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Sur le vif - Page 736

  • Les Chemins de la Liberté

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    Sur le vif - Vendredi 19.06.15 - 17.25h

     

    Mais enfin, que se passe-t-il avec les textes ? Pourquoi nous obsèdent-ils tant ? Chaque année, à l’approche de l’été, je me promets de relire Kafka ou Thomas Mann, Homère, Brecht, Sophocle, Gide, Céline, Cingria, Grass, Koltès. Et des dizaines d’autres. Je les lis, ou non, j’en lis d’autres, c’est la vie, c’est la chaleur, c’est le miracle de l’été.

     

    Mais d’où nous vient cet impérieux besoin de textes, et de musiques aussi ? Recommencer la vie ? Lorsque j’ai passé ma Maturité, en avril 1976, un peu avant mes dix-huit ans, ma première pulsion était d’étudier la théologie. A cause des textes. Et puis, il y eut l’autre miracle d’un autre été, d’autres voies. Mais j’y ai pensé très fort hier soir, sur mon plateau, face à Mme Elisabeth Parmentier, qui a produit sur moi (et, je l’espère, sur les téléspectateurs) une puissante impression.

     

    C’est une femme de foi et de textes, luthérienne, ayant commencé par la Germanistik avant de se lancer en théologie, elle vient d’enseigner quinze ans à l’Université de Strasbourg. L’Alsace, comme on sait, a « échappé » à la loi de 1905 : allemande de 1871 à 1918, elle n’était pas concernée par la Séparation. Du coup, nous dit Mme Parmentier, la question religieuse se vit de façon beaucoup plus calme que dans les tensions (extrêmes, ces temps) de la France laïque : on la croit volontiers.

     

    Surtout, la manière dont la future prof de théologie pratique (elle commence cet automne) à l’Université de Genève parle des textes, est saisissante. Elle a commencé, des années, par se tremper dans la littérature allemande (tiens, la traduction de la Bible par Luther, par exemple, premier texte allemand moderne), puis elle a étudié la théologie. Et ma foi (si j’ose dire), lorsqu’elle parle d’un texte « sacré » (précisant bien que ce dernier ne doit jamais être pris comme un fondement, intangible), elle nous emporte. Et elle nous donne envie.

     

    Envie de quoi ? Mais de faire théologie ! D’aller suivre ses cours ! De se mettre à l’hébreu ! De se replonger dans le grec, cette fois dans la patristique et le néotestamentaire. Bref, se coltiner amoureusement la formation (intellectuelle, et pas nécessairement sacerdotale) d’un pasteur, ou d’un prêtre. Pour ma part, aujourd’hui, si longtemps après, je le ferais dans une perspective furieusement littéraire, abordant ces textes-là avec une passion pour la parole (avec un petit p), allez disons le logos, celui dont Jean nous dit qu’il a précédé toute chose.

     

    Alors bon, si par hasard il y a, dans les lecteurs de ce texte, des jeunes (ou moins jeunes) qui ont envie de se frotter à la puissance de cette parole partagée, j’ai envie de vous inviter très fort à aller  fréquenter les cours de Mme Parmentier.

     

    Pour le reste, laissons-nous surprendre par nos lectures d’été. Ou par les musiques. Ne prévoyons pas trop. Allons de l’un à l’autre, ouvrons nos âmes. Elles en ont besoin : nos métiers nous accaparent, la passion pour eux nous serre comme les petites griffes d’une petite mère, jalouse, possessive. Ouvrir un livre, c’est donner une chance à des espaces d’affranchissement. L’un des romans très forts de Jean-Paul Sartre (Gallimard, trois volumes) porte un titre qui nous y invite à merveille. C’est un très grand livre, écrit juste au sortir de la guerre : il s’appelle les Chemins de la Liberté.

     

    Pascal Décaillet

     

     * Image : Thomas Mann - Buddenbrooks - Manuscrit original de la première page.

     

  • Pâquerette : la CEP, ultime et seul recours

     

    Sur le vif - Jeudi 18.06.15 - 16.29h

     

    Dans l’affaire de la Pâquerette, la profusion de rapports, tous azimuts, s’annulant et se contredisant les uns les autres, ne peut plus durer. Je les ai tous repris, hier après-midi, et le choc de contraires produit par leur lecture est effarant. Telle « expertise » accable tel(le) fonctionnaire, telle autre la blanchit. Qui croire ?

     

    Une chose est sûre : le temps des rapports, dans cette affaire pleine de venin et de non-dits, doit se clore. Le public, légitimement touché par l’aspect dramatique de ce qui s’est passé, ne marche plus. Il ne croit plus, depuis longtemps (peut-être depuis le début) à la vertu objective de ces textes. Il voit bien que nulle vérité, pour l’heure, n’émerge. Il se rend bien compte que le pouvoir politique cherche à se protéger en nous brandissant les écrans de fumée successifs de ces rapports. Et en faisant sauter de temps en temps un fusible. Tout comme les multiples enquêtes, pénales, administratives : à qui profite cette jungle ?

     

    Pour ceux qui espèrent la vérité sur les vraies responsabilités dans l’affaire, la seule instance qui reste est la Commission d’enquête parlementaire (CEP), finalement votée par le Grand Conseil, ce qui n’est pas allé tout seul. La composition de cette commission est à la fois une chance et un danger. Tous les partis politiques y sont représentés, ce qui est une garantie de représentativité. Mais en même temps, si l’enjeu est de défendre son conseiller d’Etat (présent ou ancien), et de chercher noise à celui de l’autre parti, et inversement, donc se tenir mutuellement par la barbichette, autant mettre tout de suite la clef sous le paillasson.

     

    Les commissaires doivent le savoir : les citoyens attendent beaucoup de leur travail, car cette CEP est finalement l’ultime recours pour dégager un peu de vérité, à travers les rideaux de fumée. Cela implique que chacun d’entre eux vienne siéger avec l’absolue volonté d’éclaircir, identifier des éléments. Si le résultat de leurs travaux est probant, avec des éléments nouveaux, la preuve d’une enquête menée en toute indépendance, sans peur de déranger des conseillers d'Etat en place (ou à la retraite), c’est la fonction parlementaire elle-même, dans sa mission de contrôle, qui en sera grandie. Le République y sera largement gagnante.

     

    Dans le cas contraire – que nous n’osons imaginer – c’est l’abdication du pouvoir législatif dans sa mission de faire la lumière. Donc, dans l’opinion, la montée du sentiment, déjà dévastateur, d’un petit monde qui se défend lui-même, préfère l’opacité à la lumière. Au final, le crédit du politique dans son ensemble, à Genève, en serait gravement affecté.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Waterloo, le romantisme, les Allemands

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    Sur le vif - Jeudi 18.06.15 - 13.05h

     

    La bataille de Waterloo vue par Lord Byron. Trois pages, remarquables, de la Weltwoche d'aujourd'hui (no 25, 18 juin 2015), signées Urs Gehriger. Fou de littérature allemande, je suis hélas totalement profane en littérature britannique.

     

    L'occasion, pour le passionné que je suis, de rappeler que Waterloo a nourri le romantisme français (Hugo, notamment) et anglais. Quant aux Allemands, qui s'étaient enflammés pour Rousseau, puis pour la Révolution française, puis pour le Premier Consul et même encore pour l'Empereur du tout début (cf Beethoven), ils sont déjà complètement ailleurs, dans leur tête, en ce mois de juin 1815 : depuis 20 mois (bataille de Leipzig, octobre 1813, la Völkerschlacht, Bataille des Nations), ils se sont libérés de la présence française. Cette ultime campagne de juin 1815, après le retour de l'île d'Elbe et les Cent-Jours, n'est plus vraiment la leur. Sauf pour l'aristocratie militaire prussienne.

     

    Surtout, la Prusse, après la douleur de l'Occupation (1806-1813), commence à embrasser le grand dessein d'abolir les frontières internes au monde germanique (Zollverein), première étape à l'unification de l'Allemagne. C'est l'une des raisons pour lesquelles la bataille de Waterloo est moins présente dans la poésie allemande. Bien que le Prussien Blücher en fût, et de manière ô combien décisive. Pendant l'Occupation française, c'est à Berlin, à la Humboldt Universität, qu'est née l'idée nationale allemande, lors des "Reden an die deutsche Nation", de Johann Gottlieb Fichte.

     

    Il est vrai, aussi, qu'au moment de Waterloo, Schilller est déjà mort depuis dix ans (1805). Kleist s'est donné la mort à Wannsee, en novembre 1811. Hölderlin, "atteint de folie",  ne quitte plus sa tour de Tübingen depuis 1807, et jusqu'à sa mort en 1843. Goethe travaille sur d'autres projets. Bref, une génération littéraire - unique au monde, je crois - vient de passer. En même temps qu'en Europe, le souffle de l'Empire.

     

    Pascal Décaillet