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Liberté - Page 1107

  • Des problèmes de mélancolie

     

    Chronique publiée dans Tribune (Le Journal du PLR vaudois) - No 8 - Mercredi 24.09.13

     

    Depuis plus d’un quart de siècle, je couvre l’actualité politique. Avec une passion que n’altèrent ni les années, ni les cheveux qui blanchissent. Citoyen concerné, je prends position. Alors, de plus en plus, les gens me disent : « Et si, au lieu de seulement observer et commenter, tu te lançais ? ». La réponse, jusqu’ici, a toujours été non. Pour une bonne raison : l’exercice de la politique, celui d’une campagne comme celui du pouvoir, exige des vertus que je n’ai pas. Tout au plus pourrais-je être un bon parlementaire. Mais bon, je préfère mille fois, malgré tous ses risques et tout son inconfort, mon métier de journaliste indépendant, responsable d’une entreprise pour laquelle je me bats sept jours sur sept.

     

    Prenons la campagne. Je les vois, à Genève, ils y sont jusqu’au cou. Sincèrement, je les admire, ces 476 candidats au Grand Conseil et 29 au Conseil d’Etat. Ils ont enfin compris que tout se jouait sur le terrain, avec les vraies gens, les poignées de mains, le tintement des verres quand on trinque. Alors, ils y vont. Et certains d’entre eux y passent le plus clair de leur temps libre. Et ils ont raison, c’est comme ça qu’on est élu. Mais la niaque, le tempérament, le feu de générosité et de don de soi, il faut les avoir ! Pour ma part, je ne les ai pas. J’aime les gens, pourtant, mais crois être trop fier pour aller leur quémander quelque chose. Même si une voix, un suffrage, étant totalement parties du mécanisme démocratique, n’ont rien d’une aumône. Mais ces gens-là, oui vous les politiciens qui me lisez dans ces colonnes, qui osent surmonter leur amour-propre et s’immerger dans la candidature, je les admire.

     

    Au fond, il y faut comme un oubli de soi. Et je respecte cette posture, qui est d’action pure, en vertu d’une stratégie, d’un but à atteindre, de moyens à mettre en œuvre. D’ailleurs, si cela ne relevait pas de l’art de la guerre, pourquoi parlerait-on de « campagne », de « terrain », « d’adversaire », de « victoire », de « défaite » ou de « triomphe » ? Bien sûr que le combat politique s’est calqué sur ce modèle-là, impliquant courage et ténacité, ruse et rouerie, alliances et pourtant solitude. Toutes choses qui me parlent. Mais parallèlement, il y a tout ce dont je suis incapable : j’éprouve une haine viscérale des cocktails, déteste me trouver au milieu de gens que je ne connais pas, courbettes par ci, échanges de cartes de visite par-là, ce que l’immonde plouquerie moderne appelle « réseautage ». En vérité je vous le dis, si je tenais le snobinard qui a inventé ce mot, je serais capable du pire : l’inviter à l’une de mes émissions. Et là, croyez-moi, il ferait beaucoup moins le malin, le gaillard.

     

    Et puis, candidat ou élu, il y a toute cette vie sociale, indispensable si vous voulez survivre. D’interminables soirées à aller écouter pérorer des muets, toujours ces milliers de mains à serrer, à vous broyer le cartilage, toujours sourire, même à des gens qui ne vous inspirent rien, et comment vas-tu Roger, et te voilà Julie, et on se revoit, et on déjeune ensemble, et tralali, et tralalère, et moi je vous dis que ce cirque-là, c’est physique, je ne peux tout simplement pas. Misanthropie ? Possible. Et pourtant, je crois que j’aime les gens. Mais pas comme ça. Plutôt comme Léo Ferré, dans sa sublime chanson Richard : « Les gens, il conviendrait de ne les connaître que disponibles, à certaines heures pâles de la nuit, près d'une machine à sous, avec des problèmes d'hommes, simplement, des problèmes de mélancolie ».

     

    Pascal Décaillet

     

  • Elections à Genève : le culot hallucinant du Matin

     

    Sur le vif - Lundi 30.09.13 - 09.09h

     

    Gros coup de colère, ce matin, en lisant dans un quotidien orangé dont la politique et la citoyenneté sont bien la dernière préoccupation, que Genève viendrait de vivre une campagne sans débats. Parce que, selon le politologue Pascal Sciarini, "les médias ont été fortement occupés par le drame de la mort d'Adeline".

     

    Tout dépend, M. Sciarini, quels médias on veut bien prendre la peine de consulter. Je n'ai, pour ma part, ni dit un seul mot ni écrit une seule ligne pendant les cinq jours émotionnels du drame. Pas un mot d'appel à la vengeance, pas un mot dans ce débat qui s'amorçait sur la peine de mort. Pendant que tous - à commencer justement par le Matin - s'y engouffraient, nous avons multiplié, sur Léman Bleu, les débats thématiques avec les candidats au Conseil d'Etat et des panels de candidats au Grand Conseil. Nous avons présenté aux citoyens électeurs des dizaines de nouveaux visages, et continuerons de le faire jusqu'à jeudi soir. Nous avons découvert en eux des parcours de vie, des approches citoyennes, des visions du monde: ce sont eux, tous partis confondus, qui feront la Genève de demain.

     

    Pendant ce temps, dans le même Matin, des torrents d'émotionnel sur l'affaire, dévorant toutes les paginations, et pas un mot sur la politique. Pas un mot sur les grands clivages d'un canton en campagne: mobilité, logement, finances, dette, chômage, formation, emploi des jeunes. Sur ce dernier thème, et notamment celui des jeunes en rupture, nous avons même mené quatre débats ! Et le même Matin a le culot hallucinant de venir nous dire qu'il n'y a pas eu campagne à cause du drame d'Adeline ! Mais Chers Confrères, assumez au moins vos choix, votre politique rédactionnelle, et ne venez pas parler de ce que vous ne connaissez pas: l'animation du débat citoyen. Avant de décréter qu'il y a eu campagne ou non, encore conviendrait-il d'écouter les candidats, tous bords confondus, leur donner la parole, les présenter au public, analyser leurs préoccupations.

     

    Bien sûr qu'à Genève, il y a eu campagne. Bien sûr que, sur de nombreux sujets, la dialectique politique s'opère avec vivacité: circulation en ville, traversée du lac, traversée de la rade, emplois de solidarité, préférence cantonale, emploi local, encouragement aux PME, fiscalité, formation, valorisation de l'apprentissage, sécurité, polices de proximité, aide aux personnes âgées, etc. Simplement, ces sujets, il faut les ouvrir. En étudiant les dossiers et en laissant parler les candidats. Ce travail, le Matin ne l'a tout simplement pas fait. C'est son droit, chaque journal est libre de ses options. Mais venir dire, ou faire dire, qu'il n'y a pas eu campagne, il y a là un cynisme - ou une inconscience citoyenne - qui dépassent toutes les bornes.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Populistes ! Et alors ?

     

    Chronique publiée dans le Nouvelliste - Vendredi 27.09.13


     
    « Populisme » : le mot magique. Le mot qui rassure le notable, dans la quiétude de ses certitudes. Le mot qui donne bonne conscience. Celui qui permet de jeter dans la marge les individus, les écoles de pensée, les partis qui vous gênent. Vous demeurez présentable, eux ce sont les Gueux. Vous restez « parti républicain », eux pas. Vous seriez, vous, « gouvernemental » pour l’éternité, eux jamais. Au fond, aujourd’hui, dès qu’un mouvement surgit, sachant parler aux gens le langage qui est le leur, ne censurant ni leurs vrais problèmes ni leurs souffrances, au lieu de tenter de comprendre le succès de ce parti, on se rétracte, on plisse le front, on fronce le sourcil, on prend de grands airs, graves et pénétrés, et on déclare : « Je ne discute pas avec ces gens-là, ce sont des populistes ».


     
    Eh bien je dis qu’on a tort. On ne résoudra jamais rien avec des étiquettes, celle-là n’ayant au demeurant rien d’offensant : ce mot-là, étymologiquement, vient du peuple, il indique une proximité, une clarté, parfois en effet un langage un peu cru, mais enfin il n’est écrit nulle part que la politique ne doive être qu’une affaire de clercs ou de notables, de mandarins pérorant dans un salon, à l’heure du thé et des petits biscuits. Prenez le parti radical : il fut un temps où il avait ce délicieux parfum de cassoulet, d’ail et de vin blanc, quelque chose de mijoté et de fraternel, je crains qu’avec ses nouveaux amis libéraux il ne se soit un peu perdu dans les salons, il le paiera un jour.


     
    Alors, il se défend, le bourgeois raisonnable. Il nous fait toute une leçon sur la différence entre populaire et populiste, une autre sur les vertus cardinales de la démocratie représentative, une troisième sur le droit supérieur, et plus il parle, plus il donne l’impression, non de défendre une vérité, mais un pré-carré, le sien, celui de ses semblables, l’univers des convenables, surtout pas les Gueux. Là aussi, ils ont tort. Parce que le peuple n’est pas dupe. Il est largement assez mûr pour juger si tel parti lui convient ou non, dépasse ou non les bornes, s’inscrit ou non dans un dialogue républicain, mérite ou non de siéger dans un Parlement ou dans un gouvernement. Il n’a pas besoin, le peuple, que les partis concurrents s’époumonent en publicités négatives, diabolisations, ostracisme de tel ou tel mouvement, candidat comme eux aux suffrages des électeurs, nous rabâchant à longueur de journées qu’il s’agit de populistes.


     
    Au fond, ce mot, populiste, est régulièrement sécrété comme une incantation par ceux qui, ayant mal géré la Cité, ayant perdu le pouls de la population, sentent poindre la défaite. Alors, au lieu de se battre dans la campagne, nous parler d’eux-mêmes, de leurs valeurs, ils ne parlent plus que de leurs adversaires. Les noircissant, pourtant, ils les propulsent. Rien ne vaut un mauvais garçon pour distraire le bourgeois. Ne parlons pas de la bourgeoise, les enfants ici nous lisent.


     
    Pascal Décaillet