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Sur le vif - Page 816

  • Sept personnages en quête de hauteur

     

    Sur le vif - Mercredi 11.06.14 - 17.27h

     

    Il ne saurait être question que ceux qui se prétendent observateurs attentifs de la vie politique se contentent de rendre compte, porter la parole du pouvoir, lui tendre un miroir. A cet égard, l’exercice de majesté appelé « conférence de presse » doit toujours être lu en décryptage, sinon autant postuler directement comme attaché de presse des puissants. On s’attachera donc à y déceler les rapports internes de pouvoir, en dégager les desseins réels, en interpréter la répartition de la parole et les effets chorégraphiques. Communiquer, c’est porter le geste et la parole. Du côté de ceux qui reçoivent le message, s’inscrire dans la lucidité, et non dans l’obédience, c’est traduire, et traduire encore.

     

    Dans la conférence de presse du Conseil d’Etat sur le programme de législature, qu’avons-nous vu ? D’abord, le Prince. Celui qui ouvre la cérémonie, titre les chapitres, donne et reprend la parole, et finalement conclut. La parole, il l’offre d’abord à son vice-président et collègue de parti, puis au fidèle ministre des Finances, puis aux autres, certains demeurant longtemps dans le rôle du mime avant d’accéder au miracle du langage. Ce qu’on donne à VOIR nous en apprend évidemment plus que ce qu’on dit, le contenu de la conférence de presse brillant d’ailleurs par sa maigreur : rien de ce qui fut évoqué cet après-midi, entre 15.15h et 16.15h, par un gouvernement aux affaires depuis six mois, ne l’avait été, parfois mot pour mot, lors des débats que nous avions organisés lors de la campagne électorale de l’automne 2013. Rien. Six mois de surplace ?

     

    Rien. Le président, au tout début, nous annonce un programme de rigueur, mais on nous dit sur la fin que le vrai plan d’économies – celui que tous attendent – ne sera dévoilé que cet automne. Donc, rien. Le ministre des Finances, M. Dal Busco, nous confirme le chiffre de 13% pour l’impôt sur les entreprises. Rien de nouveau. Pierre Maudet nous parle de l’aile-est de l’aéroport, sans rien nous dire sur les difficultés de ce chantier. Rien. Mme Emery-Torracinta nous parle jeunes en rupture et manque de places en formation duale, toutes choses que nous avions, pour notre part, exactement pointées lors des débats électoraux de l’automne dernier. Elle énumère les problèmes (nous avions multiplié les débats sur ces sujets), mais nous laisse orphelins de pistes pour les résoudre. Après six mois de stage de mime à l’École Marceau, on en attendait franchement plus.

     

    Idem, M. Poggia nous parle réinsertion des chômeurs en fin de droit – là aussi, nous avions consacré d’innombrables débats cet automne – sans nous dessiner vraiment d’issue. MM Barthassat et Hodgers s’expriment sur la fin, sans que leur pensée – sans doute la fatigue du spectateur – puisse être résumée à du concret.

     

    Au final, un beau septuor, une distribution parfaite de la parole, du papier à musique. Mais à retenir de nouveau, rien ou presque. Le gouvernement, qu’a-t-il fait ? Il a fait monstration théâtrale et chorégraphique de sa capacité collégiale. Fort bien. Mais pour nous dire QUOI ? A vrai dire, rien de plus que ce que tout observateur un peu averti de la chose politique genevoise pouvait dégager lors de la campagne électorale. Nous avons donc VU le Conseil d’Etat. Nous l’avons ENTENDU PARLER. Mais nul message nouveau n’a émergé. Au fond, le gouvernement a annoncé la couleur, comme dans une ouverture musicale. Mais la symphonie, ce sera pour une autre fois. Une autre législature. Ou une autre vie.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Thomas Bläsi, émergence d'un homme libre

     

    Sur le vif - Vendredi 06.06.14 - 09.55h

     

    Au Parlement, ne craignant ni solitude, ni adversité, défendant ses valeurs et ses convictions profondes, émerge Thomas Bläsi. Comme Cyril Aellen (et quelques autres), un homme qui existe par lui-même. Et non par la simple appartenance, oh cette éternelle impasse grégaire, au groupe. Ni la docile obédience à un magistrat. Ces deux-là, et donc quelques autres, par leur fibre et leur indépendance, font vivre le législatif dans sa vocation de contrôle et de premier pouvoir.

     

    Hélas, face à eux, combien de tifosi de leurs ministres, combien de pom pom boys, ou girls, de leur écurie, de leur chapelle. Prêts à tout pour éviter la transparence, si par malheur cette dernière devait s'appliquer à leur conseiller d'Etat. Leur vraie loi, à eux, n'est pas la République, mais l'appartenance. Ce sont des claniques. Des féodaux. Des vassaux fantômes.

     

    Trop d'hommes aujourd'hui, tous domaines confondus, manquent cruellement d'indépendance et de puissance de solitude. Auraient-ils peur d'eux-mêmes ? A se fondre dans la masse, ils croient trouver la survie. Ils n'y rencontreront que la dissolution. Pour ma part, en littérature comme en politique, en musique comme en poésie, et même dans l'itinérance recommencée, j'aime le profil qui se cisèle. Seul, face à la totalité opaque de la masse.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Financer des émissions, pas des entreprises

     

    Prise de position publiée dans "Edito + Klartext, Le Magazine des Médias", no 03, 2014, dans le cadre d'un grand dossier sur la redéfinition du service public dans l'audiovisuel.

     

    Entrepreneur indépendant, employeur, journaliste depuis bientôt trois décennies, ayant travaillé autant pour le privé que pour la SSR, je milite pour une redéfinition complète du champ de ce qu’il est convenu d’appeler le « service public ». Pour abattre immédiatement mes cartes et dévoiler le fond de ma pensée, je peine à entrevoir pourquoi, en 2014, les journaux papiers étant entièrement financés par le privé, il faudrait éternellement s’accrocher à ce que l’audiovisuel relève, quant à lui, dans son écrasante majorité (la SSR), d’une sorte de tâche régalienne d’Etat dont seraient dispensés nos quotidiens et nos hebdomadaires. Mais dans cette perspective, je sais que je suis minoritaire comme citoyen : s’il fallait voter, le peuple suisse demanderait sans doute le maintien d’un service public. Donc acte.

     

    Mais alors, lequel ? Ce qui ne va pas, aujourd’hui, c’est la double équation « SSR = service public », et « TV ou radio privées = médias commerciaux », dans l’acception péjorative du mot. Il y aurait d’un côté un Temple national des équilibres, de l’autre l’incontrôlable sauvagerie de l’entreprise privée. Ce préjugé, dûment entretenu par les services de M. de Weck (le patron de la SSR), tous les archanges et séraphins de sa propagande, est non seulement faux, mais profondément injuste. Les méchants privés (Léman Bleu, La Télé, Canal 9, etc.) produisent depuis des années, quotidiennement, des débats politiques, des ouvertures économiques, culturelles et sportives. Inversement, l’immaculée SSR nous offre des séries américaines, des courses de Formule 1, et quantité d’émission qui ont certes parfaitement lieu d’être, mais qui ne relèvent en aucune manière d’un service public.

     

    Dès lors, puisque l’opinion semble (encore) attachée à ce concept, il y aurait lieu, pour le moins, de le redéfinir drastiquement. Question majeure : et si, au lieu de financer, par l’essentiel de cet impôt déguisé qu’on appelle redevance, une armada de chaînes entières (les innombrables canaux radio ou TV, en quatre langues, de la SSR), on ciblait les aides sur des émissions ? Peu importerait qu’elles émanent de la SSR ou des privés, pourvu qu’elles soient, par la qualité de leur apport, de nature à aiguiser la citoyenneté, faire connaître les enjeux sociaux et économiques (d’un périmètre donné), refléter la puissance des antagonismes, donner la parole aux gens, mettre en valeur les actions culturelles et sportives de proximité. Cela, aujourd’hui, se fait dans les chaînes privées. Avec un autre enthousiasme, une autre économie de moyens, une autre puissance d’engagement qu’à la SSR.

     

    Après tout, s’il faut encourager le « service public », faisons-le là où, DE FACTO, il existe déjà aujourd’hui. Et peu importe que la société qui le produit soit privée, la SSR, ou même une micro-entreprise de deux ou trois journalistes. La seule condition serait de s’inscrire dans un mandat précis de citoyenneté. On financerait des émissions, et non plus des entreprises, avec le risque évident de perte de substance des moyens alloués. Ma proposition, j’en suis conscient, sera de nature à déstructurer le Mammouth, mais serait tellement vivifiante pour ceux qui, sur le terrain, ont fait le pari de l’entreprise et de l’information vivante.

     

    Pascal Décaillet