Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Sur le vif - Page 727

  • Libre circulation : le piège grossier des libéraux

    6896952.image?w=800&h=449 

    Sur le vif - Dimanche 04.09.16 - 16.52h

     

    Quand le PLR est tout fier de tendre un piège à l'UDC, sa manœuvre est tellement grosse, comme un câble de téléphérique, qu'elle se voit jusqu'à Romanshorn. Ainsi, dès avant-hier (vendredi), à la publication des conclusions de la Commission des institutions politiques du National sur les suites à donner à l'initiative du 9 février 2014 sur l'immigration de masse.

     

    Ces conclusions sont un brouet, aussi insipide qu'illisible, nous l'avons dit vendredi, n'y revenons pas. Mais avez-vous remarqué, dès vendredi après-midi, l'insistance avec laquelle de jeunes hoplites et spadassins du PLR cherchaient à acculer leurs interlocuteurs de l'UDC, en leur répétant à l'envi : "Ayez le courage de dénoncer les Bilatérales, mettons ça devant le peuple, et on verra bien qui gagnera !".

     

    Ils étaient nombreux, vendredi, en plusieurs langues, à tenir exactement ce discours, il y a donc tactique d'ensemble, facile à reconstituer. Faisant, au début des années 2000, accepter par le peuple le principe de libre circulation, les partisans du libéralisme économique et de l'ouverture des frontières avaient gagné la première manche. L'époque s'y prêtait, odieuse de négation de l’État, concupiscente face à un Marché qu'elle déifiait comme un Veau d'Or. Les socialistes ne juraient que par Tony Blair, les banquiers nous soûlaient de leurs "produits dérivés", ou "structurés", diluant dans une mathématique d'ombre toute accroche encore possible de l'économie avec la réalité du travail.

     

    Le 9 février 2014, les souverainistes de ce pays, ceux qui veulent des frontières et entendent maintenir un contrôle sur les flux migratoires, gagnaient la deuxième manche. C'était le oui du peuple et des cantons à l'initiative contre l'immigration de masse.

     

    Alors voilà, une manche chacun. Comme au ping-pong, il faut une belle. Et c'est exactement cela que cherchent à provoquer les milieux libre-échangistes de notre pays. Ils sont persuadés qu'en cas de vote populaire sur les Bilatérales, ils auraient gain de cause. Dans leur esprit, ce dimanche-là effacerait, devant l'Histoire, le 9 février 2014. Ils auraient gagné la première manche, perdu la deuxième, ils gagneraient la belle. Et tout serait réglé. Et tout rentrerait dans l'ordre. Et le cauchemar de l'UDC, enfin, se dissiperait.

     

    Cette manœuvre est d'une grossièreté inouïe. Sur un point pourtant, les libéraux ont raison : la mère de toutes les batailles, c'est la libre circulation. Ce dont les libéraux-libertaires ont fait le plus grand dogme depuis vingt ans, c'est la libre circulation. Ce qu'ils ne cessent de nous brandir comme non-négociable, comme inspiré par l'Esprit en quelque Concile, c'est la libre circulation. Là où les souverainistes doivent porter la bataille, c'est en effet sur la libre circulation. Dont je ne suis pas sûr du tout qu'elle profite aux plus démunis de ce pays, aux précarisés, aux plus faibles, aux plus fragiles. Oui, lançons ce débat ! Mais pas tout de suite, comme dirait Juliette Gréco. Pas comme ça. Pas si vite. Et surtout pas pour céder à la vulgaire insistance du PLR.

     

    De quoi s'agit-il ? D'entamer en profondeur, dans ce pays, avec des arguments fondés, vérifiables et rationnels, le procès de mise en cause du dogme de libre circulation. On ne cesse de nous répéter qu'elle est porteuse de croissance. Demandons, exactement, et avec d'autres indicateurs que ceux du patronat, à qui profite cette croissance. A quelques importateurs ou exportateurs ? Ou, par redistribution, à l'ensemble de la population ? A qui profite - ou plutôt à qui nuit en priorité - l'afflux démographique qu'on nous présente comme inéluctable ? Une Suisse de douze millions d'habitants, une Genève d'un million, un Plateau qui étoufferait sous la pression, des infrastructures (logement, transports) qui n'arrivent pas à suivre, ça vous fait à ce point envie, vous ? Ça vous semble conforme à l'impérieux besoin d'équilibre, y compris environnemental, de notre pays ?

     

    Alors, oui, Mesdames et Messieurs les libre-échangistes libéraux, alliés aux libertaires et aux immigrationnistes par idéologie de gauche, la Suisse, vous avez raison, doit avoir ce grand débat populaire sur la libre circulation. Mais pas comme ça. Pas comme vous le voulez. Pas juste pour vous laisser gagner la belle. Ce débat doit prendre son temps, des années s'il le faut. Les esprits, il faut les laisser mûrir. Et puis, un jour, oui, il faudra mettre votre dogme libéral au vote populaire. Ce jour-là sera capital pour le destin de notre pays. En fonction d'un calendrier et d'un agenda dont il n'est pas question de vous laisser le monopole.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Walter Scheel : charmeur et visionnaire

    cache_2415054001.jpg?t=1305039018 

    Sur le vif - Vendredi 26.08.16 - 16.52h

     

    La mort de Walter Scheel (1919-2016), depuis deux jours, me travaille. Je repense à cet homme, qui était une véritable star de la politique lorsque j'étais en Allemagne, dans les années 70. C'était le politicien le plus populaire d'Allemagne ! Les gens l'adoraient, il était simple, souriant, toujours de bonne humeur, et surtout, avec sa chanson "Hoch auf dem gelben Wagen", il avait tenu, en 1974, longtemps la tête du hit-parade allemand. Il n'était rien d'autre, alors, que... président de la République en exercice !

     

    Il faut absolument visionner ce document, voir ce plaisir qu'il a à chanter avec ce chœur d'hommes derrière lui, le Düsseldorfer Männergesangverein, ce sourire, ce regard, cet amour de la vie. Là, puissamment, cet homme transmet quelque chose. Et on ne peut pas trop lui adresser le grief de populisme, parce que le Président de la République fédérale, en Allemagne, n'est pas élu par le suffrage universel, mais par le Parlement. Mais je crois que Scheel, grand séducteur toute sa vie, déjà comme lieutenant de la Luftwaffe pendant la guerre, était habité par un viscéral besoin d'être aimé. D'ordinaire, je n'aime pas trop cela, mais là, j'avoue que moi aussi, cet humaniste de la vie m'avait charmé.

     

    Et puis, l'essentiel : derrière ce jeu d'apparences, il y a le Scheel politique. Un libéral (FDP), mot qui n'a absolument pas, dans la politique allemande depuis Bismarck, la même connotation que chez nous, ou en France, ni même en Grande-Bretagne. Le libéral allemand ne nie en rien le pouvoir d'arbitrage de l’État dans le champ économique, il cherche moins que d'autres à le réduire. Simplement, ne provenant d'aucun des deux grands pôles (CDU-CSU, ou SPD) de la vie politique allemande de l'après-guerre, donc n'étant redevable ni aux épigones du Zentrum catholique bismarckien, ni à ceux du grand parti social-démocrate de la République de Weimar, il est d'une conception plus individualiste, et souvent plus décontractée de la politique. Dans l'ordre de la décontraction (certes moins apparent chez un Genscher), Walter Scheel fut tout simplement impérial.

     

    Mais attention : sous le gant de velours, la griffe du tueur. En Histoire, seules parlent les archives : il nous faut visionner, et visionner encore (je viens de le faire), cette philippique de Scheel contre le leader CDU Rainer Barzel, auteur d'une motion de censure pour faire tomber Brandt en avril 1972. Scheel, un moment, se tourne directement vers Barzel, et lance les mots de feu : "Machen Sie unser Land und sich selber nicht unglücklich, indem Sie zur falschen Zeit mit den falschen Methoden eine Regierung etablieren wollen, deren Fundament sich auf politische Überläufer stützen müsste und deren Geburtsstunde vom Makel des Wortbruchs gekennzeichnet wäre!". Devant le Parlement, c'est Scheel qui sauve le chancelier social-démocrate et l'Ostpolitik, et ruine à jamais la carrière politique de Barzel, ce qui, sur le moment, arrange le rival interne de ce dernier chez les chrétiens-démocrates, un certain... Helmut Kohl.

     

    Enfin et surtout, Scheel fut un très bel instinct politique. C'est grâce à son ralliement, donc à un historique renversement d'alliances, en 1969, que Willy Brandt put accéder à la chancellerie. Scheel, de 1969 à 1974, fut à la fois le vice-chancelier de Brandt, et son ministre des Affaires étrangères. Brandt lui-même sortait de trois années (66-69) comme chef de la diplomatie de la Grande Coalition. Eh bien l'Ostpolitik, ce tournant génial et décisif de la politique allemande sous l'ère Brandt (qui culminera le 7 décembre 1970 avec la génuflexion de Varsovie), il le faut pas imaginer que Scheel n'en fut que le porte-serviette.

     

    Bien au contraire, il en fut, au tout premier plan, l'un des inspirateurs. C'est très important de s'en souvenir, parce que les gens de la CDU-CSU, au pouvoir depuis 1949, s'étaient signalés par un atlantisme tel qu'ils s'interdisaient toute initiative politique de taille dans un champ (l'Est) où l'Allemagne joue son destin depuis au moins Frédéric II, sans remonter aux Chevaliers Teutoniques. L'équipe qui a recommencé à porter le regard allemand vers l'Est, c'est celle de Brandt. Et Scheel y a joué un rôle majeur. Ces cinq années Brandt (69-74) sont un âge d'or de la diplomatie allemande.

     

    Voilà, quelques mots sur ce grand Allemand qui vient de nous quitter. Un homme de charme et de contact. Mais aussi, un homme d’État, pourvu d'une vision, capable de lire et d'anticiper l'Histoire.

     

    La politique allemande perd, derrière le chanteur de charme, un tempérament et une lucidité politiques de premier plan.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Des yeux pour ne pas voir

    wertherdrama.jpg 

    Sur le vif - Mardi 28.06.16 - 12.59h

     

    A la SSR et dans les médias dominants (Ringier, jusqu'à la caricature), tous les sujets sur l'après-Brexit sont construits sur la recherche du moyen de sauver l'Union européenne. C'est tout de même étrange, de la part de médias suisses. Notre pays n'est pas dans l'UE. L'écrasante majorité des Suisses n'a aucune envie d'en être. Mais nos chers médias se cramponnent de toutes leurs forces à la pérennité d'une structure dont notre pays ne veut pas pour lui. Elle ne serait bonne que pour les autres ?

     

    Pourquoi personne n'ose franchement la question d'une dissolution de cette usine à gaz ? Et d'une réinvention de l'idée européenne sur des fondements totalement différents, par exemple un vrai respect des nations (au lieu de vouloir les abolir), des souverainetés, des frontières, de la voix des peuples. L'usine à gaz est pourrie, polluée, infectée. La détruire, pour construire autre chose, plutôt que désespérément bricoler son rafistolage.

     

    Ce pas intellectuel et mental, pourquoi nos médias dominants suisses ne l'osent-ils pas ? À quoi, à quels réseaux d'intérêts, financiers par exemple, se sentent-ils liés ? A quels dogmes supranationaux, attachés ? À quelle école de formation, redevables ? A quels maîtres à penser, reconnaissants ?

     

    Toute la question est là. Cette génération d'éditorialistes (chez Ringier, c'est flagrant) baignés dans l'idéologie de Mai 68, passés par les sciences sociales, ou sciences po, ou HEI, illuminés par l'idée que la nation était ringarde et que seuls des conglomérats plus vastes nous apporteraient le salut, cette génération s'accroche follement à ses lentilles de lecture.

     

    Elle ne veut pas voir que l'Europe a changé. Nous entrons dans un vaste mouvement de Révolution conservatrice, nous n'en sommes qu'au début, les structures mêmes de nos démocraties représentatives sont promises, dans les décennies qui vont venir, à laisser la place à des prises de décision plus directes de l'ensemble des citoyennes et citoyens. L'échelon de la nation, vilipendé depuis un demi-siècle, revient en force. La préférence aux résidents monte.

     

    Les nations se tournent vers elles-mêmes. Et ce regard vers l'intérieur leur réservera des trésors. C'est exactement ce qui est arrivé à l'âme allemande, au moment du Sturm und Drang, puis du Romantisme naissant.

     

    Ce mouvement, la génération des éditorialistes de type Ringier, tour à tour européistes, mondialistes, tout sauf nationaux, ne peut tout simplement pas l'appréhender. Il dépasse et contredit tout ce qui fut leur outillage intellectuel, leur système de valeurs. Ils ont des yeux, pourtant, et ne voient pas.

     

    À quand un grand média romand proposant à ses lecteurs une vision à la fois conservatrice et sociale, populaire, proche des plus démunis, patriotique et nationale ? Une vision de solidarité interne, pour sauver le corps social du pays. Et non le meurtrir à l'infini, en le livrant à la tyrannie des marchés financiers ?

     

    À quand, oui ? Cela devient urgent.

     

    Pascal Décaillet