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Sur le vif - Page 654

  • Empire ou Nation ? Contrastes du destin allemand

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    Sur le vif - Mercredi 27.09.17 - 15.39h
     
     
    Les chrétiens-démocrates allemands n'aiment pas les nations, mais l'Empire. Même lorsqu'ils construisent "l'Europe", ils réinventent une structure bien précise, qui a existé pendant un millénaire, de Charlemagne à 1806 (défaite d'Iéna) : le Saint-Empire.
     
     
    Adenauer, "Européen" de la première heure, signataire du Traité de Rome en 1957, lorsqu'il tend la main au Français Schuman et à l'Italien De Gasperi, réintroduit l'Allemagne, sur les décombres du Reich, dans une construction dont l'axe Nord-Sud, le rôle de la catholicité, le principe d'arbitrage supranational, sont exactement calqués sur l'architecture du Saint-Empire. Avec ses réseaux de suzerainetés et de vassalités, sa décentralisation, son manque d'identification (à de notables exceptions, comme Charles Quint) du pouvoir suprême.
     
     
    Kohl, Rhénan, catholique, avale d'un coup la DDR, à coups de milliards, avec une vulgarité sans précédent dans la méthode, le tout sous les applaudissements, sous le seul prétexte que cette DDR était communiste, et que l'Ouest représentait le camp du bien. Kohl, qui démantèle l'ex-Yougoslavie, avec son ministre Genscher, dans le seul but de rétablir les intérêts économiques des anciennes puissances tutélaires germaniques sur la Slovénie et la Croatie. Kohl, dont les services secrets ont joué au Kosovo un rôle qui, on veut le croire, sera un jour exposé à fond dans les livres d'Histoire. Kohl, entreprenant tout cela, tente aussi de refaire l'Empire. Dans sa politique balkanique, c'est flagrant.
     
     
    Mme Merkel, c'est plus compliqué. Elle est CDU, mais vient de l'Est, où elle a grandi, et fait de brillantes études. Sa politique apparaît à la fois comme habile et hasardeuse, cohérente et chaotique, il faudra du temps pour en dégager des axes de lisibilité. Une chose, toutefois, est sûre : dans la question ukrainienne, elle joue le jeu d'une obédience atlantiste qui, à terme, ne servira pas dans la région les intérêts supérieurs de l'Allemagne, car un jour, les Américains se retireront d'Europe. Dans la question grecque, elle s'est comportée avec une suzeraine arrogance. Elle n'a cessé de donner des ordres à ce pays, lui fixer des conditions, au nom de "l'Europe". En fait, pour assurer la suprématie allemande.
     
     
    Le pari du grand Frédéric II (1740 - 1786), c'était de reconstruire l'Allemagne à partir de la puissance prussienne. Avant Fichte, avant Bismarck, ce souverain d'exception (dont je ne me lasse pas de lire les actes et la vie) a pressenti l'idée allemande. Il est, au fond, le père de la nation allemande, telle qu'elle sera pensée, après sa mort, sous l'occupation de la Prusse par les Français (1806 - 1813), puis lentement mise en oeuvre au 19ème siècle. Cette grande aventure-là se termine avec fracas, puis silence, le 8 mai 1945. Allemagne, Année Zéro.
     
     
    Se termine, pour un temps. Plus j'y pense, plus j'entrevois (en termes de nations, pas d'idéologie), l'année 1945 comme une défaite d'étape. Dévastatrice, certes, mais pas plus qu'en 1648, après la destruction des Allemagnes, à la fin de la Guerre de Trente Ans. A lire, Simplicius, le chef d’œuvre de Grimmelshausen, dont s'est tant inspiré Günter Grass, l'un des géants de la littérature allemande du 20ème siècle.
     
     
    Construction nationale, ou impériale ? Là est la question centrale, quand on examine l'Histoire allemande, et le rapport très complexe, empli de non-dits, de ce pays avec ce qu'il est convenu, par facilité, manque de nuances, et au fond ignorance, paresse intellectuelle, d'appeler "l'Europe".
     
     
    Je ne suis pas sûr que, confronté aux réalités tangibles de l'Histoire allemande depuis Frédéric II, notamment depuis la Guerre de Sept Ans (1756 - 1763), le mot "Europe", trop générique, trop diaphane, et au fond trop flasque, veuille dire grand-chose.
     
     
    Pascal Décaillet
     
     

  • Mère blafarde

     

    Sur le vif - Mardi 26.09.17 - 07.30h

     

    En 1989-1990, il n'y a pas eu de "réunification" des Allemagnes. Il y a eu absorption, pure et simple, de la DDR par la BRD. Il y a eu annihilation de tout ce que la DDR, depuis 1949, avait tissé, comme système social notamment. Il y a eu rachat, à coup de centaines de milliards, d'un pays par un autre.

     

    Il y a eu l'éradication d'un système étatiste, hérité de conceptions beaucoup plus prussiennes que communistes, au profit d'un capitalisme goulu, vorace, gigantesque, dévastateur.

     

    Il y a eu Helmut Kohl, tout fier de montrer au monde capitaliste ce que l'Allemagne pouvait faire pour promouvoir ce modèle désormais unique au monde, l'autre (en face) s'étant effondré. Le même Kohl, au même moment, qui allait entreprendre toutes choses pour démembrer un pays qui s'appelait la Yougoslavie. Un jour, l'Histoire racontera le rôle des services secrets de Kohl et Genscher dans ce démantèlement.

     

    L'Allemagne de l'Ouest, capitaliste et atlantiste, a purement et simplement racheté, avec une vulgarité sans précédent, digne des prédateurs d'argent des pièces de Brecht, l'Allemagne de l'Est. Elle l'a rachetée pour faire du profit financier. Ce fut un rachat de casino, blafard comme dans le poème du même Brecht, l'un des plus éblouissants visionnaires de la littérature allemande. Deutschland, bleiche Mutter !

     

    Elle l'a rachetée, et puis elle l'a laissée tomber. Elle a négligé son tissu industriel. Elle a omis d'en soigner le corps social. Elle a méprisé sa Saxe, et surtout sa Prusse. Elle a laissé y prospérer le sentiment d'abandon, d'injustice. Le ressentiment. La colère.

     

    Et puis ?

     

    Et puis, un jour, il y a eu l'AfD.

     

    C'est tout.

     

    Pascal Décaillet

     

  • AfD : le Jugement dernier, c'est si facile !

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    Sur le vif - Lundi 25.09.17 - 13.44h

     

    Insupportables réflexes moralisateurs, dans la presse romande, face à la percée de l'AfD, en Allemagne. On ne cherche pas à comprendre, à décortiquer les causes : on pointe le doigt vengeur du Jugement dernier. Das jüngste Gericht !

     

    Mais quand donc notre presse parviendra-t-elle à s'extraire de la position du prédicateur, en chaire, qui loue ce qui est juste et bon, voue à l'Enfer ce qui ne l'est pas ?

     

    On partage ou non les thèses de l'AfD, là n'est pas la question. Mais il se trouve qu'un nombre important de citoyennes et citoyens allemands, habilités à voter et auxquelles nous n'avons aucune leçon à donner, ont accordé leurs voix à ce parti.

     

    Je connais bien l'Allemagne. J'y ai passé beaucoup de temps, naguère. J'en connais l'Histoire à fond. Je me dis que, peut-être, avant de traiter en bloc de nazis les gens de l'AfD, on pourrait s'interroger sur les raisons de leur vote.

     

    Désertification économique d'une partie de l'ex-DDR (là aussi, je connais). Laissés pour compte d'une réunification qui ne fut, en fait, rien d'autre qu'une absorption de la DDR par la BRD, à coups de milliards de capitaux, pour le profit financier plutôt que pour vraiment vitaliser le tissu industriel de la Saxe et de la Prusse. Regardez les chiffres : voyez les taux obtenus par l'AfD dans l'ex-DDR !

     

    Et puis, comme déjà noté ce matin (et dénoncé ici même, au jour le jour, pendant tout l'automne 2015), la catastrophique politique migratoire de Mme Merkel, il y a deux ans.

     

    Et encore, la fin d'un système, usé jusqu'à la moelle, omnipotent depuis 1949 : celui de cette démocratie chrétienne européiste, avec son clientélisme à l'intérieur, ses rêves de Saint-Empire à l'extérieur, ses réseaux de pouvoir, ses parfums de bénitier, depuis trois quarts de siècle. Le vote d'hier, c'est le glas du binôme CDU - SPD. D'autres acteurs surgissent sur la scène politique, ce qui est parfaitement normal.

     

    Tout cela, et tant d'autres choses encore, j'aurais aimé le lire, ou l'entendre, dans la presse romande. C'est peut-être, me semble-t-il, un peu plus éclairant que les leçons de morale - et d'ignorance historique - sur le retour du nazisme.

     

    Pascal Décaillet