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Liberté - Page 1085

  • Pour une presse d'intérêt public

     

    Chronique publiée dans la Tribune - Le journal du PLR vaudois - No 6 - 26.06.13

     

    Toute ma vie, je me suis battu pour le journalisme politique. Plus largement, pour une presse qui parle de la chose publique, au sens très large. La politique, mais aussi la culture, l’économie, les arts, les sciences, les grands courants spirituels, et bien sûr aussi les sports. Tout autant, je me suis battu contre le journalisme qui touche à la vie privée, les journaux du futile. Et je dois, rétrospectivement, rendre un hommage posthume à mon confrère Roger de Diesbach d’avoir embrassé ce combat-là. Je trouvais qu’il allait trop loin, voulait trop moraliser, mais au final, en voyant aujourd’hui dans quels marécages gauge une certaine presse romande, je considère qu’il avait raison.

     

    Le journalisme politique, en Suisse romande, relève d’un combat. Ce dernier a une histoire. Quand j’étais enfant, les émissions de radio et de TV parlaient peu de politique suisse. La priorité allait à l’international. Avec, au demeurant, de magnifiques émissions, comme le Miroir du Monde, sur la RSR. Il y avait bien les débats du dimanche, comme Table ouverte à la TSR, mais globalement, on ne voyait, on n’entendait que très peu nos élus, Ni ceux des Grands Conseils, dans les cantons, où il fallait vraiment aller au balcon pour se faire une idée. Encore moins ceux de la Berne fédérale, qui apparaissait comme Arche sainte, infranchissable. Pour moi enfant, fin des années soixante, tout début septante, un conseiller fédéral était une silhouette d’un autre monde, en queue de pie, venant inaugurer un tunnel ou une autoroute. Il ne parlait d’ailleurs pas. Le film était muet. Le type, lunaire.

     

    Je fais partie des journalistes qui, dès le milieu des années 1980, d’abord à la rubrique suisse du Journal de Genève, et pendant mes longues années RSR, se sont battus de toutes leurs forces pour l’information politique de proximité. Il y a un débat à Berne ? On y va ! Dans un Grand Conseil ? On fonce ! Une grève dans le Jura bernois ? Départ ! Des élections ? On file sur place ! Nous n’avons pas inventé le décentralisé sur le terrain, mais nous l’avons littéralement décuplé. Et les politiques, tous, nous leur avons donné la parole. Le film, soudain, devenait parlant. Nous allions aux Pas perdus du Palais fédéral, le débat se faisait chez nous, en direct, en même temps que le vrai, à quelques mètres. D’ailleurs, certains devaient courir pour aller voter, puis se hâtaient de revenir à notre micro. Nous avions réussi notre pari : faire descendre dans chaque foyer la frontalité d’un thème politique. La clarté citoyenne y gagnait. Poser les fronts, c’est informer de façon utile, accessible et plaisante.

     

    Ce combat pour faire vivre la citoyenneté sur les ondes, je le mène depuis sept ans à l’échelon d’un canton, celui de Genève. Mais le principe est exactement le même. Aller chercher les enjeux d’intérêt public. Ceux qui nous touchent. A partir de là, bien sûr, la presse est libre, et chaque journal a le droit de parler de ce qu’il veut. Y compris de la longueur moyenne du sexe masculin en Suisse. Ou de la vie des princesses. Je dis simplement que cette presse-là, qui a parfaitement le droit d’exister, ne devrait pas trop s’étonner, au cas où par malheur elle se trouverait dans l’adversité, que les pouvoirs publics ne se précipitent pas à sa rescousse. Pour être totalement clair, j’espère vivement que les gesticulations de quelques magistrats vaudois ou genevois en faveur de la survie de ceux qui ont fait ces choix-là, n’étaient là que pour la galerie. Ai-je été assez clair ?

     

    Pascal Décaillet

     

  • Gauchebdo, Circé, les pourceaux

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    Sur le vif - Samedi 29.06.13 - 17.42h

     

    A nouveau un remarquable numéro de Gauchebdo (no 26-35, spécial été, 28 juin 2013). Un journal qui respecte ses lecteurs, ne les prend pas pour des demeurés, leur élargit le champ du possible. Pour le seul volet culturel de cette édition, on retiendra, en vrac, une demi-page sur le Festival de Lucerne, d'Ernest Ansermet à Claudio Abbado; un papier sur la réédition de "La Pacification" de Hafid Keramane, sur les heures noires de la guerre d'Algérie; une page complète autour des 125 ans de Gottlieb Duttweiler, le fondateur de la Migros, avec un encadré plutôt sévère sur la mégalomanie de ses épigones. Ou encore, un bel hommage à Jean Ferrat.



    Gauchebdo, le journal de quelques militants communistes suisses, enfin disons Parti du Travail et poussières de météorites gravitant autour, qui nous propose, au mètre carré de pagination, la meilleure densité du week-end. Pour nous ouvrir des horizons historiques, philosophiques et artistiques. Non à la manière de Circé, qui transforme en pourceaux les compagnons d'Ulysse. Mais comme des humains fiers de leur plume, habités par l'idée de transmettre au plus grand nombre, à commencer par ceux qui n'ont pas nécessairement un accès facile à la culture. Noble tâche !



    Pendant ce temps, la presse orangée de la semaine (pas celle du dimanche, j'en conviens), captive de ce méga-groupe transformé par les Zurichois en machine à fric et rien d'autre, et fabriquée par une armada de collaborateurs en comparaison du modeste et artisanal successeur de la Voix ouvrière, nous produit de la sous-culture sur des sujets frivoles, pétaradants d'insignifiance,  totalement dénués d'intérêt public. Il y a de quoi enrager.

     

    Cette disproportion, ce jeu de fange et d'éclairs, d'un côté des fragments d'intelligence, de l'autre le boueux mépris du public, il faudrait n'en point parler ? Se taire ? Laisser au vestiaire sa révolte. A cela, je dis non. Le presse romande mourra de son manque d'ambition et de courage. Il est tout de même assez fou qu'il appartienne à une feuille politique datant de 1944, fruit de la passion d'une poignée de Mohicans, de sauver ce qui reste d'honneur. Ils sont là, roides et fiers, archaîques paraît-il. Les autres, dégoulinant de modernité creuse, ne sont plus qu'en génuflexion. Pour certaines activités, visant à l'extase de l'actionnaire, c'est sans doute plus facile.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Les ectoplasmes

     

    Coup de Griffe - Lausanne Cités - 26.06.13
     
     
    Rien de pire que les planétaires, les mondialistes. Formés à HEI, les Hautes études internationales, en anglais ou en espagnol, perfectionnés aux Etats-Unis, frayant et fricotant dans le petit monde international, ces Suisse se permettent, au nom de leur vision céleste, de contempler leur propre pays de haut, du ciel, ou de Sirius, avec la longue-vue des savants. Ils nous regardent, nous, leurs compatriotes, comme un entomologiste contemple un insecte. 


    Nous leur serions extérieurs. Cette nation qui est nôtre, nous a pétris, et dont ils sont autant que nous surgis, ils la renient. Il faudrait tout accepter, la Lex Americana, l’adhésion à l’Union européenne, les pressions de Washington et Bruxelles, Paris ou Berlin. Dire oui, parce que ce serait inéluctable. La marche du monde, disent-ils. Ils ne pensent qu’au monde, ne raisonnent que global, et nous les nationaux, accrochés à notre parcelle de terre, serions les archaïques, les dépassés.


    Ces déracinés de l’âme n’ont aucune leçon à nous donner. Ils ont voulu sauter l’échelon de la patrie, pour une adhésion directe à la planète ? C’est leur droit. Le nôtre, c’est d’aimer notre pays, ce qui est d’ailleurs le meilleur commencement pour aimer un jour le monde. En étant soi-même. Et non des ectoplasmes.

     

    Pascal Décaillet