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Liberté - Page 1087

  • L'extase sera libre-échangiste ou ne sera pas

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    Sur le vif - Mercredi 01.01.14 - 17.34h 


    C’est un beau discours, simple et humain, que nous a tenu en ce Jour de l’An le nouveau président de la Confédération, Didier Burkhalter. Des visages d’enfants, des prénoms aux résonances bigarrées, quelques formules qui touchent, oui un discours rassembleur et présidentiel. J’ai apprécié ce discours, parce qu’il nous parle à tous, évoque ce qui nous unit plutôt que nos ferments de dispersion, c’est précisément pour un an le rôle du titulaire de la fonction.

     

    Les formules qui font mouche : « La Suisse est une communauté de destin », « La Suisse est un miracle », ou encore ce rappel du sel importé de Tunisie pour aider nos éleveurs au Moyen-Âge. Il est arrivé dans l’allocution, ce sel providentiel, avec la magie de la myrrhe ou de l’encens, ou de l’or, comme une préfiguration d’Épiphanie. Un discours qui commence par la nécessité « d’ouvrir des perspectives d’avenir » pour nos jeunes, notamment des emplois, et qui se termine, après le rite initiatique du texte, sur la « lumière », qu’on voudra bien entendre avec la chaude intimité d’un petit « L », celle du regard des enfants. J’ai d’autant apprécié ce discours que son auteur, jusqu’ici, nous avait plutôt habitués à une rhétorique froide, celle de la Raison qui s’articule, avance et prouve.

     

    Deux bémols, qui n’atténuent pas la qualité du sentiment dominant. D’abord, il est peu rassembleur d’affirmer que « Notre Suisse est forte parce qu'elle repose sur un Etat libéral ». Tous nos concitoyens ne l’entendent pas ainsi, et notre Histoire de l’après-guerre, de l’AVS en 1948 à la lente construction de nos assurances sociales, et de nos réseaux de solidarité, prouve au contraire l’absolue nécessité d’un Etat fort, ou tout au moins d’un fort sens de l’Etat, à gauche comme à droite, chez ceux qui font nos lois. Le socialiste Tschudi, le radical Delamuraz, le PDC Furgler. Aucun de ces trois hommes ne se réclamait d’un libéralisme qui eût fait abstraction de l’impérieuse nécessité de l’Etat, au service des plus faibles. Le libéralisme est une option politique parmi d'autres, mais n'a rien de consubstantiel à la Suisse. Dans ce passage, hélas, le Président s'est effacé devant le militant PLR.

     

    La seconde réserve concerne ce qu’on appellera la préparation d’artillerie en vue du 9 février. Le président de la Confédération a clairement orienté les esprits vers une apologie du libre-échange, une sanctification de la voie bilatérale (laquelle aurait « permis d’assurer la sécurité et l’indépendance du pays » - Disons que cela ne va pas de soi), qui sont clairement un appel à rejeter, dans un peu moins de six semaines, l’initiative de l’UDC « contre l’immigration de masse ». Admettons que cela soit « de bonne guerre » (RSR. 12.30h), on notera juste que c’est moins rassembleur face à une partie non négligeable de la population, soucieuse de mécanismes protecteurs, désireuse d'une forme de régulation des flux migratoires, et pour laquelle une Suisse à 12 millions d’habitants ne constitue ni rêve, ni pâmoison, ni extase. Fallait-il transformer le premier discours présidentiel de 2014 en acte militant ?

     

    Dans la Berne fédérale, mais aussi dans certains cantons comme Genève, la présence d’élus PLR au premier rang des exécutifs, alors que d’autres signaux que la foi dans le libre-échange absolu ont pu être donnés par l’électorat, dans les Parlements par exemple, devrait inciter ces édiles à un peu plus de réserve dans leur Croisade libérale. Pour peu, tout au moins, qu’ils entendent parler à l’ensemble de la population, et non aux seules instances dirigeantes du patronat.

     

    Mais enfin, ces quelques réserves posées, merci à M. Burkhalter pour ce discours qui a su parler au cœur des gens. A tous les lecteurs de ce blog, qui a entamé sa septième année, j’adresse mes vœux les plus cordiaux pour 2014.

     

    Pascal Décaillet

     

  • La Suisse en 2013 : pays prospère, démocratie vivante

     

    Édito paru ce matin en première page du Giornale del Popolo - Titre en italien : Paese prospero, democrazia in salute - Lundi 30.12.13


     
    Comment la Suisse s’est-elle portée en 2013 ? Fermons les yeux, faisons le vide, laissons remonter, en vrac, quelques souvenirs. Et disons-le tout net : sans tremper dans le mythe du « peuple heureux », nous n’avons tout de même pas trop à nous plaindre ! Nous avons certes des problèmes, mais enfin globalement, la Suisse demeure, au milieu du continent européen, un pays prospère, envié, attirant une forte immigration pour y trouver du travail, affichant l’un des taux de chômage (3%) les plus faibles du monde. C’est, aussi, un pays où quatre communautés linguistiques (à vrai dire beaucoup plus, prenons par exemple les albanophones) vivent en paix les unes avec les autres. Un système politique où, par la démocratie directe (initiatives ou référendums), la base peut s’exprimer et corriger la politique des élus. Un pays où l’on se respecte. Et où les trains ont plutôt tendance à arriver à l’heure. Loin de moi l’idée de vous figer le tableau en une sorte de paysage idéal de train électrique, mais il fallait tout de même commencer par là, avant de recenser l’un ou l’autre bémol.
     


    Prenons l’immigration. Elle est, c’est vrai, très forte. Et nous aurons, le 9 février, à nous prononcer sur le sujet. Chacun votera en conscience. Mais enfin, à la base, un pays vers lequel on se précipite, c’est plutôt meilleur signe que le contraire. Nous fûmes, notamment dans la seconde partie du dix-neuvième siècle, terre d’émigration. Des Tessinois, des Valaisans, des Fribourgeois, et tant d’autres compatriotes, n'ayant plus de travail, sont allés chercher vers les Amériques, ou dans la Mitidja algérienne, ce qu’ils ne trouvaient plus au pays. Et même encore pendant que les radicaux lançaient la Suisse moderne, avec le percement du Gotthard, les voies ferrées, le capitalisme industriel, les oubliés de ce pays allaient quérir d’autres horizons. Comment ne pas penser à eux en lisant l’éblouissante première page de « L’Amérique » de Kafka, dans cet allemand si sublime, avec ce traveling sur le port de New York, et ce rêve de liberté dans les yeux de l’immigrant ?
     


    La Suisse demeure un pays prospère, mais ne doit en aucun cas se reposer sur ses lauriers. Économiquement, la bataille est rude pour rester concurrentiel, maintenir notre capacité d’exportations, innover dans de nouveaux pôles de recherche et d’excellence, améliorer notre système de santé en tâchant d’en baisser les coûts. N’oublions jamais notre agriculture : nous l’avons voulue proche de l’environnement, respectueuse du bétail, orientée vers des produits de haute qualité : ce choix citoyen a un prix. Il implique un certain protectionnisme, non pour renouer avec le Plan Wahlen, mais simplement pour que nos paysans puissent survivre.


     
    Sur le plan politique, les signaux de 2013 ne sont pas simples à décrypter. Dans la foulée du succès de la Lega aux élections tessinoises de 2011, les partis conservateurs, prônant la préférence aux résidents, ont marqué des points. Victoire d’Oskar Freysinger en Valais, d’Yvan Perrin à Neuchâtel (deux cantons où l’UDC n’avait jamais eu de conseiller d’Etat). Victoire du MCG à Genève, avec 20 députés sur 100, et l’arrivée au gouvernement de Mauro Poggia. Au fond, la Suisse latine, aujourd’hui, s’avère tout aussi conservatrice que les Alémaniques, elle traduit juste la tendance par d’autres sensibilités, d’autres étiquettes. Mais elle commence, dans des scrutins majoritaires, à envoyer des UDC dans les Conseils d’Etat.


     
    Pourtant, lors des votations fédérales, le peuple demeure souverain, pragmatique, et ne se laisse toujours pas réduire, sur la longueur, à une seule grille de lecture, qui nous permettrait de conclure : « Il est plus à gauche, ou plus à droite ». Il refuse nettement  (9 juin) l’élection du Conseil fédéral par le peuple, donc sur ce point désavoue l’UDC. Il maintient sa confiance (22 septembre) à notre système d’armée de milice, avec le principe d’obligation de servir. Il avait dit oui à Minder, mais refuse, le 24 novembre, d’aller trop loin avec l’initiative 1 :12. Il balaye (24 novembre) le vignette à 100 francs, parce qu’il a bien senti que le paquet était mal ficelé, mal justifié. Quelles que soient nos sensibilités politiques, comment ne pas rendre hommage à la sagesse, la précision de perception des enjeux de ce peuple citoyen, rompu de longue date à un exercice fin et lucide de la démocratie directe ? Le peuple est le souverain de ce pays : pour ma part, je me félicite d’avoir un souverain aussi éclairé. De loin pas toujours d’accord avec ses décisions, mais, sur la longueur, beaucoup d’intelligence et d’équilibre.
     


    Un mot enfin, très bref, sur notre politique étrangère. L’air de rien, pendant que nous avons tous le nez plongé dans nos affaires intérieures, c’est à Genève que tentent de se régler les dossiers du nucléaire iranien et du drame que traverse la Syrie. A Genève, et nulle part ailleurs. Nous les Suisses, nous avons à en être fiers : notre pays est minuscule, il est fragile. Mais, s’il voit grand, il peut nous porter très loin. A tous les lecteurs du Giornale del Popolo, j’adresse mes meilleurs vœux pour 2014.


     
    Pascal Décaillet

     

  • L'Evangile selon Saint Philippe

     

    Chronique publiée dans le Nouvelliste - Vendredi 27.12.13


     
    En écoutant la RSR, ce mardi 24 décembre, Veille de Noël, entre 18h et 19h, toute la Suisse romande a eu droit, dans un discours admirablement articulé en trois points, aux lumières de Philippe Bender. Grand invité du journal, fil rouge, il a beaucoup parlé. Au point qu’on a pu, un moment, se demander s’il n’était pas lui le meneur de la tranche, et les journalistes, ses invités. Oui, peut-être était-il l’officiant, et nous les agneaux de passage. La nuit de Noël était déjà tombée, la comète ne se devinait pas trop derrière les nuages. La myrrhe, l’or et l’encens se faisaient encore désirer. Mais la Sainte Parole, nous l’eûmes. La Lumière, avec un grand « L ». La parfaite architecture du raisonnement. La Raison, avec un grand « R ».


     
    L’intéressé n’a rien à se reprocher. Il répond à des invitations, c’est son droit. Il donne son avis : il en a, comme n’importe quel citoyen, toute latitude. Mieux : il a au moins, lui, l’honnêteté de corriger sa propre présentation, précisant qu’il n’est pas seulement « historien », mais militant « attaché à un parti » (le PLR), ce que tout Valaisan sait depuis des décennies, mais dont tout auditeur romand n’a pas nécessairement connaissance.


     
    Le problème, à la RSR comme dans d’autres médias, c’est cette incurable habitude de le présenter comme un simple « historien ». Et dans cette tranche horaire où il a, depuis des années, ses habitudes, tant il y est invité, on omet si souvent de décliner une nature militante dont lui n’a jamais cherché à se cacher. Là où le bât blesse, c’est donc dans l’intention réelle de l’invitant, non dans celle de l’invité. Car en cette Veille de Noël, « l’historien, mémoire vivante » ne s’est pas contenté de parler – fort bien, d’ailleurs – du fédéralisme suisse, mais, selon le principe de l’émission, on l’a invité à réagir à l’actualité. Par exemple, par le plus grand des hasards, à l’affaire Giroud.


     
    Et lui, serviable, en invité qui ne se dérobe pas, en a profité pour nous caser son monologue. Magnifique péroraison, où il n’eut pas le loisir d’être interrompu, et où, de moins en moins historien et de plus en plus canal historique, il nous livra (en trois points) une appréciation visant à charger la thèse de la responsabilité politique, et dénoncer le pouvoir majoritaire. Et cette charge, bien entendu par hasard : on avait juste profité de sa présence pour rebondir. C’est fou, en certaines veillées, comme la Sainte Coïncidence fait bien les choses.


     
    La même, d’ailleurs, à laquelle nous eûmes droit, toujours sous couvert d’expertise historique, dans les moments les plus brûlants de l’affaire Varone. Au fond, dans cette tranche horaire de la RSR, chaque fois que se produit en Valais un événement avec un peu d’enjeu et un peu d’ambiance, on convoque le Maître des Lumières. C’est récurrent, rituel, liturgique. Ça tombait bien : la nuit de Noël pouvait commencer.


     
    Pascal Décaillet