux Pays-Bas, laisse perler de sa personne quelques éclats de diamant pur, nostalgie, tristesse apparente, émotion qui remonte, et puis soudain le regard qui éclate de mille feux lorsque l'on parle musique. Avec un sens du concret incomparable : partitions, choix de tempo, indications d'orchestre. L'exigence millimétrée d'un perfectionniste, au service de l'oeuvre, et d'elle-seule.
     
    Et puis ? Et puis, il y a ce visage, qui me frappe depuis si longtemps. Une raideur, comme il en va de ceux qui furent frappés de brûlantes souffrances, ou de crises fulgurantes. Un rideau de tristesse. Un barrage, pour contenir l'émotion. Haitink est là, dans sa maison du Sud de la France, à converser avec Haffmanns. Ils ne parlent que de musique, que de l'essentiel. Sur l'écume, rien. Toute l'émission se déroule en néerlandais, on comprend presque à l'oreille, si on est germanophone, ou (j’imagine) anglophone. Sous-titres en anglais. On pourrait se croire au Rijkmuseum, galerie des portraits.
     
    Et puis ? Et puis, la mémoire ! Elle remonte. Elle affleure. Elle arrive comme la vague, elle s'apprête à tout emporter. Premier souvenir de concert ? Haitink évoque immédiatement le Concertgebouw, 1938, Mengelberg à la baguette. Lui, Haitink, a neuf ans. Il découvre cet ensemble que plus tard il dirigera.
     
    Et puis ? Et puis, on entre dans le détail ! Haitink nous sort Mahler : la partition du Chant de la Terre, Das Lied von der Erde. Avec les annotations du grand Mengelberg ! Et Haitink nous en détaille les notes, les corrections, les indications de rythme, de la main du maître d'avant-guerre, avec des crayons de couleur. Et Haitink nous tient un discours sur le discours de Mengelberg sur le Chant de Mahler !
     
    C'est à cela qui doivent ressembler les émissions sur la musique. Pas de grandes paroles, romantiques (dans le mauvais sens), imprécises, volatiles. Mais la rigueur du concret.
     
    Haitink était un géant. Comme Furtwängler. Comme Abbado. Comme Harnoncourt. Comme Mariss Jansons. Ce portrait, soutenu par l'intense beauté tragique du visage de Haitink, mais aussi par la rugueuse splendeur de la langue néerlandaise, en version originale, est à voir de toute urgence. Il est un portrait d'homme, juste égaré dans l'essentiel.
     
     
    Pascal Décaillet