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Sur le vif - Page 723

  • Schmidt et l'Amérique : quelques lumières

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    Sur le vif - Mercredi 11.11.15 - 10.27h

     

    J'ai réfléchi cette nuit à la très grande proximité d'Helmut Schmidt avec le monde anglo-saxon, principalement les Etats-Unis. Connaissant très bien le personnage, ayant à peu près lu tout ce qu'il a écrit, je puis affirmer que cette proximité ne procède pas d'une quelconque obédience atlantiste, encore moins d'une béatitude pour le Nouveau Monde.

     

    Simplement, Schmidt, dans la droite ligne de Bismarck, construit l'Allemagne de son temps non à partir de rêves, mais des réalités qu'il a sous la main. Officier de DCA de la Wehrmacht, ayant combattu toute la guerre, dont une partie sur le front de l'Est, décoré de la Croix de Fer, tombé aux mains des Britanniques au moment où son pays est en ruines, et pour des décennies au ban des nations, il sait ce que reconstruire veut dire. Il a connu l'Allemagne, Année Zéro : il a connu le NEANT !

     

    Or, dans un premier temps, comment vouliez-vous reconstruire, en RFA, sans passer par l'alliance (celle de la raison, si ce n'est du coeur) avec l'Américain ? Ce dernier a certes bombardé vos villes, avec le Britannique, pendant trois ans, nuit et jour, il n'en est pas moins celui qui va vous aider, financièrement surtout, à refaire le pays. J'étais en Allemagne, dans ces années-là, les années Brandt, les années Schmidt, et moi-même je m'étonnais de la bienveillance des Allemands face aux Américains. Les gens parlaient d'eux comme d'un parapluie, pour les protéger. C'était la Guerre froide.

     

    Un autre élément, plus culturel, explique ce qui lie Schmidt aux Etats-Unis : sa parfaite connaissance de la langue anglaise, sa lecture de la littérature américaine, ses réseaux personnels là-bas. Je me suis longtemps dit que cela s'expliquait par le côté hambourgeois, le miracle de ce esprit hanséatique qui ouvre à l'Allemagne les chemins du Grand Large. Du coup, j'ai pensé à Thomas Mann (les Buddenbrooks), et surtout à son frère Heinrich (Zwischen den Rassen). Assurément, un enfant de Hambourg, qui passe sa jeunesse, dans les années vingt et trente, à lire la littérature, jouer du piano et faire des régates, ne peut avoir la même Weltanschauung qu'un fils de paysan, à la même époque, dans la Haute-Bavière, ou un fils de mineur en Silésie.

     

    Helmut Schmidt a construit sa relation avec l'Ouest comme l'un des outils de son travail de rénovation de l'Allemagne. Le grand Willy Brandt, natif d'une autre ville hanséatique, celle de Thomas Mann (Lübeck), était naturellement tourné vers l'Est, et son Ostpolitik fut le virage génial de l'Allemagne des années 69-74. Schmidt, lui, a utilisé sa connaissance intellectuelle de la culture anglo-saxonne comme organe de reconstruction. Tel Bismarck, il dissociait parfaitement la fin (refaire l'Allemagne) des moyens (paraître inféodé à Washington).

     

    En vertu de tout cela, on peut affirmer que le manque, crasse, de reconnaissance de l'oeuvre de Schmidt, chez nos observateurs qui en général connaissent fort mal l'Allemagne, au profit d'un Helmut Kohl qui a récolté les fruits du labeur de son prédécesseur, doit être relevé. Et dénoncé. Les années Brandt et Schmidt, les années 69-82, sont de très grandes années, où s'est accompli, en pleine Guerre froide, un considérable travail souterrain pour préparer, le jour venu, le retour de l'Allemagne au premier plan des nations. C'est cela, le legs de Schmidt. Il fallait une fois le dire.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Helmut Schmidt : un très grand Allemand nous quitte

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    Sur le vif - 10.11.15 - 16.37h

     

    Hambourg, 25 mars 1999 : à quelques heures du début des bombardements de l’OTAN sur la Serbie, l’ancien chancelier Helmut Schmidt (1974-1982), cinquième de la République fédérale à porter ce titre, 80 ans, nous reçoit, mon confrère Pierre-André Stauffer de l’Hebdo, et moi, dans son bureau, au sommet de la tour de « Die Zeit », dont il est l’éditeur. Vue sur le port. Sa ville natale, splendide. Hanséatique. L’une de mes villes allemandes préférées.

     

    Pendant 90 minutes, au milieu d’une incroyable tabagie, alternant les Menthol et les prises de tabac à sniffer (une vielle habitude d’adolescent marin, ici à Hambourg, nous dit-il), cet homme d’exception, successeur de Willy Brandt (dont il a été le ministre) à la Chancellerie, prédécesseur de Kohl, n’ayant rien à envier à ce dernier, nous promène, avec son allemand qui sent la mer du Nord, dans le prodigieux dédale de l’Histoire de son pays au vingtième siècle, celle qu’évoque Günter Grass dans son livre « Mein Jahrhundert ». Mais Grass est peintre, l’un des plus grands, Schmidt est acteur. Ce siècle allemand, il a contribué à le faire.

     

    L’homme qui vient de nous quitter, à presque 97 ans, était né à Hambourg le 23 décembre 1918, un mois et douze jours après l’Armistice, un mois et quatorze jours, surtout, après le début de la Révolution allemande, celle du 9 novembre, celle dont parle Döblin dans son roman « November 1918 ». Il grandit dans la ville hanséatique, fait toute la Seconde Guerre mondiale comme officier de DCA, est décoré de la Croix de Fer, prisonnier des Britanniques en 1945, s’inscrit au SPD (le parti social-démocrate) en 1946, entame une prodigieuse carrière politique, d’abord dans le Land de Hambourg, puis au niveau fédéral (Défense, Finances), avant les huit années de pouvoir suprême.

     

    Helmut Schmidt était un Européen convaincu. Mais pas une Europe du cœur, comme son successeur le Rhénan Helmut Kohl. Non, juste une Europe de la raison, avait-il tenu à nous préciser en ce jour de mars 1999, pour que le continent atteigne une dimension critique suffisante pour affronter les grands blocs. On connaît son amitié légendaire avec Valéry Giscard d’Estaing, ils furent, au même titre que de Gaulle-Adenauer et Kohl-Mitterrand, l’un des grands couples de la construction européenne. En 2001, je les avais revus, MM Schmidt et Giscard, à la Fondation Jean-Monnet de Lausanne, j’avais pu mesurer la proximité qui les liait.

     

    Ce que les gens, aujourd’hui, connaissent peu en Suisse romande, c’est l’immensité de l’intelligence politique de l’homme qui nous quitte aujourd’hui. Dans la droite ligne de Bismarck, il construit le destin allemand sur le long terme, sans états d’âme, jouant des alliances pour le seul intérêt supérieur de la nation qui lui est confiée. Simplement, ses années de Chancellerie, 1974-1982, sont celles où l’Allemagne, redevenue géant économique, n’a pas encore droit à occuper la même taille en politique. Avec les vainqueurs occidentaux de la Seconde Guerre mondiale, Américains principalement, Schmidt, parfait anglophone, s’entend à merveille. Mais il serait faux de ne voir là qu’une obédience atlantiste : l’homme, patiemment, guette l’heure de son pays. Ce sera son successeur, le Rhénan Helmut Kohl, qui l’entendra sonner, le 9 novembre 1989. Et son prédécesseur, l’immense Willy Brandt, qui aura ce jour-là le mot juste : « Jetzt kann zusammenwachsen, was zusammengehört ».

     

    Je ne puis en dire beaucoup plus pour l’heure, mon émission spéciale sur la grève de la fonction publique genevoise m’attend. Mais je tenais, à chaud, à rendre un premier hommage à cet homme tellement allemand, avec sa discipline de fer, son incroyable liberté de parole (il en a usé jusqu’au bout), sa culture historique, sa virtuosité de piano (il avait hésité à en faire son métier). Helmut Schmidt, comme Willy Brandt, est un chancelier profondément allemand. Je crois que Kohl, et même Adenauer, sont des chanceliers européens, au sens le plus noble de ce mot. Mais Schmidt était, dans toutes les fibres, un chancelier allemand. Connaissant à fond l’Histoire de son pays, en tout cas depuis Frédéric II, son équation (comme Willy Brandt) avec la question de l’Est, son intégration provisoire au système atlantique, sa nécessité d’un dialogue constant avec la France. Pour le reste, un esprit totalement libre, un provocateur. L’un des très grands Allemands du vingtième siècle, oui, lui qui naît en pleine Révolution allemande, et qui meurt au moment où Mme Merkel ne sait pas comment se sortir, mise sous pression par le Ministre-Président de Bavière, de la question des réfugiés.

     

    Le Grand Refuge, Schmidt l’avait connu, à l’âge de 27 ans : alors que, officier de la Wehrmacht, il tombait aux mains des Britanniques, au moins 12 millions d’Allemands des pays de l’Est, fuyant l’Armée Rouge, déboulaient dans une « mère patrie » en ruines. A partir de là, il a fallu reconstruire. Nous perdons aujourd’hui un incomparable constructeur.

     

     

    Pascal Décaillet

     

  • La droite la plus bête du monde

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    Sur le vif - Dimanche 08.11.15 - 16.47h

     

    Singulière machine que celle du système majoritaire ! Une mécanique pour élire des personnalités, plutôt que des représentants de partis. En reconduisant le duo de gauche pour quatre ans, le corps électoral d’un canton où la droite marque des points (elle l’a encore fait, il y a trois semaines, au National), a-t-il vraiment voté pour une politique socialiste et pour une politique Verte aux Etats ? N’a-t-il pas plutôt accordé sa confiance à une dynamique d’union et de victoire, derrière deux candidats loyaux et en parfait ordre de bataille ? Et du coup, refusé son soutien à un candidat, Benoît Genecand, dont personne ne nie les qualités individuelles (il est l’une des révélations de son parti à Genève, et pour un bout de temps), mais qui incarne, bien malgré lui, la droite de la désunion, celle de la discorde, celle de la pitoyable tragi-comédie du café de 10h le lundi 19 octobre, la droite la plus bête du monde ?

     

    En attendant, l’acte est commis. Les Verts, parti qui ne cesse de s’affaiblir depuis des années, au Grand Conseil (2013), au National (2015), parti qui a subi au niveau fédéral une impressionnante défaite le 18 octobre, parti qui a prouvé hier, en Assemblée générale où il s’est permis d’ouvrir le champagne, sa totale incapacité à la moindre autocritique, oui ce parti-là réussit à placer l’un des siens, pour la troisième fois consécutive, à la Chambre des Cantons. Trois semaines après avoir perdu l’un de ses deux sièges au National.

     

    Nous voilà partis pour quatre années supplémentaires de malentendus entre la délégation genevoise aux Etats et les tendances profondes de l’électorat genevois. Je veux bien que l’homme soit redoutablement habile, roublard, rusé comme un syndic radical vaudois des années Chaudet, je veux bien qu’il ait réussi, ces trois dernières semaines, à faire oublier son étiquette au profit de sa personne, le résultat est là : quatre ans de décalage, dûment légitimés par l’électorat. Il était permis (mais on ne refait pas l’Histoire) de rêver pour Genève d’une autre représentation à la Chambre des Cantons, avec au moins un représentant pour une droite qui monte, a gagné les élections au Grand Conseil, au Municipal de la Ville, et même au National, où elle a pris un siège. Eh bien non : ce sera, encore et toujours, Robert Cramer.

     

    Assurément, les discordances affichées à droite y sont pour beaucoup. En premier lieu, le ton avec lequel le PDC ne cesse de traiter un tiers de l’électorat genevois. Cela n’ira pas sans règlements de comptes, nous verrons. En attendant, la gauche rigole. Quand on a, face à soi, la droite la plus bête du monde, on ne va tout de même pas se mettre à pleurer, non ?

     

     

    Pascal Décaillet