Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Liberté - Page 281

  • Le roi du zoom

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 01.06.22

     

    Vous organisez un Festival international de cinéma, à Cannes ? Vous présidez un colloque planétaire d’initiés, à Davos ? Pour votre cérémonie d’ouverture, un passage, incontournable : le Président ukrainien. En direct de Kiev, par zoom, dans sa tenue d’assaut version ville, toujours prêt à venir égayer vos hôtes. Qui l’écouteront, ravis, coupe de champagne en main, entre caviar (iranien, surtout pas russe !) et petits fours.

     

    Prenons Cannes. Il est de notoriété publique que l’homme de Kiev est une référence mondiale, en matière de cinéma. Et qu’il a toute autorité pour apparaître sur un écran (il adore les écrans) en introduction de la plus célèbre compétition de films sur la planète. Il connaît tout du traveling, il est le roi du zoom. Robes longues, smokings, décolletés vertigineux, gratin universel : tout s’éclipse lorsqu’apparaît, dans la grande tradition des rituels d’Orient, l’icône. La parole du Maître est oraculaire. On ne se souvient pas trop de ce qu’il a dit, mais foi de coureur de cocktails, il y a de la Pythie delphique dans cet homme-là.

     

    Les chairs dénudées en frissonnent d’extase : je l’ai vu, j’étais à deux doigts de l’écran, tout près de lui. A ce stade, Fatima et Lourdes peineront bientôt à régater : il est celui qui apparaît, délivre quelques mots irrévocables, s’éclipse, laissant l’assistance dans la béatitude. Nous arrivons à juin, c’est le mois du printemps. Vous organisez un mariage ? Vous avez besoin d’un major de table ? Le roi du zoom est disponible. Mais dépêchez-vous, le King est très pris. Il faut réserver, sans tarder.

     

    Pascal Décaillet

  • Un peu léger, Mme Fischer

     
    Sur le vif - Mardi 31.05.22 - 15.14h
     
     
    Il est des interviews ministérielles qui, plus que d'autres, laissent pantois. Ainsi, ce matin, sur la Première, la Conseillère d'Etat genevoise chargée de l’Économie. L'air était si léger, ce matin, entre 07.35h et 08.00h, on entendait siffler les premiers passereaux. On aurait peut-être dû en rester là. Couper le poste. Humer le printemps.
     
    Commençons par la fin. En pleine revue de presse, un confrère fait réagir Mme Fischer (en quoi il a parfaitement raison) à une nouvelle qui tombe à l'instant : la grande fusion impliquant un géant historique de la parfumerie à Genève, l'un des fleurons de notre Canton. Réponse, en substance : "Je n'étais pas au courant, vous me l'apprenez". C'est rafraîchissant, Mme Fischer, mais c'est un peu léger.
     
    Retour au début, au corps même de l'entretien. Mes confrères - et soeurs - tentent d'obtenir de la ministre des impulsions pour l’Économie genevoise. Quelque chose de moteur, qui fleure l'économie, l'invention, la compétition pour être les meilleurs. Las ! Ils ne récoltent pas un milligramme d'économie. Mais des tonnes d'écologie. Des mantras : transition, transition, transition. On se croirait dans une secte, au soir du Grand Transfert.
     
    En un mot, la magistrate prend une grille de lecture, une seule, celle du catéchisme de son parti pour les prochaines décennies. Elle applique cette grille de lecture-là. Et nulle autre. Elle pose un corset idéologique. Et c'est tout. C'est revigorant, Mme Fischer. Mais c'est un peu léger.
     
    Au final, quoi ? Rien, justement. Un parfum de néant. De la cosmétique. Des mots. Des recettes toutes faites. Un catalogue idéologique. Olfactivement, fenêtre ouverte sur le matin d'un monde, c'est enivrant. Mais c'est un peu léger, Mme Fischer.
     
     
    Pascal Décaillet

  • Oskar Lafontaine : les mots d'un Allemand, pour les Allemands

     
    Sur le vif - Dimanche 29.05.22 - 07.02h
     
     
    Dans une Allemagne vermoulue par l’atlantisme, une grande voix s’élève, il était temps. Oskar Lafontaine, 79 ans, ancien Ministre-Président de la Sarre, ancien patron du SPD, le parti de Willy Brandt, rappelle les vérités historiques, les chaînes de causes et de conséquences, ayant conduit à la guerre en Ukraine.
     
    Lafontaine n’est pas un homme à fables. Il a été l’enfant terrible de la sociale-démocratie allemande, il en a combattu la dérive blairienne, il a évolué vers des horizons plus à gauche (Die Linke, qu’il vient de quitter avec fracas), il a défendu toute sa vie les valeurs du travail et de l’industrie. Son père est mort au combat. Oskar Lafontaine est un très grand Allemand, sa voix porte.
     
    Sur l’Ukraine, que dit-il ? Ma foi, exactement ce que vous pouvez lire ici depuis des mois. Ou sous d’autres plumes, hélas trop rares, en Suisse romande.
     
    Il rappelle la longue et patiente approche des frontières russes par les Etats-Unis, depuis la chute du Mur. Le bellicisme des Américains contre la Russie et la Chine. La part de provocation, pour les Russes, que comporte cette stratégie offensive. Que diraient les Américains, si les Russes se positionnaient à Cuba (comme sous Kennedy), au Mexique, ou au Canada ?
     
    Lafontaine parle. Et enfin, dans le débat politique allemand, s’élève une voix de la clarté. Elle contraste avec l’illisible, l’inaudible Olaf Scholz. L’actuel Chancelier, lui aussi SPD, multiplie les signes de contradictions. Un jour, on se dit qu’il sera l’homme de la grande Ostpolitik de Willy Brandt. Le lendemain, il délivre des signaux totalement antagonistes, s’alignant sur la doxa américaine. Quatrième puissance économique du monde, première puissance d’Europe, l’Allemagne mérite mieux. Elle n’a plus besoin de plaire à tous, comme du temps de son nanisme politique.
     
    Avec ou sans Scholz, l’Allemagne est en plein réveil stratégique. Elle réinvente ses énergies. Elle se réarme, comme jamais depuis 77 ans. Elle file doux devant les Américains, mais jusqu’à quand ? À l’Est, avec ou sans Scholz, elle a sa propre politique d’expansion, sur le terrain de l’économie : Pologne, Bohème, Pays Baltes, Hongrie. Partout, elle s’implante. Partout, elle gagne.
     
    Alors, dans ce pays d’une vitalité exceptionnelle au cœur de l’Europe, la voix d’Oskar Lafontaine rappelle qu’il existe un autre destin allemand que celui de l’obédience atlantiste. Et que nul n’a à dicter aux Allemands leurs relations avec la Russie. Ni la nature profonde, historique, de leur tropisme vers l’Est.
     
    Ce sont là des paroles importantes. Les mots d’un Allemand, pour les Allemands. À nous de les décrypter comme tels, dans la connaissance intime des fondamentaux germaniques. Le plus loin possible de la liturgie de la morale. Et des bons sentiments.
     
     
    Pascal Décaillet