Sur le vif - Page 725
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Un Nobel qui dynamite les convenances
Sur le vif - Vendredi 14.10.16 - 17.29hMa considération pour l'institution du Nobel de littérature est pour le moins relative. S'il faut saluer, entre autres, les choix de Thomas Mann (1929), André Gide (1947), Giorgios Seferis (1963), Pablo Neruda (1971), Odysseus Elytis (1979), Günter Grass (1999), JMG Le Clézio (2008), on est tout de même ahuri de découvrir le nom, de pure convenance, d'un Winston Churchill (1953), même si ses Mémoires de Guerres sont un pur chef d’œuvre, j'en conviens volontiers. Surtout, on se demande comment ces lointains jurys scandinaves ont pu oublier des hommes comme Franz Kafka, Bertolt Brecht ou Paul Celan. Considération très relative, donc.Mais une chose me froisse. Le mépris, depuis hier 13h, avec lequel certains accueillent l'attribution du Nobel 2016 à Bob Dylan. Sous le prétexte qu'il ne serait "qu'un chanteur". Du coup, pourquoi pas les Beatles, les Stones, Brel, Brassens, Ferré, Trenet, Barbara, etc. ? Je ne suis en rien un spécialiste de Dylan. Mais j'affirme que, dans le mépris de certains face au couronnement d'un aède (sur le principe), il y a une très grande méconnaissance de ce qui fonde toute une partie de notre patrimoine littéraire : le monde de l'oralité.Si le Nobel avait existé avant 1883, j'eusse plaidé avec vigueur pour qu'on l'attribuât à Richard Wagner, auteur d'une oeuvre totale, dont il était, parmi tant d'autres éclairs de génie, le parolier. De même, après la Première du Deutsches Requiem de Brahms (18 février 1869, Gewandhaus, Leipzig), on aurait pu, 323 ans après sa mort, couronner Martin Luther, pour sa traduction de la Bible (1522), qui porte d'un bout à l'autre l'Histoire musicale allemande.Alors oui, en lisant toutes ces réactions de mépris face au couronnement d'un chanteur, ou d'un homme chantant ses poèmes, je rappelle timidement que le plus grand des poètes, celui qu'on appelle Homère, à qui on attribue l'Iliade et l'Odyssée, qu'il fût seul ou qu'ils fussent plusieurs, en tout cas n'a jamais rien écrit de sa vie, jaillissant d'une civilisation de la seule oralité, celle des aèdes. Vous ne pensez pas, pourtant, que l'Iliade ou l'Odyssée auraient mérité un petit Nobel, pour la route ?Je suis un passionné d'écriture, mais aussi un passionné de l'oralité. Deux mondes différents, vraiment ? Ce que je dis d'Homère peut, encore plus, se rapporter au monde des troubadours et des trouvères, aux saisissantes traditions orales balkaniques - serbes, notamment - avec leurs variations sur le mythe d'Antigone, celles dont parle si bien George Steiner.Alors, Dylan ? Quand j'ai entendu l'annonce du Prix, hier 13h, j'ai trouvé cela fantastique. Parce que le monde de l'écrit rendait soudain hommage, au titre de la "littérature", à un immense chanteur, ayant admirablement travaillé l'orfèvrerie des mots, marqué toute une génération, atteint des centaines de milliers d'oreilles, de consciences, de cœurs, sur la planète. Je ne suis pas sûr que tous les couronnés, depuis Sully Prudhomme en 1901, puissent se targuer d'une telle pénétration du vaste public.Voilà. C'est tout. Dans les Nobels oubliés, chacun peut ériger son Panthéon. Je rêve souvent, à l'irréel du passé, d'un Nobel qui aurait récompensé, ensemble, Bertolt Brecht et Kurt Weill. Parce que leurs petites chansons, composées par un musicien de génie et l'un des plus grands créateurs de mots (avec Luther) de la langue allemande, me trottent jour et nuit dans la tête. Vive l'oralité. Vive la poésie sonore, chantée, expulsée.Expulsée d'où ? De nos tripes, ou du Paradis ? Et si c'était la même chose ? Excellente soirée à tous.Pascal DécailletLien permanent Catégories : Sur le vif -
L'ennemi public no 1 : le Parlement !
Sur le vif - Samedi 01.10.16 - 17.28h
Dans les affinités consanguines et tutoyeuses de la Coupole fédérale, on n’est plus capable, en cette fin 2016, de faire avancer la Suisse. Les grands projets, comme la réforme de nos retraites, on les bloque par annulation des énergies. La volonté du peuple et des cantons, souverainement exprimée par l’acceptation d’initiatives, on la jette au panier : initiative des Alpes, Franz Weber, 9 février 2014. Du pays réel (je connais et assume sans faille l’origine de cette expression), on se coupe. Entre soi, on se mure. On n’en peut plus de se tutoyer, de rendre hommage à la « qualité du travail en commission ». Entre soi, on se distribue des fleurs. Entre soi, on vit sa vie.
Le Parlement, pourtant, n’a pas toujours été ainsi. Lorsque j’étais à Berne, dans la première partie des années 1990, il était encore capable de débloquer, défricher, semer, donner la vie. J’ai assisté, d’un bout à l’autre, aux débats sur les NLFA (Gothard, Lötschberg), la TVA, ou encore… la LAMal. C’était déjà très dur (cela doit l’être, dans toute négociation), mais cela, après des mois, des années, finissait par enfanter du concret. Et façonner l’avenir du pays.
Aujourd’hui, le Parlement bloque. Héritant, dans la réforme de nos retraites (Prévoyance 2020), d’un projet déjà ficelé, moutardé pour la concoction du compromis (immense erreur d’Alain Berset, il aurait fallu PYM), voilà que les élus compliquent encore les choses, s’abstiennent en masse sur des votes majeurs, bref laissent le champ ouvert au référendum. Dont je me félicite, en partisan de la démocratie directe. Mais enfin, dans ces conditions, faut-il à tout prix passer par Berne ?
Pire : lors de cette même session de septembre 2016, l’une des plus calamiteuses depuis la guerre, on a vu le Parlement, la semaine dernière, fouler aux pieds la volonté populaire du 9 février 2014, ne retenant même pas le principe de « contingents », pourtant explicitement contenu dans le texte voté par le peuple et les cantons. Initiative des Alpes, Franz Weber, 9 février : le pays légal prend un suicidaire plaisir à se couper du pays réel.
Alors ? Alors, ma foi, qu’ils continuent ! A s’admirer, les uns les autres, dans le palais des glaces de leurs tribulations. A se tutoyer. A révérer leur « travail en commission ». A ne pas écouter la souffrance du pays réel. Un jour, ils le paieront. Non tel ou tel d’entre eux, se soumettant tous les quatre ans au verdict des urnes. Non, c’est l’institution parlementaire elle-même qui, à chaque session de ce genre, perd un peu plus de son crédit. Au profit d’une démocratie directe qui, elle, permet aux citoyens d’agir directement, et de provoquer de vastes débats nationaux, à l’échelle du pays tout entier, non de la seule molasse du Palais fédéral.
Au reste, mais c’est une autre affaire (j’y reviendrai largement), il appartient au corps des citoyens de s’interroger, dans les décennies qui viennent, sur la pertinence et la pérennité d’un système « représentatif » hérité du temps des lampes à huile et des diligences. Aux débuts de l’institution parlementaire, on envoyait siéger, dans les capitales des pays d’Europe, des gens cultivés, capables de rédiger des lois, alors que soi-même, électeur, on ne savait souvent pas lire, ni écrire. Deux siècles plus tard, les choses ont changé : la partage des connaissances, la mise en réseau du savoir, l’évolution prodigieuse des moyens de communication dans ce sens, tout cela affaiblit les mandarinats de « représentation », calme l’arrogance des clercs et des cléricatures.
Il faudra toujours des « représentants » pour rédiger les lois, s’échiner sur les virgules. Mais la politique, elle, en Suisse, appartient à tous. Aujourd’hui déjà ! Si les lois ne nous conviennent pas, lançons des référendums. Mieux : utilisons à fond l’outil, unique au monde, de l’initiative populaire. Elle permet à des citoyens, ou des comités de citoyens, d’être à l’origine des thèmes. Initiateurs, et non suiveurs ! Déterrer les tabous. Exhumer les sujets que les élus voulaient enfouir. Démocratie vivante, vastes débats sur l’ensemble du pays. Et, un beau, dimanche, le souverain tranche.
Ce modèle-là, que justement les parlementaires, s’appuyant sur le Clergé défensif des profs de droit, veulent rétrécir, il faut au contraire l’augmenter. Démocratie par les citoyens et pour les citoyens. Démocratie vivace, aérée, sonore, loin du murmure et de la naphtaline de la Coupole fédérale.
Pascal Décaillet
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Caisse unique, bordel !
Sur le vif - Lundi 26.09.16 - 13.40h
Caisse unique, bordel ! Même si le peuple a dit non, vote qui doit évidemment être respecté, il faut, dans l'avenir, revenir, et revenir encore, par la démocratie directe, avec des projets où l’État, garant de la Santé publique, puisse assumer son rôle régulateur et redistributeur dans la gestion de l'assurance maladie. L’État, dans un pays fédéraliste, cela peut être un canton, ou un groupe de cantons. Mais cela peut être aussi la Confédération. Tous les modèles, Caisse unique ou Caisse publique, sont à étudier, sans tabou.
Il faut en finir avec la loi de la jungle, la stupidité de cette mise en concurrence des Caisses, qui avait été acceptée dans les années 1990 par une conseillère fédérale... socialiste ! Il faut, dans les années, les décennies qui viennent, remettre l’État, non au sens d'une armée de fonctionnaires bien sûr, mais au sens de l'intérêt supérieur de tous, au centre du débat sur la Santé publique en Suisse.
Regardez l'Histoire de nos grandes assurances sociales : aucune d'entre elles n'a surgi du premier coup. Il a fallu, chaque fois, se battre pendant des générations, saisir le peuple pendant des décennies. Jusqu'au jour où, l'affaire étant mûre, le peuple dit oui.
La politique suisse est un chantier de très longue haleine. Il ne faut jamais se décourager.
Pascal Décaillet
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