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Liberté - Page 1158

  • 50 ans après

     

    Dimanche 01.07.12 - 10.54h

     

    Une pensée, en ce cinquantième anniversaire, pour tous ceux, Français, Algériens, Français d'Algérie, combattants pour l'indépendance, paysans de la plaine fertile, fermiers des Aurès, bergers de Kabylie, petits commerçants, instituteurs, tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, d'un côté de la barrière comme de l'autre, furent concernés par les événements tragiques et sanglants de 1954 à 1962.

    Sur leur Histoire, celle des Français de 1830 à 1962 comme celle des indépendantistes, ceux de Messali Hadj et de Fehrat Abbas, j'ai chez moi une bibliothèque complète. Malgré la césure des Accords d'Evian, malgré l'immensité de l'exil, je ne puis m'empêcher de penser avec une immense émotion à la communauté de destin autour de la Méditerranée. Existe-il, à part Jules Roy ou Lacouture, un homme qui en ait aussi bien parlé qu'Albert Camus ?

    Je relirai cette semaine "Nationalité française", le chef-d'œuvre d'Yves Laplace. Je relirai aussi "Adieu ma mère, adieu mon coeur", de Jules Roy. Et surtout l'ouvrage éblouissant de Lacouture sur l'histoire (dès le 19ème siècle, à vrai dire dès Abdel Kader) de l'idée d'une Algérie algérienne.

    A tous, ceux d'ici et ceux de là-bas, d'un rivage l'autre, j'adresse mon salut ému et fraternel.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Le perchoir, les poids, les mesures

     

    Sur le vif - Vendredi 29.06.12 - 16.56h

     

    L'excellent député radical (je ne dis jamais PLR) Jacques Jeannerat, lors de la séance du Grand Conseil d'hier soir, s'est un peu échauffé face à la cheffe du groupe socialiste, Lydia Schneider Hausser. Il est vrai que cette dernière, la chaleur et la fatigue aidant, venait de déclarer qu'il fallait promouvoir, à Genève, les emplois non-qualifiés ! Bref, Jeannerat a vu rouge, mais alors vraiment rouge, de l'écarlate façon Miró, il a dû entrevoir faucilles et marteaux, Bolcheviks échevelés, chars soviétiques sur les Champs-Elysées : pas content, le directeur de la Chambre de commerce et d'industrie !

     

    Alors, c'est vrai, il a eu un mot un peu fort. Aux socialistes, il a reproché de fondre comme des « charognards » sur l'affaire Merck Serono, de la récupérer politiquement. « Charognards », ça n'est évidemment pas très gentil, mais enfin, jusqu'à nouvel ordre, ça n'est pas une insulte. C'est juste un prédateur qui se nourrit de cadavres. Le vautour, noble animal, qu'il m'est arrivé une seule fois d'observer en liberté, est un charognard. Il n'y avait donc guère de raison, da part du président, d'inviter l'orateur à « modérer ses propos ».

     

    Car enfin, un Parlement ne doit certes pas être une foire d'empoigne, et on peut bien admettre que le jet aquatique, aussi revigorant puisse-t-il se révéler par ces grandes chaleurs, y soit déplacé. Disons qu'on s'y explique par les mots plutôt que par les poings, par le verbe plutôt que par l'hydrothérapie faciale. Ça, oui. Mais une fois posé le primat des mots, faut-il encore y planter l'échelle du convenable ? A ce petit jeu-là, on finira par remplacer la joute parlementaire, où nécessairement parfois le ton monte, par la sérénité empesée du salon de thé. Cette pétrification des impulsions, qui ne profiterait qu'aux pisse-froid et aux ratiocineurs, ne rendrait assurément pas service au dialogue républicain, qui a droit, aussi, à la vigueur. Que l'insulte soit la limite, d'accord ; en l'espèce, hier soir, nous n'y étions pas.

     

    Mais il y a pire. Quelques minutes plus tard, le député UDC Bernhard Riedweg, dans un débat financier sur les politiques publiques, pose tout un chapelet d'excellentes questions, compétentes, argumentées, pertinentes. Questions auxquelles, d'ailleurs, et fort poliment, le ministre des Finances répond. Le hic, c'est qu'entre-temps, un député libéral (je ne dis jamais PLR), fatigué de porter sa hauteur patricienne, se croit obligé de faire à Riedweg la leçon, laissant entendre que ces questions n'avaient rien à faire là. Et il parle de « discours aux ânes », ou de « messe aux ânes ». Là, le président ne bronche pas.

     

    C'était notre chronique sur le fil du temps, les affinités électives, le monde étrange et merveilleux des poids et des mesures.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Jean-Jacques

     

    Jeudi 28.06.12 - 16.08h

     

    Passionné de textes et de livres, je ne le suis pas des commémorations. Ceux-là mêmes qui, aujourd'hui, chantent Rousseau, comment l'eussent-ils traité de son vivant ? Et Koltès, et Genet, et les premiers écrits de Gide, vous croyez qu'ils les auraient repérés ? Et les chroniques de Cingria, éparses, semées au vent, enfin rassemblées par un travail de titans, à l'Âge d'Homme ? Oui, je considère Jean-Jacques, avec Gide et Céline, comme l'un des styles les plus éblouissants de langue française. Non, je n'irai pas dans leurs officialités. Cela suinte trop la récupération. Le compost.

     

    Il n'y a qu'un seul hommage à rendre à un auteur : le lire. Ou lire l'exceptionnel Starobinski, l'homme qui a le mieux parlé de Rousseau. Ou aller voir ses manuscrits, à la Bodmer. Mon premier souvenir date de l'année de mes vingt-et-un ans, j'étais mal, j'ai ouvert les Confessions, dans la Pléiade, ne les ai au fond jamais refermées, ne m'en suis pas remis. Un homme parlait de lui. L'intimité d'un style. La puissance de captation de l'écriture. Il me parlait à moi, n'avait écrit ce livre que pour moi, je lisais des chapitre entiers à haute voix, j'ai dû déclamer mille fois la scène de la rupture avec Madame de Warens. En langue française, seul Gide, je veux dire avec une telle intensité, me fit cet effet.

     

    Je sais, c'est un génie universel, philosophe, pédagogue et musicien, et tant d'autres choses. Je ne veux retenir que l'écrivain et le botaniste. Pour moi, Jean-Jacques n'est pas cet homme mondial, planétaire dont parlaient déjà les révolutionnaires de 1789 et les amis d'Hegel. Il est celui qui, un jour, lorsque la nuit menaçait de l'emporter, m'a ouvert à la lumière. Pas les Lumières. Non, juste la brûlante intimité d'une minuscule.

     

    Pascal Décaillet