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Liberté - Page 1026

  • Les droits populaires ? Il faut les renforcer !

     

    Sur le vif - Mercredi 25.06.14 - 10.25h

     

    L'une des puissances montantes de la politique en Suisse est la conscience progressive des corps électoraux (dans les cantons et au niveau fédéral) de constituer non seulement l'échelon ultime et souverain de notre système, mais aussi un ORGANE de notre démocratie.



    En l'appelant "le peuple", mot magnifique, émotionnel, simple, riche en alluvions, on gagne dans l'ordre du mythe, mais on perd en précision. Lorsque je dis "le corps électoral", c'est beaucoup moins beau que "peuple", moins romantique, moins bercé de Goya ou de Delacroix. Mais c'est plus précis, moins polysémique. Cf mon article de la Revue jésuite Choisir, en 2004, sur les multiples champs sémantiques de ce mot.



    C'est pourtant bien du corps électoral qu'il s'agit, des 26 suffrages universels cantonaux, et des quatre millions de citoyens au niveau fédéral. Ces grands ensembles méritent une autre étiquette institutionnelle que simplement "le peuple". Et la politique suisse, de plus en plus, va se faire à hauteur directe de ces décideurs. Nous avons déjà l'initiative, le référendum, instruments précieux qui permettent une soupape unique au monde pour corriger, d'en bas, l'impéritie ou la cécité des corps intermédiaires.



    Mais il convient d'aller plus loin. D'ici 50 ans, 100 ans, avec les progrès fulgurants des mises en réseau, de nouveaux outils de la démocratie, à hauteur du suffrage universel, peuvent être inventés. Et je pense qu'ils le seront. Encore, bien sûr, convient-il d'en codifier l'usage avec précision, de les inventer de façon démocratique, en prenant le temps, comme nous en avons l'habitude en Suisse. Je parle ici à l'horizon des générations futures, non de demain, ni même d'après-demain.



    Cette part accrue du suffrage universel, cette extension des droits populaires, seront d'autant plus voulues par le peuple d'aujourd'hui, que les corps intermédiaires, les mandarins et les clercs des administrations, qui sentent bien décliner un pouvoir venu du dix-neuvième siècle, gesticuleront en essayant de limiter la capacité d'action de ce qui vient d'en bas. On vient de le voir avec la lamentable affaire du groupe de travail de la Chancellerie fédérale.



    Montée en puissance des droits populaires et du suffrage universel. Corps intermédiaires arrogants et sur la défensive, tentant de s'accrocher à leurs privilèges. Telles sont les dimensions puissantes de l'évolution politique en Suisse, aujourd'hui et surtout demain.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Droits populaires : la Trahison des Clercs

     

    Sur le vif - Mardi 24.06.14 - 17.33h

     

    J’emprunte mon titre au livre inoubliable de Julien Benda qui lui, en 1927, s’en prenait à une autre caste. Pour dire ma colère. L’affaire du groupe de travail mis sur pied en secret par la Chancellerie fédérale, pour plancher sur une révision à la baisse des droits populaires, ne passe pas. Nous les citoyens, oui nous le suffrage universel, devons exiger toute la lumière. Nous, et pas nos élus, surtout pas les parlementaires fédéraux, ceux de ces commissions qui passent leur temps à invalider, corriger, rétrécir tout ce qui vient d’en bas. Pour ma part, ma confiance en eux va diminuant.

     

    Il est temps que ce pays élargisse son débat politique à l’ensemble du corps électoral, et que ce dernier (plus de quatre millions de personnes en Suisse) soit de plus en plus défini comme un organe institutionnel, et non simplement appelé « le peuple », ce qui ne veut rien dire, ou plutôt trop de choses en même temps, comme je l’ai souvent montré dans des articles. A Genève, cela s’appelait « le Conseil général », il est fort dommage que l’appellation soit devenue caduque : elle donnait à la masse électorale une entité institutionnelle, reconnue, de même que l’on dit « le Conseil d’Etat » ou « le Grand Conseil ». Eh oui, le peuple électeur, ça n’est pas une masse informe, c'est un organe de notre système.

     

    L’affaire du groupe de travail ne passe pas. Le Blick d’aujourd’hui publie la liste des membres, où s’amoncellent les technocrates. Un bureau de fonctionnaires,  à la Pirandello, qui aurait pour mission de démanteler nos droits populaires. Sous prétexte d’unité de matière, de « droit supérieur », où l’empire du juridisme servirait de paravent à des fins politiques : se débarrasser des textes qui gênent le pouvoir en place. C’est cela, exactement cela, qui est déjà maintes fois tenté à chaque passage d’une initiative devant le Parlement. Cela dont on nous prépare le durcissement, l’officialisation.

     

    Qui nous le prépare ? La Chancellerie ! L’état-major du Conseil fédéral, dont le rôle est la mise en œuvre coordonnée des décisions de l’exécutif. L’ordre de mission à la Chancellerie, qui l’a donné ? Quel Département ? Quel conseiller fédéral ? Quels feux verts du Parlement ? A ces questions, nous les citoyens devons exiger des réponses. Car faute de réponses crédibles et précises, alors s’installera encore plus le sentiment d’être trahi par les clercs. Comme si une nomenclature, à Berne (et aussi dans les cantons) tournait en vase clos. Oublieuse de sa mission première de représenter le peuple.

     

    Au demeurant, ma vision personnelle est qu’il ne faut pas limiter les droits populaires, mais au contraire les étendre. Par exemple, comme je l’ai récemment proposé, faire en sorte que le suffrage universel puisse s’exprimer non seulement en réaction à des décisions parlementaires (référendum), mais, d’ici quelques années, en accord avec les progrès fulgurants des mises en réseaux et des modes de communication, en construction de nouvelles lois. Oui, des lois, élaborées directement, au terme d’un processus qui devrait évidemment être savamment codifié pour que nous demeurions dans l’ordre du démos, et pas celui de la doxa (opinion). Des lois, et plus seulement des changements constitutionnels (initiatives). Oh, ça n’est pas pour demain, il y faudra une ou deux générations, mais je suis persuadé que le temps de la toute-puissance de la représentation parlementaire, hérité de celui des diligences, sera bientôt révolu.

     

    Musique d’avenir, j’en conviens. En attendant, il nous faut toute la lumière du côté de ce qui se magouille à la Chancellerie fédérale. Nous sommes des citoyens, pas des sujets. Ensemble, nous sommes le souverain ultime de ce pays.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Le peuple - Quel peuple ?

     

    Chronique publiée dans le Nouvelliste - Mardi 24.06.14


     
    En appliquant de façon conforme l’initiative acceptée le 9 février par le peuple et les cantons, Simonetta Sommaruga donne un heureux signal. Celui d’un Conseil fédéral qui, cette fois, ne tente pas de contourner la volonté du souverain. Je m’en réjouis dans le cas de ce texte, mais je m’en réjouirais tout autant pour des objets que j’aurais combattus : on ne finaude pas avec le suffrage universel. Une initiative acceptée doit être mise en application, de façon claire, simple, sans attendre des années.


     
    Une initiative, un référendum, sont des organes de notre démocratie. Parmi d’autres. Le suffrage universel n’est pas là pour absorber toutes choses, ruiner le crédit des Parlements, bien sûr que non. Le génie de notre système, c’est de pouvoir mettre en dialectique les décisions des législatifs et, parfois, l’appel au corps électoral dans son ensemble. Les parlementaires ne doivent pas regarder de haut la démocratie directe, même si cette dernière vient souvent contredire leurs décisions (référendums) ou, pire, jeter dans le débat public des thèmes qu’eux n’auraient jamais empoignés (initiatives). A l’inverse, il ne saurait être question de dictature du peuple : les corps constitués doivent être respectés.


     
    Au reste, il ne faut pas parler de « peuple », cela ne traduit que la pauvreté de la langue française. Le « démos » qui s’exprime dans le suffrage universel, c’est le corps électoral. Qu’il faut bien séparer de la « doxa », l’opinion, celle des sondages ou du café du commerce. Ne pas confondre non plus avec « Bevölkerung », qui désigne l’entier d’une population résidente, y compris les étrangers ou les jeunes de moins de 18 ans. Confusions d’ailleurs entretenues au plus haut niveau, lorsque cela nous arrange : je viens de visionner les quelque cinquante minutes d’entretien du journaliste Michel Droit avec le général de Gaulle, début juin 1968, juste au sortir de la crise. Le Général dit en avoir « appelé au peuple » en faisant référence à la puissante contre-manifestation gaulliste du 30 mai, qui a sifflé la fin de la récréation. Disant cela, il joue volontairement sur les mots : son seul vrai « appel au peuple » est la dissolution de l’Assemblée, et l’organisation d’élections pour fin juin. Parce que là, il en appelle au « démos », et non à la masse d’une foule.


     
    Pascal Décaillet