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Sur le vif - Page 735

  • Le dieu Steed, la Vierge Emma

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    Sur le vif - Vendredi 26.06.15 - 17.32h

     

    Télévision, j’étais enfant, années soixante. Un poste, quelque part dans le salon, noir-blanc, deux chaînes (« la France », « la Suisse »), une minute pour s’allumer, une minute pour s’éteindre : il fallait laisser mourir un nombril blanc, qui allait disparaissant, au milieu de l’écran. La télé ne fonctionnait que le soir, il n’y avait nul programme l’après-midi, ne parlons pas du matin.

     

    Pour moi pourtant, de ces années soixante, des souvenirs télévisuels très précis. Campagne électorale française de décembre 1965 (de Gaulle, Mitterrand, Lecanuet). Jeux Olympiques de Grenoble 1968, Jean-Claude Killy. Des variétés, le dimanche en fin d’après-midi, animées par l’inoubliable Roger Lanzac. Des feuilletons (on ne disait pas « séries »), comme Belle et Sébastien, Thierry la Fronde, Zorro, plein d’autres.

     

    C’est dans ce contexte que datent mes plus vieux souvenirs de Chapeau Melon et Bottes de Cuir. Une fois par semaine, et mes parents hésitaient à me laisser regarder, parce qu’ils jugeaient cela « violent ». Une musique de générique exceptionnelle. John Steed, Emma Peel. Les scénarios ? Bien qu’ils fussent signés de l’immense Brian Clemens (1931-2015), l’enfant que j’étais n’y comprenait strictement rien, d’ailleurs je crois que les adultes non plus. Mais l’ambiance était totalement envoutante, à un point qu’on n’imagine pas. Je crois qu’il s’agit là du plus grand feuilleton (voyez, je demeure fidèle aux mots de mon enfance) jamais réalisé. Magique. Mystérieux. Tellement classe, tellement britannique, et ça contrastait tellement avec certains navets américains, mal traduits, préfabriqués, en « séries », de l’époque.

     

    Venue d’où, la magie ? D’une exceptionnelle conjonction de talents. Un choc de comètes. D’abord, Brian Clemens, justement, le scénariste, un super tordu de génie, semeur de fausses pistes, receleur d’inconnues, jeteur d’algèbres, comme on lance des sorts. Et puis, l’extrême qualité du montage. Enfin – et j’aurais évidemment dû commencer par là – John Steed et Emma Peel. Patrick Macnee et Diana Rigg. Parce que c’était lui, parce que c’était elle.

     

    Bien sûr, il y eut d’autres femmes, talentueuses d’ailleurs, on les connaît, je n’y reviens pas. Mais le couple devant l’éternité, c’est John et Emma. Figurez-vous que la scène la plus torride, entre ces deux-là, le dieu Steed et la Vierge Emma, fut un très chaste baiser, sur le finistère des lèvres à peine posé, dans un escalier, lorsqu’Emma s’en va rejoindre un mari aviateur dont on n’a rien su, ni avant, ni après, et que Tara (Linda Thorson) s’apprête à entrer en scène. Cette pudeur n’est en rien une affaire d’époque : Brando et ses femmes à lui avaient déjà sévi, et tant d’autres couples, charnels, incandescents, libérateurs de nos fantasmes. Non, cette pudeur-là nous vient d’ailleurs que de l’Histoire. Théologique, elle transcende le temps qui passe. Parce c’était lui, parce que c’était elle : le dieu Steed, la Vierge Emma.

     

    Alors, voilà, l’excellent acteur Patrick Macnee, représentation graphique de la divinité steedique, périssable comme tous les mortels que nous sommes, nous a quittés hier, à l’âge de 93 ans. Le rôle de Steed fut évidemment celui de sa vie. Mais les dieux doivent aussi savoir rendre aux mortels l’hommage qui leur est dû : quelle image de Steed aurions-nous bien pu avoir, sans l’incarnation géniale qu’en fit Macnee ? L’acteur britannique (naturalisé américain), en incorporant le rôle avec tant d’exactitude, d’identification, de charme, de légèreté, nos permet d’accéder à l’infini steedique, cet étrange agent secret dont personne n’a jamais bien su s’il travaillait pour le gouvernement, pour un privé, en réseau ou en solo, si ce n’est son ombilicale relation avec Mère-Grand.

     

    Patrick Macnee fut un grand acteur. Lorsque je lis, ici et là, parcourant la presse mondiale, des journaux titrant « Steed est mort », mon premier réflexe serait de leur expliquer gentiment le coup de la représentation graphique, variante steedique de l’incarnation chrétienne. Mais au fond, je me dis qu’ils ont peut-être raison : certes, Steed est d’essence divine, la Vierge Emma est intangible, et le mortel Macnee n’a fait qu’accomplir son travail d’acteur. Mais il l’a fait si bien, avec tant de grâce - et Diana Rigg avec lui, dans le rôle d’Emma – que plus personne ne sait exactement qui est vraiment Steed, qui est vraiment Mme Peel. D’immaculés personnages, dans l’éternité de la fiction ? Ou peut-être, justement, de périssables mortels, ayant eu dans leur destin l’incroyable chance d’incarner l’un des couples les plus mythiques depuis Eve et Adam. Parce que c’était lui, parce que c’était elle.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Journalisme : éloge des artisans

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    Sur le vif - Dimanche 21.06.15 - 17.16h

     

    Toute ma vie, je me souviendrai de mon premier papier pour la presse quotidienne. C’était à l’automne 1976, j’avais juste dix-huit ans, première année d’Uni, je commençais à écrire pour le Journal de Genève. Quelques années plus tard, après avoir déjà rédigé une foule d’articles, je commençais mes deux ans de stage dans le même journal. Il n’y avait ni écrans, ni internet : nous rédigions nos papiers sur des machines à écrire, nous les traitions nous-mêmes pour la saisie (l’envoi se faisait par pneumatique, si !), nous allions à la mise, puis au marbre, et ne quittions le journal que lorsque le numéro du lendemain était physiquement terminé.

     

    J’ai adoré cet artisanat, tout comme plus tard, en radio, le montage à la main, avec ciseaux et scotches, sur un Revox ou un Nagra. Celui qui maîtrise la fabrication prend de sérieuses options pour, un jour, maîtriser le métier lui-même. Ça vous forge un état d’esprit, une conception globale. Le journalisme, à bien des égards, appartient à celui qui sait PHYSIQUEMENT fabriquer un journal. Ou une émission de radio. De TV. Gérer un site. Etc. Si je devais un jour écrire un bouquin sur le métier, le titre serait « Eloge des artisans », ou quelque chose du genre. De toute façon, j’aime l’atelier plus que tout au monde. Col ouvert, manches retroussées. Et plus ça s’approche du métier manuel, plus j’adore. Rien de plus enivrant que de passer rue Petitot, en fin d’après-midi, laisser venir jusqu’à ses oreilles ces bribes d’instruments du Conservatoire en répétition. Inachevé, magique.

     

    Les nouveaux supports ? Bien sûr que nous, journalistes, devons nous y intéresser. Et même coller de près à la modernité. Sinon, je serais encore (un peu seul, aujourd’hui !) rue du Général-Dufour, à me coltiner des morasses envoyées par pneumatiques à mes collègues de l’étage inférieur. Donc, modernité technique oui. Mais ne nous trompons pas : l’essentiel n’est pas dans le support. Il est de savoir si nous voulons, oui ou non, tenter de donner du sens, être utiles. La question n’est pas d’être aimé, ou détesté, elle n’a aucune importance. La question est de travailler sur le contenu. Le mettre en évidence. Prendre position sur lui, autour de lui. Et au fond, l’essentiel de tout ce qu’on appelle « service public », c’est cela. Ensuite, peu importe pour qui vous travaillez. Peu importe que vous soyez de gauche, de droite ou du centre. Travaillez-vous sur le contenu ? Mettez-vous en débat les forces antagonistes de la société dans laquelle vous vivez ? Avez-vous, face au pouvoir, le recul nécessaire ? Rien que cela, c’est déjà immense. Ensuite, tout ce qui touche au style, à la cosmétique, c’est bien, évidemment. Mais ça n’est pas premier.

     

    Et puis surtout, ne cherchez pas à être aimé. Ni, d’ailleurs, à être détesté. De toute façon, si vous faites bien votre boulot, vous serez l’un et l’autre. Seuls les tièdes se frayeront une survie en trottinant dans l’indifférence. Ne suivez pas leur chemin, mais celui de votre passion intérieure. Sans oublier la rigueur de l’artisanat. Le bonheur du métier passe par tout cela. Loin du mondain, mais au cœur du monde.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Au centre de tout : l'émission. Pas la structure !

     

    Sur le vif - Dimanche 21.06.15 - 09.54h

     

    S'il faut absolument que continue d'exister une redevance, donc un soutien public à la production audiovisuelle, alors finançons des ÉMISSIONS, et non plus des ENTREPRISES entières. J'ai lancé cette idée il y a bien longtemps déjà, j'ai tous les textes publiés par moi sur le sujet. C'est donc sans doute par distraction, ou par "manque de place", que mon confrère Pierre Veya - comme, il y a quelques mois, Avenir Suisse - "omet" de me citer dans son billet, publié aujourd'hui dans les pages économiques (page 30) du Matin dimanche.



    Mais laissons là les querelles d'antériorité. L'essentiel, c'est l'idée elle-même. Pierre Veya défend absolument mon idée d'une aide publique (s'il faut qu'il en existe une), non à des ENTREPRISES en tant que telles, mais, sur l'ensemble du pays, médias publics (SSR) ou privés, à des ÉMISSIONS jugées (selon des critères à préciser) d'intérêt public.



    Critères ? Point besoin d'un rapport fédéral, ni de dix-huit mois de puissantes cogitations, pour les dégager. Cela tournera autour de l'identité et de la cohésion du pays, priorité aux émissions qui font vivre la politique, le débat, la formation de l'opinion, l'économie, la culture, le sport pratiqué dans notre pays, la vie scientifique en Suisse, etc. La vie des starlettes sera laissée aux bons soins des diffuseurs exclusivement privés, qui pourront la financer tant qu'ils voudront par la pub.



    A noter que financer des ÉMISSIONS, et non des ENTREPRISES, s'inscrit dans un esprit de travail, une vision du métier, que j'ai toujours farouchement défendus, déjà lorsque j'étais dans le "public". J'ai toujours milité pour que la production, l'émission, soient au centre de tout, et non les structures d'organisation qui les entouraient. Ayant été à la fois producteur (de longues années, toutes tranches confondues, matinales, 12.30h, Forum, et depuis une décennie producteur et entrepreneur indépendant), et chef de rubrique (nationale), je peux vous dire que le plus grand bonheur, la plus juste proximité dans l'exercice du métier se trouvent dans la première de ces deux fonctions, celle qui place l'artisanat du métier, le savoir-faire, au centre de tout.



    Je suis très heureux que Tibère Adler (Avenir Suisse) et Pierre Veya (Le Matin dimanche) aient, sur ce sujet, une convergence d'analyse avec mes vues. D'une manière générale, après une campagne où on a entendu tout et n'importe quoi, à commencer par des politiciens comme Géraldine Savary (quasiment tous les jours à la SSR) qui n'ont jamais fait une émission de leur vie (sinon comme invités !), il ne serait peut-être pas totalement inutile de commencer à donner la parole aux entrepreneurs du métier, les artisans, les professionnels, ceux qui s'investissent depuis des décennies pour produire, inventer, rénover. Ceux-là, dans la campagne du 14 juin dernier, n'ont tout simplement pas été invités à s'exprimer.

     

    Pascal Décaillet