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Liberté - Page 1104

  • Torrents de haine

     

    Chronique publiée dans Lausanne Cités - Mercredi 10.04.13


     
    Libre à chacun de nous d’aimer ou non Margaret Thatcher. Quittant ce monde, elle laisse une mémoire divisée sur son action politique, les uns l’adulent comme une femme d’Etat incomparable, les autres la conspuent pour la dureté de son cœur, à l’heure des choix. Mais une chose, clairement, ne va pas : dès l’annonce de son décès, lundi 8 avril, 14h, sur nos blogs et nos réseaux sociaux de l’arc lémanique, les torrents de haine et de fiel, le manque de respect devant la mort. L’explosion vengeresse, expectorée, d’une violence blanche, celle que rien ne retient, comme une lettre de cachet pour la damnation.


     
    Quelque chose ne va pas, parce que l’annonce d’un décès, même celui de votre pire ennemi, doit vous inspirer, au moins un temps, une période de vide et de recueillement. Il ne s’agit pas de Mme Thatcher. Il s’agit du mystère de la mort. Aujourd’hui, la sienne. Demain, celle de nos proches, un jour la nôtre. On ne crache pas sur un cadavre. Et aucun de nous, humains, n’a à statuer sur l’avenir céleste ou infernal des âmes. Cela n’est pas de notre ressort.


     
    La palme ? Elle revient au caricatural Mélenchon, promettant l’Enfer à la défunte, dans ce vocabulaire de manichéisme, avec sa noirceur populiste, où il est passé maître. Assurément, en disciple de Saint Dominique au Tribunal de l’Inquisition, notre homme eût été à son aise. L’index en érection vers le mal absolu.



    Pascal Décaillet

     

     

  • Dame de fer - Mots de fiel

     

    Sur le vif - Lundi 08.04.13 - 15.04h

     

    On peut aimer ou non Mme Thatcher, l'admirer ou non. A chacun son opinion. Mais il y a une chose qui m'échappe: le manque de respect devant la mort. Même mon pire ennemi, si j'apprends son décès, je commence par me recueillir et à penser à lui. Tout cela pour dire quoi ? Que la vulgarité de certaines réactions, depuis une heure, condamne davantage leurs auteurs que leur objet.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Sibylle, le récit d'une enfant déracinée

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    Notes de lecture - Dimanche 07.04.13 - 16.56h

     

    Une écriture si simple, si limpide. Le présent historique comme temps unique du récit, sur 149 pages. Une histoire hors du temps : juste le sous-titre du roman, « Une enfant de Silésie », et une « note de l’auteure » de quelques lignes, à la toute dernière page, pour nous rappeler ce que fut, en 1945, l’exode de ces centaines de milliers d’Allemands de Pologne, reflués vers l’ouest au moment de la défaite, Günter Grass en a si bien parlé. Hors de cela, c’est juste l’histoire de Sibylle, une enfant de cet exil, l’histoire de sa famille, celle de ce père, qui ne revient de captivité qu’à la fin du récit, et pas nécessairement pour longtemps.

     

    « Sibylle » est un récit troublant. Je ne sais rien de l’auteur, Bettina Stepczynski, sinon qu’elle est née en 1974, a étudié les lettres, est mère de trois enfants et vit à Carouge, comme l’indique la deuxième de couverture. Non, je ne sais rien d’elle, si ce n’est que nous avons affaire à un écrivain, ce qui n’est pas exactement le cas de toute personne commettant un ouvrage, même dans l’ordre de la fiction.

     

    « Sibylle » est un récit d’exil, il commence dans le fracas des trains dans lesquels on s’entasse et qu’il ne faut pas rater, et s’achève dans l’apaisement d’une vie qui s’éteint. Sibylle jeune fille en caractères droits, en alternance avec Sibylle gravement malade, dans l’attente du terme, dans un corps plus penché, pas vraiment italique, mais reconnaissable. Oui, juste un corps plus penché.

     

    Il se trouve, comme je l’ai noté une fois ici, que j’ai vécu, dans ma jeunesse, chez un Allemand de Silésie, il y a si longtemps. Rescapé du front de l’Est, il avait franchi l’Elbe in extremis pour ne pas tomber aux mains des Rouges, et, tout près du fleuve, juste « du bon côté », en Basse-Saxe, avait construit de ses mains (auxquelles il manquait trois doigts) la maison de briques rouges où il passait ses soirées à me raconter ses souvenirs. Je l’écoutais passionnément, dans cet allemand difficile qui était le sien, mouillant des gutturales que Badois ou Bavarois conservent dans leur dureté. Il lui arrivait de jurer en polonais. En lisant Sibylle, je n’ai cessé de penser à lui.

     

    Retour au style. Bettina a la phrase courte, et la syntaxe pourtant liée, où la succession d’indépendantes, loin de hacher le récit, lui donne souffle et rythme, dans un présent continu où les phrases s’enchaînent comme naturellement. Dans cette Allemagne du Nord où la famille de Sibylle a trouvé refuge, il y a des scènes de campagne, des étés de foins à ramasser, des hivers sibériens où les cristaux de glace s’agglutinent aux fenêtres, des cachettes pour enfants dans les recoins d’une ferme, la conscience terrible d’être les perdants. Là d’où ils viennent, ils ne seront plus chez eux. Oui, Sibylle est une déracinée. Peut-être pas avec la rude fierté d’un héros de Barrès, ni de Jules Roy. Non, juste une enfant de l’exil, parmi des centaines de milliers d’autres.

     

    L’une de mes meilleures amies, prof de français au Collège, m’a demandé de lui conseiller des récits qui, peut-être, pourraient intéresser, par la qualité de leur écriture, des jeunes gens de 15 à 19 ans. Je lui ai recommandé « Sibylle ». A vous aussi, si par hasard vous passez par là.

     

    Pascal Décaillet

     

    *** Sibylle, une enfant de Silésie. Par Bettina Stepczynski. Editions d'autre part. 2013. 149 pages.