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Liberté - Page 1090

  • L'herbe sur les tas de foin

     

    Chronique publiée dans le Nouvelliste - Vendredi 07.06.13


     
    Ici, mes ultimes salves dans un combat que je mène depuis 25 ans, et que je sais perdu d’avance : mes compatriotes, ce dimanche 9 juin, voteront contre l’élection du Conseil fédéral par le peuple, et j’accepterai bien sûr cette décision. Au rythme où l’objet revient sur le tapis (1900, 1942, 2013), je ne me fais aucune illusion : de mon vivant, je ne connaîtrai pas cette réforme. Même pas sûr que mes filles (21 et 18 ans) la voient venir. Disons que les choses ne sont pas mûres, pour peu qu’elles le deviennent jamais.


     
    En ces derniers jours de campagne, je dirai d’abord ma colère. Non contre les opposants, qui ont fait leur job, mais contre les partisans, qui eux ne l’ont pas fait. A part votre serviteur, qui s’est fendu d’un nombre incalculable de chroniques et d’éditos, jusqu’à tenter de convaincre ses amis tessinois en une du Giornale del Popolo, à part deux ou trois francs-tireurs, ils étaient où, les partisans du oui, dans cette campagne ? Vous en avez beaucoup croisés, sur votre chemin ? A commencer par l’UDC, qui n’a tout simplement pas fait son boulot. C’est tout de même incroyable : l’initiative vient de ses rangs, on s’attend dans ces cas-là à la grosse artillerie, orgues de Staline, fusées éclairantes. Au lieu de tout cela, nada. Au repos, les gaillards ! Ils faisaient quoi, les fiers enfants du parti du peuple, pendant la campagne ? Ils fumaient de l’herbe sur des tas de foin, en attendant que la pluie cesse ?


     
    Dès lors, deux possibilités. Ou bien ce parti n’est plus capable de donner de puissantes impulsions dans les grands enjeux de démocratie directe qu’il suscite lui-même. Dans ce cas-là, c’est l’amorce d’une décrue. Ou bien, les quelques  têtes pensantes zurichoises n’ont pas jugé bon de se battre, parce qu’ils n’y croyaient plus. Dans les deux cas, le signal n’est pas bon. Et va restituer quelques ailes aux installés de la démocratie intermédiaire, ceux qui ont tenté de nous sacraliser l’Assemblée fédérale comme seul Conclave digne de ce nom. Ceux qui auront réussi à nous faire croire que 246 grands électeurs valaient mieux que quatre millions, jaillis du tellurisme profond de notre pays. Ceux qui ont tenté de nous faire oublier les combinazione des nuits des longs couteaux, les erreurs stratégiques de certains choix : prendre Alain Berset plutôt que Pierre-Yves Maillard, Johann Schneider-Ammann plutôt que Karin Keller-Sutter, bref surtout pas une sale tronche, un cochon de caractère qui pourrait résister au Parlement. Nous sommes sous la Quatrième République, la Suisse est un régime exagérément parlementaire, tout cela sera confirmé et prolongé dimanche, c’est triste, mais c’est ainsi.


     
    Reste que, dimanche soir, rien ne sera réglé. Les partisans du suffrage indirect auront gagné. Mais nous aurons toujours un Conseil fédéral aussi faible, aussi peu taillé pour la tempête. Sans doute est-ce là la volonté des Suisses. Jusqu’au jour où la tourmente aura commencé à nous emporter.


     
    Pascal Décaillet

     

     

  • La confiance : non, merci !

     

    Coup de Griffe - Lausanne Cités - Mercredi 05.06.13
     
     
    La confiance. Les opposants à l’élection du Conseil fédéral par le peuple, donc les vainqueurs, je m’y résigne, du dimanche 9 juin, nous font de grandes démonstrations sur le principe de confiance dans l’élection indirecte. Nous élisons 246 parlementaires. Et nous leur faisons confiance pour élire, à leur tour et en notre nom, le gouvernement du pays. Je veux bien, sur le principe. Même si déléguer à 246 ce que les moyens modernes permettent de décider à quatre millions relève du temps des diligences. Mais enfin OK, allons-y pour la confiance.
     


    Mais cette confiance, qu’en ont-ils fait, les parlementaires ? En préférant Alain Berset à Pierre-Yves Maillard, Johann Schneider-Ammann à Karin Keller-Sutter, en élisant un Burkhalter, ils ont avant tout pris garde à couper toute tête pouvant dépasser, évincer tout caractère fort pouvant affronter le pouvoir du Parlement. Alors, ils nous ont choisi d’adorables souris grises, ne dérangeant personne, laissant reine la cléricature parlementaire. Surtout pas d’homme fort, vous pensez ! Brumaire !


     
    Et puis, dans la nuit du 12 décembre 2007, cette improbable troïka de comploteurs, pour virer celui qui venait de gagner les élections, c’est digne de confiance, cela ? J’en ai vécues, des nuits des longs couteaux. Je l’ai vue à l’œuvre, la combinazione. Alors, pour l’argumentaire du contre, tout ce que vous voulez. Mais la confiance, non merci.


     
    Pascal Décaillet
     


     

  • Jean Romain, la fureur républicaine

     

    Sur le vif - Dimanche 02.06.13 - 16.15h

     

    Professeur de philosophie au Collège Rousseau, mais aussi député PLR, penseur de l’école, passionné et même habité par la question scolaire, Jean Romain quitte l’enseignement. Il n’anticipe certes que de quelques années sa retraite, mais il le fait, et c’est un signal. Il s’en explique dans le Matin dimanche d’aujourd’hui, et nous en dira un peu plus à 18.40h, en direct dans le Grand Genève à chaud.

     

    Oui, ce départ est un témoignage qu’il faut prendre au sérieux. Le départ d’un humaniste, très apprécié de ses élèves, et qui s’est toujours fait une très haute idée de ce que doit être la transmission. Celle dont parle si bien Péguy, dans un chef-d’œuvre intitulé « L’Argent », Sixième Cahier de la Quinzaine, 1913 :

     

    «  Je voudrais dire quelque jour, et je voudrais être capable de le dire dignement, dans quelle amitié, dans quel climat d'honneur et de fidélité vivait alors ce noble enseignement primaire. Je voudrais faire un portrait de tous mes maîtres. Tous m'ont suivi, tous me sont restés obstinément fidèles, dans toutes les pauvretés de ma difficile carrière. Ils n'étaient point comme nos beaux maîtres de Sorbonne. Ils ne croyaient point que, parce qu'un homme a été votre élève, on est tenu de le haïr. Et de le combattre ; et de chercher à l'étrangler. Et de l'envier bassement. Ils ne croyaient pas que le beau nom d'élève fût un titre suffisant pour tant de vilenie. Et pour venir en butte à tant de basse haine. Au contraire, ils croyaient, et si je puis dire ils pratiquaient que d'être maître et élèves, cela constitue une liaison sacrée, fort apparentée à cette liaison qui de la filiale devient la paternelle. Suivant le beau mot de Lapicque ils pensaient que l'on n'a pas seulement des devoirs envers ses maîtres mais que l'on en a aussi et peut-être surtout envers ses élèves. Car enfin ses élèves, on les a faits. Et c'est assez grave. »

     

    Oui, le départ de Jean Romain est démonstratif, protestataire. Oui, il veut montrer quelque chose. Confirmer ce qu’il rumine depuis tant d’années, lui qui a réveillé la question scolaire à Genève et obtenu, en septembre 2006, une victoire historique, à savoir sa colère contre ce qu’il appelle « l’école des pédagos » et des armadas de fonctionnaires. L’école qui « n’élève » plus (Dieu qu’est est belle, la métaphore de la verticalité), mais qui se contente, au mieux, d’animer. Ce signal de Jean Romain n’est pas dirigé contre ses confrères et consœurs, mais contre la rigidité d’un système, son aridité, sa prétention à ériger en science ce qui est avant tout un art de la transmission, de la communication.

     

    Jean Romain quitte l’école, mais demeure en politique. Dire que c’est heureux est un faible mot : le député est apprécié de tous, même de ses adversaires, il ne cherche à convaincre que par la lumière de l’argument, respecte les gens, n’a de fureur que celle de la République, qu’il veut servir. A cet ami fidèle dont j’ai eu l’honneur de préfacer un livre, je souhaite bon vent et longue vie. Et toujours le retrouver sur la question scolaire. A Genève, ou ailleurs.

     

    Pascal Décaillet