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Liberté - Page 1098

  • Eric et Pierre : la mythologie des contraires

     

    Publié dans GHI - 06.11.13


     
    A première vue, Eric Stauffer et Pierre Maudet surgissent de deux univers totalement différents. Eric, des entrailles de la terre, plus noires que chez Jules Verne, avec l’imprévisible fusion des matières, le feu. Bref Vulcain. Pierre, céleste, aérien, l’aigle qui vole et qui se montre, Jupiter. Celui qui vient d’en bas, celui qui survole. Vulcain, Jupiter. Ou, si vous préférez, Héphaïstos et Zeus.

     

    D’un côté, le mauvais garçon, mais qui a tant appris en roulant sa bosse, de l’autre l’élève modèle. Allez, disons Dany Wilde et Brett Sinclair : Tony Curtis et Roger Moore. Celui qui lance l’eau, celui qui demeure de glace. Celui qui porte le feu, celui qui répand les Lumières. Celui qui craque, celui qui se contrôle. Celui qui va à Lugano, négocier le prix du vent. Celui qui, d’ici, souffle le chaud et le froid.

     

    Celui qui rêve de l’Olympe, celui qui entend y demeurer. Celui qui annonce la chute de Troie, celui qui joue de mille tours, tiens le Cheval par exemple, pour y parvenir. Celui qu’une seule flèche au talon peut détruire, et celui qui achèvera le Cyclope. Et si ces deux-là, malgré l’infini de leurs dissemblances, étaient faits pour s’entendre ?


     
    Pascal Décaillet

     

  • La Conjuration des Gueux

     

    Chronique publiée dans Tribune (Le Journal du PLR vaudois) - No 9 - Mercredi 30.10.13

     

    Nous avons, en Suisse, un magnifique organe qui s’appelle la démocratie directe. J’utilise « organe » au sens grec, « outil ». Les initiatives, les référendums, sont, au même titre que la fabrication des lois dans les Parlements, des outils de notre démocratie. Il s’agit de les utiliser ! Sans le moindre état d’âme, si on le juge nécessaire à une finalité politique. Il n’y a strictement rien de honteux, rien de sale, rien d’anormal à récolter des signatures contre une loi qui nous paraît mauvaise (référendum) ou pour changer la Constitution (initiative).

     

    Rien de honteux, et pourtant. La manière dont les élus parlementaires, à tous les niveaux (communes, cantons, Confédération), accueillent l’annonce ou l’arrivée en Chancellerie d’une initiative ou d’un référendum, même munis d’un nombre impressionnant de signatures, montre bien qu’ils se sentent profondément « dérangés » par cette intrusion du peuple dans leurs petites affaires. Ils ont tort, totalement ! D’abord, parce que ce « peuple », celui dont on va récolter les signatures, n’est de loin pas celui de la masse, ni de la pléthore, ni d’une quelconque racaille en ébullition, mais bien celui des citoyens. Pour signer, il faut faire partie du corps électoral (démos), le même qui sera appelé à se prononcer, un beau dimanche, sur le texte. Ce peuple-là n’a donc rien d’un intrus, il ne « dérange » que le confort parlementaire, il est le souverain final, il est un acteur majeur, un « organe » de notre vie politique.

     

    Mais ils ont tort, aussi, parce que leur mépris pour ce qui surgit d’en bas, ce qui vient s’en prendre à la perfection de leur ordre juridique, né de leurs équilibres, de leurs consensus, de leur infinie sagesse, ne fait que souligner leur méconnaissance de ce qui fait la Suisse. Ce mécanisme correctif aux décisions des autorités gouvernementales et parlementaires, que tant de nos voisins nous envient. Leur premier réflexe est de prendre peur : ils ont mis des mois, des années parfois, à nous bichonner des amours de petites lois, et voilà que la Conjuration des Gueux vient menacer de les leur défaire. C’est vrai que, de leur point de vue, il peut y avoir de quoi enrager, mettons-nous à leur place. Mais ils ont tort tout de même, parce que le génie de notre système suisse instaure la possibilité de recourir au souverain ultime, donc à un corps électoral de quatre millions de personnes (niveau fédéral), ce qui confère tout de même une autre légitimité que 246.

     

    Ils ont tort, parce que la démocratie directe, au fond, n’est pas dirigée contre eux, contre le système parlementaire, mais en complément de ce dernier. Ensemble, par la dialectique, par le jeu d’oppositions, par la « disputatio », dans la douleur, dans l’intimité mêlée de nos victoires et de nos défaites à tous, nous construisons notre démocratie suisse. Le Parlement n’a pas à ignorer le peuple, ni d’ailleurs la réciproque : chacun est organe, outil, voie pour parvenir à des issues. Mais le chemin est encore long, dans les consciences, pour qu’élus et législateurs parviennent à intégrer la démocratie directe comme interlocutrice normale de notre vie politique. Entendez, comme autre chose que du poil à gratter. La Suisse est une petite fleur fragile. Toucher à ce miracle venu d’en bas, ce serait briser le plus sacré de nos équilibres.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Voter compact - Et quoi encore ! - Leur faire couler un bain ?

     

    Sur le vif - Dimanche 03.11.13 - 15.53h

     

    Voter compact. Ils n’ont que ces quatre syllabes, dont les deux dernières résonnent d’ailleurs d’une insondable laideur en toute oreille un rien sensible à la musique des mots. Eux, ce sont les états-majors des partis, non les candidats mais les apparatchiks et les chefs de campagne. Ils nous demandent,  à nous citoyens, de « voter compact », par exemple les chefs de l’Entente aimeraient beaucoup que leurs électeurs votent pour les cinq de leur alliance, sans rien biffer ni rien ajouter. Soit. C’est un calcul tactique. En nous nous permettrons d’ajouter : c’est cela, et rien de plus.

     

    Ils le demandent, et ils le font avec une telle insistance (lorsqu’ils n’essayent pas d’en faire une sorte d’impératif moral), que ça commence à en devenir pénible, fatiguant, et même franchement déplacé. Il convient donc de leur répondre.

     

    Voter compact, c’est quoi ? C’est juste un truc de politicards, de droite comme de gauche, pour pouvoir gonfler un maximum les pectoraux le dimanche du vote, et surtout garder leurs postes de présidents de partis. C’est leur droit, leur jeu, leur intérêt. Ça n’est de loin pas celui des différents candidats, quand on prend la peine de discuter avec eux, et dont la cruauté, en petit comité, ne s’adresse pas en priorité à leurs adversaires, disons-le comme ça par euphémisme. Croyez-moi, le souci premier du candidat à un exécutif, ça n’est vraiment pas le vote compact, il tente juste de nous le faire croire. Son seul but, bien sûr, c’est d’être élu, lui, et le reste on verra.

     

    Surtout, cette obsession du vote compact ne concerne en rien le citoyen. Chacun d’entre nous est totalement libre. De voter ou non. De voter compact, ou non. Et la récurrence de plus en plus insupportable de ce mot d’ordre, c’est une incursion bien intempestive des partis dans une élection – celle du gouvernement – qui est avant tout affaire d’hommes et de femmes. Nous avons sept noms, au maximum, à inscrire sur une liste. Nous le faisons peut-être en fonction de l’orientation idéologique. Mais infiniment plus, en fonction de quelque chose de beaucoup plus fort, qui relève du fluide : la part de confiance que nous entendons accorder à tel ou tel candidat. Bien évidemment, elle transcende les barrières partisanes.

     

    Face à ce geste fort, presque sacré, lorsque vous écrivez à la main un nom et prénom, les sommations à « voter compact » paraissent bien dérisoires. Nul n’en est dupe. Une élection est l’affaire du corps des citoyens avec lui-même : qui entendons-nous envoyer dans un gouvernement ? Une affaire des citoyens avec les onze candidats. Beaucoup plus que l’affaire des partis. La répartition de ces deniers a été tranchée le 6 octobre. Là, nous sommes dans une autre campagne, une autre logique, infiniment plus personnelle. Ces hurlements à voter compact ne sont pas loin d’une violation de notre intimité citoyenne. Vous seriez très gentils, Mesdames et Messieurs les chefs de partis, de nous foutre un peu la paix avec vos injonctions compactées. Elles polluent.

     

    Pascal Décaillet