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Liberté - Page 1587

  • Kubrick, pour toujours



    Édito Lausanne FM – Mardi 06.11.07 – 07.50h

    Trois heures et demie de film, dont chaque plan est un chef-d’oeuvre. Chaque éclairage, un intérieur à la Rembrandt. Chaque paysage, un Turner. Un univers musical d’exception. Le XVIIIe siècle recréé, en 1975, comme personne n’avait jamais réussi à le faire, et sans doute ne le fera jamais.

    La première fois que j’ai vu Barry Lyndon, c’était, adolescent, à sa sortie. Et puis, voilà, comme pas mal de gens de ma génération, j’ai passé ma vie à voir et revoir cette absolue perfection de l’histoire du cinéma. Sept ou huit fois sur grand écran, en tout cas.

    Et puis, hier soir, Barry Lyndon passait à la télévision. Alors, bien sûr, un tel film sur petit écran, c’est un peu la Ronde de nuit sur timbre-poste, ou transformer un oratorio de Haendel en sonnerie pour portable. Je m’étais donc dit que cette fois, non, je ne m’abandonnerais pas. Ou alors juste trois minutes, pour l’œil, pour l’oreille.

    Seulement voilà, lorsque Barry Lyndon passe à la télé, c’est chaque fois la même histoire. Je m’assieds, juste trois minutes, juré, juste revivre ce premier choc d’adolescence. Et, trois heures et demie plus tard, dans cette interminable et sublime scène finale où Lady Lyndon, l’extraordinaire Marisa Berenson, n’en finit plus de signer ses traites sur fond de trio de Schubert, je suis toujours là, rivé, charmé, fasciné.

    Ce film-là est une magie. Le génie de Kubrick, son acharnement au travail, pendant cinq ans, sur le plus infime millimètre de détail, le labeur acharné sur la lumière, le reflet du feu de bougie sur la pâle beauté d’un visage, les scènes d’intérieur entièrement tournées aux chandelles, les tonnes de cire fondues pour l’occasion, la délirante précision des scènes et des costumes, le choix des musiques. Dire que Kubrick est perfectionniste est un faible mot : il est carrément malade, fou du détail, brûlé de l’intérieur par le feu de l’œuvre. Jamais nul ne nous a, à ce point, transféré dans une époque. Ce film, dans tous les sens, y compris racinien, nous transporte. Vers le XVIIIe. Mais aussi, vers le lieu intérieur de nos passions.

    Il faut bien comprendre : Barry Lyndon n’est pas un film historique. Ça n’est pas un film à costumes. Derrière ces paravents, c’est à travers l’incertitude de nos propres destinées que nous guide Kubrick. Le XVIIIe, c’est nous, Redmond Barry, c’est nous. L’enfant qui meurt, c’est le nôtre. Le premier baiser à Marisa Berenson,sur premier fond de trio de Schubert, c’est le miroir de nos émois. Et ce héros, Redmond Barry, cet ambitieux Irlandais capable des plus perfides trahisons comme des plus grands actes de bravoure, c’est l’humain, dans sa fragile ambiguïté, que nous sommes tous. Le baiser, sur la bouche, en pleine fureur de la bataille, au capitaine irlandais qui l’avait protégé, et que la rafale ennemie vient d’abattre, n’est-elle pas l’une des plus fortes scènes du film ?

    Et puis, ce film raconte une histoire, tirée du roman de Thackeray. Le destin d’une vie, simplement, une ascension, une inexorable chute. L’imperméabilité, juste encore quelques années avant la Révolution française, entre l’aristocratie et les autres classes sociales. Ce film, ce sont les derniers feux de l’Ancien Régime, les ultimes vestiges d’un ordre qui se meurt.  Et le chemin d’un homme, hasardeux et picaresque, à travers les régiments britanniques ou ceux de Frédéric de Prusse. Et aussi, d’un château l’autre, une errance, à la lumière de jeux de carte où le hasard le dispute au destin, dans l’un moments les plus raffinés de l’Histoire humaine. Le XVIIIe, juste avant la Révolution. Un film à costumes, qui nous renvoie à la nudité de notre condition humaine, face à la mort.

  • Election partielle

    Chronique parue dans la Tribune de Genève du lundi 05.11.07

     

    Élection partielle
     
    Ce qui m’a le plus frappé, de retour sur la place genevoise après de longues années de politique fédérale, c’est la surprotection dont semblait jouir Robert Cramer de la part de l’univers entier : politiciens, y compris la droite, journalistes, et même les humoristes, ne brocardant, tout au plus, que son goût pour, disons, le terroir.
     
    Là, j’ai cru saisir que les choses étaient un peu en train de changer. Alors, j’ai passé mon week-end à sonder la droite pour voir qui, attiré par l’éventualité, à vrai dire bien improbable, d’une élection partielle, engouffrerait son destin dans cette aubaine. Et, à ma grande surprise, nos héros de l’Entente, à commencer par les plus vifs lorsqu’il s’agit de planter quelques banderilles sur des affaires de tram ou de régies, ne voyaient strictement aucune urgence à se lancer dans l’aventure d’un scrutin anticipé.
     
    Alors, quoi ? L’homme, décidément trop fort, les aurait-il tous anesthésiés, comme il a gentiment chloroformé, hier soir, 18.15h, les auditeurs de la RSR ? Ou plutôt, les actuels caciques de l’Entente auraient-ils à ce point étouffé toute relève ? Il y a portant des gens pour reprendre le flambeau. Le courageux radical Thomas Buechi, parmi quelques autres, en fait partie.
     
    À vrai dire, Robert Cramer n’a rien à se reprocher. Il a parfaitement raison d’user de toutes les ressources dont-il dispose, la ruse, la malice et le charme. Et quand on a, face à soi, une droite aussi apeurée qu’elle est belle parleuse, on aurait tort de se gêner.
     
    Pascal Décaillet
     

  • ADN: la nausée


    Édito Lausanne FM – 05.11.07 – 07.50h


    Adolescent, j’étais fasciné, avec beaucoup de mes camarades et grâce à un prof de biologie hors normes, par la double hélice de l’ADN, Watson et Crick, jeunes et brillants Prix Nobel 1953. Ce même Watson, au demeurant, qui vient de tenir, sur les Africains, des propos pour le moins étonnants.

    L’ADN, les chromosomes, le bagage génétique, il y a là, bien sûr, de quoi émerveiller la pensée. Nous sommes dans l’intime de l’intime, la structure profonde d’un être humain, ce qui le constitue, matériellement.

    D’où ma nausée – je pèse les mots – face à ce qu’on pourrait appeler « le grand retour de l’ADN », non plus dans l’ordre de la science, ni même dans celui de la police scientifique ou de la justice, mais, cette fois, dans celui de la récup politicarde d’étage zéro. En France avec Sarkozy, en Suisse avec une motion UDC dont nous avons appris l’existence hier, voici que le recours à l’ADN se banalise comme feuille d’automne, à tous les vents jetée, pour un rien.

    L’UDC, c’est un conseiller national zurichois, Alfred Heer. Il veut rendre le test ADN obligatoire pour le regroupement familial de certains étrangers. L’ADN. C’est-à-dire une intrusion dans le corps, dans l’intime, la sphère la plus personnelle. Il faut le dire, la banalisation de cette pratique relève de l’inacceptable.

    Et puis, quelle étrange conception de la filiation ! Le lien de paternité, ou de maternité, que je sache, n’est pas toujours régi par la loi du sang. Il y a, par exemple, des adoptions, des reprises d’enfants orphelins par de tierces personnes. Et le lien, dans ces cas-là, serait-il moindre que celui qui procède des chromosomes ?

    Surtout, voilà qu’on va chercher une technique de pointe d’identification des humains, utile dans la lutte contre certaines formes de criminalité, pour en faire un acte de tous les jours, banal. Il y a là une surexposition de la loi du sang qui, pardonnez-moi de le dire, rappelle d’autres époques, qu’on croyait révolues.

    Il fut un temps, oui, pas si lointain, où on allait chercher les gens pour connaître certaines caractéristiques de leur mère, de leur grand-mère. C’était l’époque où l’immonde s’amusait à tutoyer la généalogie. L’UDC, premier parti du pays, gouvernemental et responsable, aurait tout à gagner, très vite, à prendre ses distances face à certains apprentis-sorciers, dans ses rangs. Tout comme elle aurait dû, sans ambiguïté, se démarquer, ce printemps, à Genève, des auteurs d’une affiche sur les « Pacsés inféconds ». Tout le monde y gagnerait : l’UDC en crédit, la politique suisse en salubrité.