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Liberté - Page 1591

  • Les mots de trop



    Édito Lausanne FM – Jeudi 25.10.07 – 07.50h

    « Fascisme », « Duce ». Deux mots de Pascal Couchepin, il y a quelques semaines. Deux mots, clairement dirigés contre Christophe Blocher. Deux mots de trop, je l’avais immédiatement écrit dans un commentaire au moment des événements. Il est normal, aujourd’hui, que certaines dents, au sein même du parti radical, commencent à grincer autour du ministre valaisan. Et moi qui proclame cela, Dieu sait si je suis infiniment plus proche de Pascal Couchepin, de son univers politique, de son rapport au monde, que de Christoph Blocher.

    Seulement voilà, en politique, il faut savoir reconnaître ses erreurs. Et ces deux mots, proférés par opportunisme au moment où Blocher semblait affaibli par la campagne contre lui, relèvent de la faute politique.

    Pourquoi une faute ? Tout simplement parce que Couchepin a transgressé la vérité. L’UDC, ça n’est pas encore le fascisme. Blocher, ça n’est pas encore le Duce. Cela, le Martignerain, pétri d’Histoire, le sait très bien. Il sait parfaitement que l’UDC n’a jamais conquis aucun poste, dans aucune commune, aucun canton, ni à Berne, autrement que par la voie démocratique. Nulle marche sur Berne, à ma connaissance, ne s’est encore produite, nul faisceau, nulle phalange dans nos rues, nulle remise en cause – bien au contraire – du principe démocratique n’a été faite par l’UDC.

    Couchepin et Blocher sont deux démocrates. Ils ont simplement des conceptions différentes du modèle de pouvoir par le peuple. Pour Blocher, le peuple est le souverain absolu, son suffrage universel doit primer sur toute chose, y compris sur les décisions des juges fédéraux. Pour Couchepin, ce pouvoir doit être tempéré par la force des institutions intermédiaires, à commence par celle du parlement. Eh bien, depuis la Révolution française, ces modèles co-existent, dialoguent, s’affrontent, au sein de la grande famille de la droite, et d’ailleurs aussi à gauche. Le modèle Blocher se rapproche d’une conception bonapartiste de la République, plébiscitaire, qui n’était pas loin de celle du général de Gaulle, dont je ne sache pas qu’il fût anti-démocrate.

    Blocher, c’est la droite dure. Et j’ajoute : la droite xénophobe, cela, oui, c’est un authentique problème, cette image toujours négative d’un Etranger, un Autre, qui, au fil des siècles, a tellement, d’où qu’il vînt, enrichi notre pays. Mais tout cela, désolé, ça n’est pas encore le fascisme. Abuser de la puissance sémantique, dévastatrice, de ce mot terrible, n’était pas opportun. Il n’est donc pas étonnant que certaines voix s’élèvent, aujourd’hui, pour demander des comptes à Pascal Couchepin. Si Monsieur X, à demi-vin, dans quelque heure pâle de la nuit, au fond d’un bistrot, avec ses seuls copains, dit « fascisme » et « Duce », aucun problème. Si un ministre en exercice, l’un des meilleurs, excellent connaisseur de l’Histoire et du poids des mots, prononce les mêmes mots, il doit s’attendre, un peu plus sérieusement, à en répondre.

  • Le point, la virgule



    Édito Lausanne FM – Mercredi 24.10.07 – 07.50h

    Depuis l’enfance, j’ai toujours passionnément aimé les signes de ponctuation. Une enfance, d’ailleurs, où quelques demoiselles éclairées, délicieuses vieilles filles, toutes de tendresse et d’extrême rigueur mêlées, avaient bien voulu, justement, et en profondeur, me l’enseigner, cette ponctuation. Un point est un point. Une virgule est une virgule. La suspension, sans abus, doit nous dresser de désir vers l’attente. L’exclamation, encore plus rare pour être percutante, doit nous élever vers des cieux de surprise. Ou de colère. Ou d’extase ravie. Et puis, parfois aussi, la gustative jouissance d’un point-virgule, ultime relique d’un mandarinat du langage.

    Oui, ces vieilles demoiselles étaient mes maîtresses, je dirais plutôt « mes maîtres », pour éviter toute confusion, et dans le sens bouleversant, de filiation et d’amour, que donne à ce mot Charles Péguy. D’où mon bonheur, hier, à regarder Infrarouge. Non pour les invités politiques. Je venais de recevoir les mêmes, deux heures plus tôt, sur mon plateau, et sur le même thème. Mais pour un monsieur, un observateur du discours, qui a dit deux ou trois choses d’une éblouissante justesse sur les points et les virgules. Il a dit que Blocher parlait avec des points. Et qu’on le comprenait. Il a dit que tant d’autres parlaient avec des virgules. Et qu’on ne les entendait pas. Et l’écouter, ce spécialiste dont j’ai oublié le nom, a été pour moi un bonheur.

    Il y a le discours des points et celui des virgules. Il y a la phrase qui sait se mettre en évidence, avec son sujet, son verbe actif, ses compléments. Elle porte une idée une seule, une image, elle va vers l’auditeur. Et le discours, pas à pas, se construit par l’assemblage de membres qui, tous isolément, portent sens. Cela, Christoph Blocher l’a compris. Mais aussi Pierrre-Yves Maillard, le meilleur de tous en Suisse romande. Je ne parle pas ici de ton, qu’au demeurant chacun de ces deux acteurs maîtrise à merveille. Mais de sens de la phrase, de construction du langage. Parler pour être entendu. C’est valable pour un discours politique comme pour un papier radio.

    Et puis, il y a tous les autres. Ceux qui enchevêtrent principales et subordonnées, dans des phrases trop longues, trop conceptuelles, sans image, sans force ni sensualité dans le choix des mots. Comme si le langage n’était que fatras et fracas, fils entremêlés d’un marionnettiste atteint de la maladie de Parkinson. Et ils croient qu’étant longs, ils seront intelligents. Et ils croient qu’étant complexes, ils seront intelligibles. Et, dans le charivari de leur verbiage, plus rien n’émerge, nulle image, nulle idée maîtresse. Et ils aspirent à des gouvernements, quand ils ne gouvernent même pas le verbe qui est en eux. Et ils aspirent à des parlements, quand ils ne savent même pas parler.

    Les points. Les virgules. Le monsieur d’hier, à Infrarouge, était tout simplement remarquable. Et tous nos politiciens, qui croient nous ravir avec leurs chiffres et leur amer élixir de complexité, feraient bien, tout simplement, d’apprendre ce qu’est un point, une virgule, une pause, une demi-pause, une respiration. Et on commencerait enfin à les saisir. Et les mornes matins, comme l’avait si bien dit Aragon, en seraient différents.

  • La rose fanée

    Bien sûr, il y eut Jaurès, cette grande voix qui fit vibrer la France au tournant des deux siècles. Bien sûr, il y eut Blum, les congés payés, le Front populaire, la magie de cet été 36 où la France dansait, pendant que l’Allemagne se préparait. Bien sûr, il y eut François Mitterrand, sa rose et son chapeau, sa culture littéraire, son intelligence politique. Bien sûr, il y eut Willy Brandt, et la génuflexion de Varsovie. Oui, tout cela a existé, fait partie de notre Histoire, notre patrimoine, notre mémoire. Cela portait un nom. Cela s’appelait les socialistes.
     
    En Suisse aussi, nous avons eu de grandes figures. Au tout premier plan desquelles il faut placer le Bâlois Hans-Peter Tschudi, qui fit prodigieusement avancer les assurances sociales, notamment l’AVS, dans les années 60. André Chavanne aussi, l’un des pères de l’Ecole à Genève, dont le mérite ne réside pas tant dans la qualité de l’enseignement qu’il fit prodiguer que dans la réussite de l’intégration des immigrés et du baby boom.
     
    Et puis, il y eut Olaf Palme en Suède, Bruno Kreisky en Autriche, bref il serait parfaitement insensé de nier la richesse de l’apport des socialistes, dans l’Histoire européenne, et la nôtre en Suisse, au vingtième siècle.
     
    Mais nous sommes aujourd’hui en 2007. Nous sommes au vingt-et-unième siècle. Et je ne suis pas sûr, voyez-vous, que le socialisme, au sens classique où on l’a entendu pendant tout le siècle précédent, cette idéologie héritée de Zola, des mines, des charbonnages, des houillères, des grandes grèves, des carcans syndicaux, soit encore bien pertinente pour affronter nos défis d’aujourd’hui. Regardez les ouvriers. Ils ne s’y sont pas trompés. En Suisse, depuis pas mal d’années, ils ne votent absolument pas socialiste. Mais UDC.
     
    Et ce virage, les socialistes suisses ne l’ont tout simplement pas vu venir. Engoncés dans leurs certitudes, leur éternelle confusion de la politique avec la morale, erreur majeure qu’un François Mitterrand n’a jamais commise, donneurs de leçons, redresseurs de torts, décidément plus doués pour organiser la distribution des richesses que pour la produire, ils sont, aujourd’hui, dépassés par les événements. Ce monde n’est plus le leur. Ils ne le comprennent pas. Ils n’en parlent pas le langage. Ils n’ont plus que la force de se plaindre, dénoncer les méchants à la maîtresse, regretter le temps où on les écoutait. En Suisse, comme en France, ils en ont pour des années à se remettre.
     
    Mais se remettront-ils seulement en question ? Quand on entend certains d’entre eux, et même le plus brillant, au soir même de la défaite, avant-hier, n’expliquer la victoire de l’UDC que par l’argent de la campagne, c’est à désespérer. Bien sûr, l’argent a joué un rôle. Mais le talent aussi, la vigueur de l’UDC, son appétit de conquête, sa stratégie. Toutes choses qui, chez les socialistes, n’existent plus.
     
    Bien sûr, il y eut Jaurès. Il y eut Blum. Il y eut Willy Brandt. Il y eut Tschudi. Mais aujourd’hui, il n’y a plus personne. Il n’y a plus que l’arrogance, le pré carré de quelques féodaux locaux à la rose bannière. Pour ce parti, voici venu le temps de la refondation. Elle sera très dure et très douloureuse.

    Édito Lausanne FM – Mardi 23.10.07 – 07.50h